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27 avril 2014 7 27 /04 /avril /2014 17:06

Vous trouverez ci-dessous la deuxième et dernière partie d’un message d’Antony Drujeon dont le titre est « trois ans après la Puerta del Sol, le succès moral des indignés ».

Le message est disponible en totalité à l’adresse ci-dessous

Bernard Fischer

http://www.repormed.com/554/en-espagne-trois-ans-apres-puerta-del-sol-succes-moral-indignes

Podemos, tentative de proposer un vote « 15 mai » aux élections européennes

Fortement inspiré de « l’esprit du 15 mai », le parti Podemos (Nous pouvons) a été créé en janvier 2014. Un nouveau né dans le paysage politique espagnol, qui, un peu à l’instar du Mouvement Cinq Etoiles de Beppe Grillo en Italie, rejette les partis politiques traditionnels, accusés d’être corrompus et coupés des réalités des citoyens, qu’ils entraînent dans une politique dictée par la troika (FMI, BCE et Commission Européenne).

La principale particularité de Podemos, c’est une organisation horizontale, sans chef (formellement du moins), qui permet à chacun de participer à l’élaboration du programme, sans adhésions ni supervision d’une structure partisane. Samedi premier mars, à Murcie, dans le quartier de Vistabella, une réunion se tenait en extérieur, faute de local, pour établir les thèmes du programme de Podemos aux élections européennes de mai, auxquelles le parti se présente. Sous une arcade, pour échapper à la pluie légère qui s’égrenait sur les pavés de la cour de ce quartier résidentiel, quelques quarante personnes se mettent en cercle. On compte quelques personnes âgées, quelques jeunes, la majorité entre trente cinq et cinquante ans.

Miguel Angel Alzamora expose l’objet de la réunion. Le sociologue, d’une carrure imposante et à la barbe foisonnante, plutôt charismatique, est une figure locale du mouvement. Le micro circule, chacun expose ce qu’il pense être utile d’intégrer au programme de Podemos. Une vieille dame s’approche, curieuse, demande ce sont il retourne. Elle se pique d’intérêt pour la réunion, finit par prendre la parole, pour une remarque qui fait rire toute l’assemblée. Puis s’en va avec son cabas à roulettes.

Mais globalement, les prises de parole sont surtout le fait de quelques membres, parmi la dizaine des membres les plus investis. Et le niveau général d’éducation semble au-dessus de la moyenne. La réunion finit par aborder notamment la revendication de la remunicipalisation de la distribution de l’eau, dont la privatisation a finalement causé l’augmentation du prix des factures d’eau. La proposition, retenue, sera transmise aux instances nationales de Podemos.

La critique que l’on entend le plus souvent au sujet de Podemos est qu’il s’agirait d’un parti d’intellectuels. Pour Miguel Angel, c’est là une critique biaisée :

« Par la force des choses lorsqu’on organise une réunion quelle qu’elle soit, on observe que ceux qui sont le plus à l’aise pour prendre la parole sont ceux qui disposent des meilleurs bagages intellectuels, qui ont l’habitude de parler en public. Mais ce n’est pas propre à Podemos ».

Pour Victor, militant d’Izquierda Unida (IU, supplétif de gauche au parti socialiste) à Murcie, Podemos a le mérite de rompre avec la gauche institutionnalisée, gangrenée par sa hiérarchie et ses arrangements:

« Je ne supporte plus la gauche institutionnalisée, avec ses rapports hiérarchiques, son esprit cloisonné. D’ailleurs on est plusieurs à Izquierda Unida à préférer Podemos. Si on veut prendre le pouvoir on pense qu’on doit s’ouvrir sur la société et les mouvements sociaux, comme le 15 mai ».

Rêvant de révolution et de rupture avec le capitalisme, Victor souhaite voir la disparition du mandat électif en politique, préférant le mandat impératif. Un rêve de démocratie directe en phase directe avec la culture du 15 mai. Le parti Podemos plaide quant à lui effectivement pour les mandats révocables. Pour Victor, le rejet absolu de l’organisation en parti politique est excessif et improductif. Podemos permet de donner corps à l’esprit du 15 mai tout en respectant l’individu :

« Le 15 mai a été formidable, mais après beaucoup de gens sont retournés chez eux et rien n’a changé. C’est bien l’organisation horizontale, en assemblées, mais on a besoin de canaliser un peu cette envie de changement. Podemos est épargné par le côté politicien d’Izquierda Unida et des autres partis institutionnalisés, tout en gardant l’esprit de ce mouvement ».

Pendant quelques semaines, l’idée d’une élection primaire ouverte commune à Podemos et à Izquierda Unida était en discussion dans les instances de « gauche unie ».

Finalement, les caciques du parti ont décidé de rester maîtres à bord.

Deux semaines plus tard, Podemos organisait un meeting à Murcie, à cette occasion, Pablo Iglesias lui-même s’est déplacé. Le présentateur vedette de l’émission télévisée « tuerka » et professeur de science politique n’est pas le président ou ni même le secrétaire général de cette organisation, qui, revendiquant son horizontalité, n’en a pas. Le communiqué de presse le présente simplement comme le « représentant le plus médiatique de Podemos ».

