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26 avril 2015 7 26 /04 /avril /2015 17:42

http://www.alencontre.org/europe/espagne/etat-espagnol-regeneration-ou-rupture-podemos-ou-ciudadanos.html

http://www.eldiario.es/zonacritica/Regeneracion-Ruptura-Podemos-Ciudadanos_6_377322284.html

Régénération ou rupture, Podemos ou Ciudadanos

Par Emmanuel Rodriguez

Mardi 14 Avril 2015

« Réforme ou rupture », voilà sur quoi portait le débat au début de l’année 1976, soit après la mort de Francisco Franco, le 20 novembre 1975, et la constitution du premier gouvernement sous la responsabilité du roi Juan Carlos, le début du processus appelé « la transition ». Le franquisme parvenait à se rénover grâce à certains reptiles dont nous nous souvenons encore, Manuel Fraga Iribarne, José Maria de Areilza et Pío Cabanillas Gallas.

A gauche, surtout le Parti Communiste d’Espagne (PCE), mais aussi un éventail de partis, plus exactement de petits partis, luttaient pour briser le franquisme sans Francisco Franco au moyen d’un processus constituant qui apporterait une véritable démocratie au pays. Quelques mois passèrent et il se produisit ce que nous connaissons déjà. La rupture se transforma en une « rupture négociée », oxymoron pour désigner une période où ce qui se passa réellement fut la réforme d’Adolfo Suárez Gonzalez et de Torcuato Fernández Miranda Hevia.

Nous serions presque tentés de dire que l’histoire se répète bien que les termes, les sujets et les conditions soient tellement différents que cette comparaison peut à peine aller au-delà de ces intuitions que provoquent les rêves légers. L’irruption de Ciudadanos a été semblable à une gifle pour ceux qui pensaient que la voie était libre pour la « rupture », que souhaitait représenter, en principe, Podemos. On pourrait dire que Ciudadanos était quelque chose de prévu. Après tout, UPyD préparait depuis des années le terrain avec son langage de régénération et de transparence que seul le dégoût et l’antipathie générés par des personnages comme Rosa Díaz, ancien maire d’Estepona pour le Parti Populaire, dans la province de Malaga, conduisent à sa putréfaction avant de disparaître. Il suffisait donc de trouver un autre acteur et le pousser un peu pour qu’il occupe la niche politique qui avait déjà été aménagée. Il est inutile de dire que depuis plusieurs mois les partisans d’Albert Rivera, le dirigeant de Ciudadanos, se préparaient à sortir de Barcelone avec le même esprit qu’un groupe d’adolescents à la sortie des classes.

Avant de baisser la tête et de dire « zut, on ne comptait pas sur Ciudadanos », il faut toutefois considérer quelque chose de plus. Podemos a été et est beaucoup de choses. Mais, depuis le printemps et l’été 2014, après son « succès » inattendu aux élections européennes de mai 2014, après que fut connue l’avancée des intentions de vote pour cette formation, sondage après sondage, il s’est organisé autour d’une stratégie tellement audacieuse que l’on ne sait pas bien si elle ne peut être stoppée, en raison de son caractère brillant, ou si elle est hilarante, en raison de son ingénuité.

Lors de son succès initial, il y avait sans doute un peu des deux. Pour résumer beaucoup, Podemos a tenté de vaincre le régime, ou, pour le moins, les deux principaux partis, le Parti Populaire et le PSOE, là où il pensait être le plus fort, dans les médias, et dans les élections. Il comptait, pour cela, sur une condition de départ incroyable, le vide énorme qu’avait ouvert le mouvement du 15 mai 2011 et la vague de mobilisations qui suivirent.

Autour de cette stratégie s’est élaboré l’image et l’esprit d’un parti capable de se trouver au gouvernement au moment où l’on dépréciait, et y compris boycottait, quelque chose d’aussi indispensable que la construction d’une organisation ample et démocratique, articulée autour d’un nombre suffisant de cadres politiques. En accord avec l’hypothèse d’un assaut unique, Podemos souhaitait être transversal à tel point qu’il pourrait recueillir le vote de tous les indignés, des ceux de gauche et de droite, des professionnels et des chômeurs, des universitaires et des personnes n’ayant pas fait d’études supérieures, ceux qui sont bien payés et ceux qui sont précaires, les classes moyennes et les déclassés.

