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28 mars 2015 6 28 /03 /mars /2015 17:57

http://www.mediapart.fr/journal/international/250315/loligarque-kolomoiski-est-evince-de-son-poste-de-gouverneur-en-ukraine

L’oligarque Igor Kolomoïski est évincé de son poste de gouverneur en Ukraine

Par Agathe Duparc

Voilà plusieurs mois que le conflit couvait. Au terme d'une semaine rocambolesque qui a vu les sièges des entreprises gazières UkrNafta et UkrTransNafta investis par des hommes en armes, le milliardaire Igor Kolomoïski a dû renoncer, Mercredi 25 Mars 2015, à son poste de gouverneur de la région de Dnipropetrovsk.

L’affaire n’aura pas traîné. Après une semaine d’une incroyable escalade, le président ukrainien Petro Porochenko a finalement décidé, dans la nuit du Mardi 24 Mars au Mercredi 25 Mars 2015, d’accepter la démission de l’oligarque Igor Kolomoïski qui occupait depuis mars 2014 le poste de gouverneur de la province de Dnipropetrovsk, la région restée fidèle à Kiev, voisine de Donetsk. Dans une déclaration, le chef de l’état évoque le désir de « préserver la paix, la stabilité et la tranquillité ».

Mais à ce stade rien n’est moins sûr, puisqu’en se « débarrassant » d’Igor Kolomoïski, Petro Porochenko s’attaque à l’un des hommes les plus influents et controversés de l’après-Maïdan. À cinquante-deux ans, le milliardaire qui, selon Forbes, pèse un milliard quatre cent millions de dollars, a fait fortune dans la banque, la métallurgie, le transport aérien et les médias. Depuis le début du conflit ukrainien, il s'est surtout imposé comme le principal financier des bataillons d’autodéfense, parmi lesquels le bataillon « Donbass », et les quatre bataillons « Dnipr », qui combattent les séparatistes pro-russes et qui sont soupçonnés d’avoir commis des exactions contre les populations civiles.

Pour Moscou, Igor Kolomoïski est le diable en personne. Depuis juin 2014, il est poursuivi par le comité d’enquête russe pour « crimes de guerre, meurtres et kidnapping », en lien avec les agissements de ses bataillons. Et sur les réseaux sociaux pro-russes, il déchaîne les passions antisémites, accusé de tous les maux, entre autres d'avoir orchestré le crash du Boeing MH17 de la Malaysia Airlines en juillet 2014. En décembre 2014, il avait répondu à ces accusations sur la chaîne suisse RTS.

Le personnage commençait aussi à sérieusement déranger le pouvoir à Kiev. Il y a une semaine, une bagarre de titans s’est ainsi déclenchée autour du contrôle de la société gazière et pétrolière UkrNafta et sa filiale UkrTransNafta, qui assure la gestion des oléoducs dans le pays.

Tout a commencé Mercredi 18 Mars 2015. À Kiev, la Rada adoptait un amendement visant à modifier la composition des conseils d'administration des entreprises publiques afin d'y réduire le contrôle exercé par les actionnaires minoritaires. Le texte stipule qu'il faut désormais l'accord de cinquante pour cent des actionnaires, plus une voix, contre jusqu'ici soixante pour cent, pour qu’une assemblée générale soit convoquée et que soient prises certaines décisions. Ce qui ouvre la porte à une redistribution des cartes au sein d’UkrNafta dont Privat Group, la holding d’Igor Kolomoïsky, détient quarante-deux pour cent des parts, alors que l’état ukrainien est actionnaire à cinquante pour cent, plus une action. Jusqu’ici, le gouverneur de Dnipropetrovsk disposait d’une minorité de blocage lui permettant d’agir à sa guise et de bloquer toutes les décisions qui n’allaient pas dans son intérêt. L’oligarque avait par ailleurs réussi à installer à la tête de UkrTransNafta, pourtant détenue à cent pour cent par l’état, l’un de ses proches, Oleksandr Lazarko.

Jeudi 19 Mars 2015, justement, Oleksandr Lazarko a été démis de ses fonctions, remplacé par Yuri Miroshnik, un proche de Petro Porochenko. Au lieu de s’aligner, le directeur déchu refusait de quitter son bureau. Et dans la nuit, sous les yeux ébahis des journalistes, Igor Kolomoïski décidait d’entrer au siège d’UkrTransNafta, escorté d’une vingtaine d’hommes en treillis. Cette scène surréaliste a été enregistrée par plusieurs télévisions.

On y voit le milliardaire, hors de lui, s’en prenant à un journaliste de Radio Svoboda, qui l'interrogeait sur cette bien étrange sortie nocturne au siège d’une société à cent pour cent étatique. « Espèce de morveux, pourquoi tu me demandes pas pourquoi des raiders se sont emparés de UkrTransNafta ? Et que des saboteurs russes ont atterri ici. Tu cours après Igor Kolomoïski comme une bonne femme après son mec infidèle », lui répond le gouverneur. « Nous avons libéré les locaux de UkrTransNafta des saboteurs russes », lance-t-il à la cantonade, expliquant que le nouveau directeur Yuri Miroshnik s’est lui-même promu à la tête de l’entreprise, et promettant de se rendre de ce pas à l’administration présidentielle pour savoir « qui est derrière tout cela ».

Ni le président Petro Porochenko, ni le premier ministre Arsenii Iatseniouk n’avaient alors jugé utile de réagir à cette équipée sauvage, qui se reproduisait quelques jours après.