La réunion est organisée dans l’université de la Merced, au centre de Murcie.

Dans cet antre du savoir, l’assemblée est encore une fois constituée de nombreux universitaires, étudiants et habitants diplômés du centre-ville. L’image intellectuelle n’en sort pas démentie, loin de là, un intervenant dans le public ne manquera pas d’en faire le reproche.

C’est sans doute pour démentir cette impression déjà ancrée pour un parti pourtant naissant que la réunion commence par le témoignage de Lola Sanchez.

La candidate de Carthagène, diplômée de sociologie et de sciences politiques, raconte une anecdote tirée de son expérience de serveuse dans un hôtel de luxe, où elle a servi une demi-douzaine de cadres du PP, du PSOE et d’IU qui prenaient un verre ensemble. En discutant avec elle et en découvrant ses diplômes, les notables politiques lui auraient avoué leur incompréhension totale de pareille situation. Ou l’art de lier la critique du monde politique espagnol et la celle du déclassement économique du pays, en particulier pour les diplômés.

L’anecdote sera à plusieurs reprises par Pablo Iglesias, vitupérant contre la « caste de politiciens coupés des réalités à qui de jeunes surdiplômés doivent servir des gins tonic pour un salaire de misère. Telle est l’Espagne d’aujourd’hui », s’indigne-t-il alors, sous les hourras de l’assemblée.

Intellectuel sans doute, homme médiatique, aussi, voire surtout, Pablo Iglesias contrôle le verbe avec une maîtrise toute politicienne. L’accusation de populisme, il la rejette avec aisance, assumant rechercher la construction d’un projet politique depuis la base

Après la Puerta del Sol, l’implantation dans les quartiers populaires

Mais face à cette mobilisation « venue d’en haut », qui plus est pour des élections européennes, Sandra Martinez se sent mal à l’aise. Fervente partisane du mouvement du 15 mai, elle ne votera pas pour Podemos. Pour elle, le mouvement du 15 mai devait servir avant tout d’impulsion à un travail de terrain, dans les quartiers populaires, au plus près de ceux que la crise affecte, la super star médiatique Pablo Iglesias, sans façon.

C’est le sens qu’elle a donné à son engagement. Diplômée de science politique, « sans trouver pour autant de travail bien sûr », elle s’est investie dans la PAH, Plateforme des Affectés par les Hypothèques, en parallèle de son job de serveuse. Plateforme, encore un intitulé qui témoigne de cette défiance pour les structures hiérarchiques, verticales. Vendredi 7 Mars 2014, à 17 heures 30, une petite foule s’est agglomérée devant le siège de la Croix-Rouge à Murcie.

La PAH y tient une réunion d’information, qui aujourd’hui sera animée par Sandra. C’est un grand local rectangulaire. Les sièges sont mis tout autour de la pièce, en assemblée. Ceux qui n’ont pas de siège s’assoient sur les tables, contre les murs. La réunion a lieu toutes les deux semaines, ce qui ne suffit pas à en tarir l’audience, ils sont quarante six à s’être déplacés, certains avec leurs enfants. Un coin coloriage est mis en place pour les tenir tranquilles. Du vestimentaire aux attitudes, l’humilité règne parmi l’audience, le public est ici d’origine populaire. On compte quelques immigrés, en provenance d’Amérique du Sud, du Maroc, ou d’Ukraine.

Leandro Antequera, électricien, trente ans, est formel, l’accession à la propriété, il n’y tenait pas spécialement, « si j’avais su, je n’aurais pas signé, je ne souhaitais pas spécialement devenir propriétaire. Mais la banque m’a assuré que c’était facile, je ne suis pas un expert, tandis que eux ont des économistes. J’ai fait confiance. » Il lui reste l’impression qu’on lui a forcé la main en lui cachant les risques et son insolvabilité.

Sandra rappelle à ceux qui sont déjà venus que la réunion commence traditionnellement par un tour de « table ». Chacun prend conscience qu’il n’est pas un cas isolé.

Que ce n’est pas sa faute. La plupart ont entre trente et soixante cinq ans. Ils se sont laissés convaincre par la banque qu’il était raisonnable de devenir propriétaire, au prix d’un endettement élevé et avec la maison comme garantie. C’était avant l’explosion de la bulle immobilière.

Assise en demi-tailleur sur son siège, Sandra prend la parole pour un long exposé. C’est l’occasion pour elle d’exposer à un auditoire attentif les différents recours, comme la « dacion en pago » (dation en paiement). Parlant lentement, vérifiant que tout le monde suit, Sandra retient l’attention de son auditoire. Elle est visiblement habituée à l’exercice.

Le lendemain, Samedi 8 Mars 2014, Sandra, après une courte nuit passée à travailler dans un bar restaurant du centre de Murcie, retrouve à 9 heures deux femmes à qui la banque exige le remboursement de leur prêt immobilier. Elles ont rendez-vous dans une agence de la banque Bankia, pour négocier leur cas.

