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27 avril 2014 7 27 /04 /avril /2014 15:52

Vous trouverez ci-dessous la première partie d’un très long message d’Antony Drugeon dont le titre est « trois ans après la Puerta del Sol, le succès moral des indignés ».

Le message est disponible en totalité à l’adresse ci-dessous.

Bernard Fischer

http://www.repormed.com/554/en-espagne-trois-ans-apres-puerta-del-sol-succes-moral-indignes

Depuis trois ans, et l’occupation de la Puerta del Sol, les indignés espagnols ont imposé un changement de ton dans le paysage politique espagnol. La démonstration de force de deux millions de manifestants de la Marcha de la Dignidad Samedi 22 Mars 2014 à Madrid couronne ce succès moral.

Plus de deux millions selon les organisateurs mais aussi certains médias espagnols, trente six mille de source gouvernementale. La manifestation madrilène dite de la Marche de la Dignité organisée samedi dernier exigeait le refus du paiement de la dette publique, la fin des coupes budgétaires, affirmait le rejet de tous les gouvernements au service de la « troïka » (FMI, Banque Centrale Européenne et Commission Européenne), et réclamait « du pain, un travail et un toit pour chacun », une définition de ce que le terme de dignité peut recouvrir. Le « 22 mars » (pour manifestation du 22 mars) s’inscrit parmi les plus massives des mobilisations citoyennes de l’histoire espagnole, comme l’a fait remarquer Diego Cañamero, porte-parole du Syndicat Andalou des Travailleurs (SAT).

Mais c’est surtout le fait qu’aucun parti politique ou syndicat majeur n’ait appelé à y participer qui fait de cet événement un OVNI politique. D’autant que dans la foule, les manifestants étaient de toutes les tranches d’âge et on y trouvait autant de femmes que d’hommes, comme une photographie du pays, avec le cœur à gauche tout de même, bien sûr. Mais sans pouvoir se reconnaître dans l’offre politique espagnole, à l’image de Maite, documentaliste, spécialisée en anthropologie et sociologie :

« Je suis venue manifester parce que les escrocs qui sont à l’origine du système bancaire comme les gouvernements successifs espagnols, notamment du Parti Populaire, que je considère être un parti fasciste et théocratique, ont conduit la majorité de la population espagnole à la misère. C’est simple, nous sommes passés du franquisme, qui était une dictature militaire, à une partitocratie. Cela fait si longtemps qu’on appelle à une vraie démocratie. Aujourd’hui il n’existe aucun parti politique fiable ».

Les pancartes conspuaient tout autant Mariano Rajoy, président du gouvernement, du PP, sa politique d’austérité et de coupes budgétaires, autant que les banques, qui sont derrière les « desahucios » (expropriations de domicile) que l’éclatement de la bulle immobilière alimentée à coups d’hypothèques risquées a multiplié.

Mais on retrouvait aussi la dénonciation générale de la classe politique et de sa corruption, du bipartisme, et quelquefois de la monarchie. Les drapeaux républicains étaient de loin plus brandis que la bannière rouge et jaune de l’Espagne « officielle ». Pour Ángeles Maestro, présidente de la Red Roja (« Réseau Rouge », sensibilité communiste), le 22 mars vient préciser l’effervescence du 15 mai, qui était davantage une contestation et une prise de parole du peuple :

« Cette fois, à la différence du 15 mai 2011, dont c’est bien ici la continuation, pour la première fois, il y a un programme politique ».

Les slogans étaient à l’avenant, « no debemos, no pagamos » (on ne doit rien, on ne paie rien), « banca rescatada, familia desahuciada » (banque secourue, famille à la rue), « pueblo unido jamas ne sera vencido » (un peuple uni ne sera jamais vaincu), « democracia no lo es, es una dictadura, SOS » (ce n’est pas une démocratie, c’est une dictature, SOS), « donde están, no se ven los empleos del PP » (Mais où sont-ils, on ne les voit pas, les emplois du PP), « dile que se vaya, dile que se vaya, de una puta vez » (dis lui qu’il s’en aille, mais dis lui de dégager putain). Et, régulièrement, le cri d’encouragement « si se puede » (oui, c’est possible) résonnait pour chasser le sentiment de résignation dans lequel la crise et les alternances politiques ont chassé nombre d’espagnols.

Le 22 mars, point d’orgue de la Marche de la Dignité

Mais la Marche de la Dignité, avant d’arriver à Madrid, a d’abord été une vaste expédition pédestre à travers l’Espagne. Dix colonnes venues des différentes régions d’Espagne ont convergé vers la capitale, avec deux mille de ces manifestants, les plus motivés.

C’est le cas de Miguel Angel, 42 ans, qui est venu de Grenade à pied. En dormant dans les gymnases et salles de fêtes des mairies, la « procession » a parcouru les quatre cent trente kilomètres vers Madrid en vingt trois jours :

« C’était très fort, dans les villes qu’on traversait, les gens venaient nous voir, ils n’étaient pas forcément au courant de la manifestation, mais on leur parlait du projet, ils nous racontaient leur galère. On a pu rencontrer ceux qui comme nous souffrent de cette crise en silence, mais qui sont trop occupés à survivre pour s’intéresser à la politique ».

A Murcie, c’est le 9 mars que les manifestants ont pris la route pour rallier Madrid.

Ceux qui ne pouvaient pas venir à pied ont fait le trajet dans des bus spécialement affrétés par les organisateurs. Avec toute de même une étape d’environ douze kilomètres en fin de parcours, Marche de la dignité oblige.