Dimanche 22 Mars 2015, alors que les mystérieux hommes en armes quittaient le bâtiment de UkrTransNafta, le siège d’UkrNafta à Kiev était investi. Cette fois-ci par une quarantaine de gaillards lourdement équipés d’armes et gilets pare-balles, de casques et pour certains de cagoules. Dès le matin, des barricades avaient été érigées. Devant les caméras de la chaîne Hromadske TV, l'un des hommes avoue faire partie du bataillon « Dnipr », la milice d’autodéfense créée et financée par Igor Kolomoïski.

Ce soir-là, Igor Kolomoïski avait également fait le déplacement. Pris à partie par un député, il répondait être « venu voir ce qui se passait », s'emportait contre les « traîtres » qui cherchaient à s’emparer de la société, puis s'engouffrait dans le bâtiment. Le même jour, dans une interview accordée à TSN, l’une des télévisions appartenant à son empire médiatique, le gouverneur s'était présenté comme le rempart à « certains groupes criminels organisés » qui veulent contrôler la gestion des oléoducs ukrainiens via UkrTransNafta et qui imposent leurs prix, pouvant changer les tarifs « sur un simple coup de fil ».

La Suisse, terre de repli pour Igor Kolomoïski

Ce spectacle à répétition de milices armées s’introduisant dans les locaux de sociétés étatiques ou semi-étatiques, des scènes qui rappellent celles qui se sont déroulées dans l’est de l’Ukraine, aura finalement eu raison de l’oligarque. Lundi 23 Mars 2015, le président Petro Porochenko, qui lui aussi appartient à la catégorie des oligarques, avec une fortune estimée à un milliard trois cent millions de dollars et un empire intact en dépit de ses promesses électorales, a jugé que « chez nous, aucun gouverneur ne peut disposer de forces armées ». L’ambassadeur américain à Kiev, Jeffrey Payet avait auparavant tenté de raisonner le gouverneur en colère : « Je ne vais pas révéler les détails de notre conversation privée avec Igor Kolomoïski, mais il me semble qu’il comprend que l’Ukraine doit vivre dans une autre réalité. Et que la loi de la jungle qui régnait du temps de Viktor Yanukovitch conduira l’Ukraine à la faillite », a-t-il déclaré.

Jusqu’alors, Igor Kolomoïski semblait indéboulonnable, passant à chaque fois à travers les gouttes. Il y a quelques mois, le procureur général d’Ukraine lui avait rappelé que son statut de gouverneur était incompatible avec ses trois passeports, ukrainiens, chypriotes et israéliens.

Igor Kolomoïski s’en était sorti avec un éclat de rire tonitruant, en déclarant que si la double nationalité était interdite, la loi n’évoquait pas la « triple » citoyenneté.

Dans les prochaines semaines, on peut s’attendre à ce que plusieurs affaires compromettantes refassent surface. Mercredi 25 Mars 2015, Sergueï Leshchenko, ancien journaliste d’investigation et aujourd’hui député du bloc Petro Porochenko, a posté sur son blog une étonnante conversation. On y entend le gouverneur s’adresser à Andreï Kobolev, le directeur de Naftogaz, la compagnie gazière étatique, dans un langage ordurier, et menacer d’envoyer un « bataillon » pour occuper une centrale électrique et les locaux de UkraTransNafta. Ceci en réponse à la menace de couper l’alimentation d’une de ses entreprises qui n'avait pas réglé la facture.

Plus embarrassant, l’enquête en cours autour du meurtre, Samedi 21 Mars 2015, d’un officier du SBU, les services secrets ukrainiens, tué alors qu’il interceptait trois voitures de contrebande qui se dirigeaient vers la république séparatiste de Donetsk. Selon certaines informations, des proches d’Igor Kolomoïski sont soupçonnés d'appartenir à ce réseau de contrebande.

L’ancien gouverneur conserve de puissants appuis, à commencer par les bataillons qu’il finance, les médias qu’il contrôle, et les nombreux actifs qu’il possède en Ukraine dont la Privat Bank, premier établissement privé du pays. Son éviction provoque déjà des remous politiques. Quatre députés, qui lui sont restés fidèles, ont annoncé qu’ils quittaient la fraction pro-présidentielle « Bloc Petro Porochenko ». D’autres pourraient suivre. L’un d’entre eux, Andreï Denissenko, affirme que dans un « protocole secret » des deuxièmes accords de Minsk, le président Petro Porochenko s’était engagé auprès de son homologue Vladimir Poutine à écarter Igor Kolomoïski.

Son départ pourrait aussi servir les intérêts des séparatistes russes de l’est de l’Ukraine. Dans un registre semi-ironique, Alexandre Zakharchenko, le premier ministre de la république populaire de Donetsk a proposé à l’oligarque de proclamer la création de la « république Kolomoïski de Dniepropetrovsk » puisque, de fait, il reste le « propriétaire » de cette région.

La question est de savoir où Igor Kolomoïski pourrait désormais conduire ses affaires. La Suisse apparaît comme une terre de repli possible, même si comme l'a appris Mediapart, le « cas Kolomoïski » embarrasse fortement Berne.

En 2010, l’oligarque avait jeté son dévolu sur Genève. Sa femme et ses enfants y vivent et lui-même bénéficie d’un forfait fiscal. À l'automne dernier, son permis de séjour est cependant arrivé à échéance et une procédure a été lancée pour le renouveler. Or jusqu’ici les choses s’éternisaient. « Cela fait plusieurs mois que la Suisse a choisi, comme à son habitude, de ne pas trancher, elle ne dit ni oui ni non », explique une source, qui précise que « des pressions russes ont été exercées » pour que l’oligarque ukrainien ne puisse plus trouver refuge sur les bords du Léman. Son éviction devrait permettre de trancher plus facilement.

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