Avec un mari saisonnier, Lidia Jimenez Manchon n’arrive pas à convaincre la banque que ces revenus ne peuvent pas être pris en compte pour le remboursement du prêt bancaire :

« Nous vivons à Carthagène, mais mon mari travaille dans les champs, ça lui fait des frais d’essence importants et durant l’été il aura moins de travail, donc on aura besoin de compter sur les revenus de l’hiver ».

La banquière ne promet rien, elle peut que transmettre à sa hiérarchie. A suivre. Sandra en est convaincue, la PAH renforce le particulier dans son tête-à-tête avec la banque :

« On a pratiqué pas mal d’escraches (actions coup de poing, consistant à investir pacifiquement et souvent de façon festive une agence bancaire pour y dénoncer leurs agissements), d’occupations d’agences responsables de menaces de « desahucios », voire en nous interposant pour empêcher un « desahucio ». On est désormais écoutés ».

Cette forme de mobilisation s’attaque au point de départ même de la crise, les hypothèques abusives auprès des moins solvables. « Il y a treize PAH rien qu’à Murcie », explique Sandra.

« Lors d’un congrès national, on a vu pas moins de sept cent porte-paroles de différentes plateformes se réunir en provenance de toute l’Espagne ». Elle dit voir cette action de terrain porter ses fruits :

« Auparavant, on culpabilisait les victimes des hypothèques. Mais depuis un an, on perçoit un changement de discours de façon générale dans la société, les gens comprennent enfin la nature du problème ».

Un bémol toutefois, si les plateformes d’aide remplissent un rôle d’assistance sociale précieux pour les plus fragilisés par la crise, elles peinent en revanche à fidéliser les affectés sortis de l’ornière, comme elles l’espéraient pourtant. Pour ceux qui luttent au quotidien pour survivre, la fin des procédures est un répit.

Difficile de les convaincre de reprendre le chemin des réunions et d’accompagner les autres affectés devant leur banquier. « Pourtant », soupire Sandra, « ce sont les mieux armés pour faire ce travail, eux sont passés par là ».

Changer les mentalités

Alors l’esprit du 15 mai, trois ans après, serait-il écartelé entre une tentative de traduction politique venue d’en haut, élitiste, contre une base investie dans les quartiers et l’aide sociale de terrain mais ne répondant présente que lors des manifestations comme celle de samedi dernier ? A Málaga, Rakesh Bghagwan Narwani, réalisateur du documentaire « 15 mai, Malaga despierta », veut croire que c’est bien plus complexe :

« Le mouvement du 15 mai, avec ses prolongements en 2012 et 2013, a permis de donner une visibilité à ses valeurs. Beaucoup de partis cherchent maintenant à prendre en compte ses valeurs jusque-là absentes du débat public. Par exemple, c’est le Partido Popular lui-même qui a proposé que les CIE (Centro de Internamiento de Extranjeros, équivalent des centres de rétention administrative française) soient administrés par des ONG et non plus par la police. C’est un changement considérable ».

De manifestation en occupation d’agence bancaire, le 15 mai changerait les partis politiques de l’extérieur, en somme. De fait, nombreux sont les espagnols a en convenir, depuis le mouvement du 15 mai, les problématiques d’expulsions des domiciles, des coupes budgétaires en particulier dans l’éducation et la santé, des CIE ou de la gestion de l’eau ont fait leur irruption dans le débat politique national. Une évolution que Curro Machuca, activiste du mouvement du 15 mai de la première heure, également à Málaga, compare à mai 68 en France :

« Les grands médias ont dit que le 15 mai avait été un échec, parce qu’il n’y avait pas eu de changement. Mais je pense que c’est faux. Il y a eu un changement de subjectivité, les gens ne sont plus passifs. On parle des desahucios, de la dette, du manque de démocratie. Des thèmes dont on n’entendait jamais parlé auparavant. C’est un peu comme en France après 1968. On a dit que ça avait été un échec, mais 1968 a permis l’explosion du féminisme, de l’écologie et de l’antimilitarisme ».

Les mobilisations massives des « indignés » restent minorées par la classe politique et par ses médias établis. La mort d’Adolfo Suarez, père de la transition vers cette démocratie espagnole si sévèrement critiquée aujourd’hui, le lendemain du 22 mars, fait figure de symbole. Les images des journaux télévisés alternaient entre les hommages officiels au premier président de l’Espagne démocratique, et les violences des « radicaux » qui s’en étaient pris à la police.

Comme un hymne au régime en place, dont la plupart des passants diront pourtant toute leur désillusion.

La scène politique « underground » occupe le boulevard laissé vacant par le désamour généralisé pour ces formations traditionnelles malmenées par la crise, l’absence de marges de manoeuvre et l’usure du pouvoir (dont nombre d’affaires), au point d’être capable de mobiliser en masse dans la rue. Une victoire sur le terrain des valeurs à défaut de prise de pouvoir directe, mais c’est la promesse de voir le thème de la dignité s’imposer durablement aux élections futures.

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