Le 21 mars à minuit, ce sont ainsi une petite dizaine de bus qui est partie de Séville pour arriver sans encombre vers 7 heures 30 à Getafe, cité-dortoir de la banlieue sud de Madrid.

Les organisateurs de la marche ont toutefois dénoncé l’arrestation par la police d’une centaine de bus à leur approche de Madrid, le temps d’un contrôle approfondi d’identité et de recherche de stupéfiants. Sacs à dos avec provisions, drapeaux, banderoles et surtout vêtements chauds constituent l’essentiel de leur attirail. Le froid est encore vif quand le bus s’arrête sur un boulevard de Getafe, alors que le soleil est tout juste levé.

Une organisatrice demande à chacun, à sa sortie du bus, qui compte prendre la navette retour, qui repart le soir même. A sa grande satisfaction, beaucoup comptent bien rester à Madrid.

Occuper la capitale, comme en 2011 sur la place Puerta del Sol ? Tout le monde y pense, et pas forcément à voix basse. Renforcée par les groupes venus d’autres convois, c’est une foule compacte qui se met alors en marche vers la capitale dans la fraîcheur matinale. Des personnes âgées promenant leur chien s’arrêtent un instant, médusées.

Le cortège traverse des quartiers résidentiels, une zone commerciale, puis une zone industrielle, et même des champs. Avant d’être accueilli, à l’approche d’une caserne de pompiers, par le concert assourdissant des sirènes des soldats du feu, trois camions sont alignés devant la bâtisse, derrière une lignée de pompiers saluant les manifestants.

Embrassades, poignées de main, poings tendus de la foule, les marcheurs apprécient le soutien. Les pompiers espagnols, placés sous l’autorité non du ministère de l’intérieur mais sous celui de la mairie, sont à Madrid un soutien notoire aux manifestations anti-austérité. Plusieurs pompiers ont refusé de participer aux « desahucios » de leur domicile des personnes affectées par des hypothèques.

Les indignés espagnols, du 15 mai au 22 mars

Trois ans après, le 22 mars s’inscrit dans les pas du 15 mai, qui, sur l’emblématique place Puerta del Sol, inspirée par les mouvements Occupy et les révolutions arabes, avait installé un campement de protestation durant un mois, à l’issue de vastes processions de manifestants venus à pied de toute l’Espagne, déjà. Pour beaucoup de militants, le mouvement du 15 mai a été un acte fondateur, et nombreux sont les espagnols à saluer le souvenir de ce coup de semonce de 2011. Si dans la presse française on présente ces activistes comme les « indignés espagnols », en Espagne on reste plutôt fidèle à l’acronyme de cette manifestation fondatrice que fut le 15 mai. Plusieurs points communs tracent une filiation entre le 15 mai et le 22 mars.

C’est le rejet de la politique d’austérité, qui suppose le paiement de la dette transmise par les banques et qui passe par des coupes budgétaires notamment dans l’éducation et la santé ;

C’est la dénonciation de la corruption de la classe politique « institutionnelle », on entend régulièrement dans les discours le terme PPSOE, pour associer le parti socialiste et la droite dans un même terme ;

C’est l’hostilité au principe même de parti politique, de hiérarchie et de verticalité, les deux mouvements prônent une démocratie directe (« democracia real ya » était l’un des slogans majeurs du mouvement du 15 mai) par la concertation en assemblée où chacun peut prendre la parole ;

C’est l’hostilité aux médias, accusés d’être sous l’influence du pouvoir et des partis politiques.

Toutefois, hors des médias locaux, les journaux espagnols n’ont pour ainsi dire pas évoqué la Marche de la Dignité à son départ des différentes villes d’Espagne.

C’est surtout l’arrivée qui a été remarquée. Mais là encore, les différents journaux télévisés ont tous ouvert longuement sur les violences ayant éclaté après la manifestation. Samedi, très rapidement après le dernier discours à la tribune, la dispersion de la manifestation a en effet débouché sur des violences, lorsque des manifestants cagoulés, dont certains se sont avérés être des policiers déguisés, ont lancé des projectiles sur les policiers anti émeutes postés sur la rue Genova, qui bloquaient l’accès au siège du Partido Popular.

Dans leur appartement du quartier populaire de Lavapiés, dans le centre de Madrid, Dani et Alicia, respectivement responsable des décors dans un théâtre madrilène et responsable administrative au chômage, enragent, face au ton neutre de la présentatrice, qui égrène le bilan des violences dans un long sujet de plus de trois minutes :

« Ils ne parlent même pas des millions de manifestants ».

S’ensuit un sujet rapide (environ une minute trente) sur la manifestation elle-même. Sur son smartphone, Daniel a eu accès aux chiffres des organisateurs, plus de deux millions. « Avant une entreprise faisait le décompte manuel des manifestants à partir de photos, mais le pouvoir s’est débrouillé pour la faire couler », maugrée-t-il.

Pour ce couple de madrilènes qui se sont rencontrés il y a trois ans dans le campement de la place Puerta del Sol, les médias sont inféodés au pouvoir. Un avis que les différentes manifestations du week-end ont régulièrement répété. Télévision, radio, presse écrite, le divorce est entamé entre les indignés et les médias. Même le quotidien de référence el Pais, de centre-gauche, les déçoit. « Ils sont de la gauche institutionnalisée », explique Alicia, qui ne tempère son jugement qu’au sujet d’el Diario. « Mais c’est un journal en ligne uniquement », regrette-elle. Mais la Marche de la Dignité est survenue dans un contexte particulier, dont elle n’est que la plus visible des manifestations.

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