Une prétention à « l’universalité » similaire à une publicité de Coca-Cola dont l’on se souviendra peut-être, celle qui commençait, avec un accent de Buenos Aires, ainsi, « pour les gros, pour les maigres, pour les grands, pour les petits, pour ceux qui rient et pour ceux qui pleurent ».

A ce « Podemos pour tous », la publicité de Coca-Cola est intitulée « Coca-Cola pour tous », s’ajoutait un récit moyennement ambigu autour du message portant sur le « changement », tellement « vide » qu’il pouvait être rempli par l’imagination et les préférences de chacun. L’offensive, la radicalité et la fraîcheur du premier Podemos, qui fit que Pablo Iglesias atteint huit pour cent des voix lors des élections européennes, et cinq députés, se réduisirent ainsi à la répétition d’une attaque toujours moins efficace contre la « caste, la corruption et l’électoralisme ». La cerise sur le gâteau du projet était esthétique. Il se renforçait grâce à des chemises et des vêtements aussi blancs que la pureté de la « nouvelle politique », autre thème de Podemos, qui affirme rompre avec la « vieille politique », y compris, dans une certaine mesure, avec des traditions de gauche. Heureusement, cette virginité si blanche a été abandonnée en vertu d’un sens évident du décor.

Il y a désormais peu de doutes que nous cheminions vers un système quadripartite, le Parti Populaire, le PSOE, Ciudadanos et Podemos, qui s’offre à une grande variété de combinaisons. Avec ce scénario, il est improbable que Podemos obtienne une majorité suffisante en mai 2015, date des élections municipales ainsi que dans certaines communautés autonomes, ou en novembre 2015, date des élections générales, le remporte haut la main sur le PSOE après le coup de Susana Díaz en Andalousie. En d’autres termes, la stratégie d’atteindre le gouvernement d’un seul coup et, de là, appliquer un programme de transformation dont les contours ne se devinent pas bien peut être considérée comme un échec. Horreur, débandade, désenchantement, « on vous l’avait dit ». Seulement si on insiste sur l’hypothèse initiale.

L’opportunité de la rupture réside principalement sur la manière dont on interprète la temporalité du cycle politique. S’il est bref, on peut déjà le considérer comme perdu de la même manière que pointent les signes de reprise économique, ce qui est peu évident, la plus que prévisible fermeture de l’accès aux médias et l’émergence de Ciudadanos comme parti des gens de bien qui souhaitent continuer à l’être. Si l’on estime, cependant, que le vent arrière qui a saisi Podemos, et en général tous les paris de changement, est quelque chose de plus qu’une turbulence passagère, le débat stratégique devrait alors nécessairement être différent.

Pour revenir à Antonio Gramsci, Podemos peut encore servir de véhicule de rupture s’il se construit comme machine prête à la guerre de positions plutôt que pour une attaque éclaire contre une forteresse, celle du régime, disposant d’une plus grande capacité de résistance que prévu. Pour cela, il faudra sortir les autres Podemos qui, malgré la stratégie actuelle, se sont efforcés à résister au sein de Podemos.

De fait, les voix qui affirment à l’intérieur de la formation la nécessité de retrouver de la matière, divers éléments qui se solidifient mutuellement, et de l’agressivité dans le discours sont déjà nombreuses, en même temps qu’ils affirment l’urgence de l’ouverture et font appel à la disposition pour construire une organisation ayant une assise territoriale, sociale et technique suffisante pour affronter le défi d’un cycle politique tel qu’il est.

Pour le premier, il sera nécessaire de revenir au premier Podemos, celui qui a su lire la crise et condenser les énoncés du mouvement du 15 mai en un projet politique. C’était le Podemos de l’explosion du nombre de cercles que Pablo Iglesias représenta au cours du printemps et de l’été de 2014. Agilité, flexibilité du discours, ampleur du répertoire, c’est-à-dire une compétence politique et intellectuelle supérieure à celle de ses adversaires, poussèrent la formation à être le véhicule électoral de la rupture. Pour le second, la discussion, l’organisation et une capacité d’intervention réelle sur le terrain sont nécessaires, ce qui devrait obligatoirement conduire à une refondation radicale de Podemos ou, ce qui revient au même, à miser en faveur d’un « parti organique », un parti-mouvement similaire à ce qu’a prétendu construire Syriza.

Sans vouloir tomber dans des comparaisons mécaniques, il y a quelque chose dans cette conjoncture qui ressemble beaucoup à celle des années 1970. Alors, le PCE était le parti par excellence de l’opposition au franquisme et le seul disposant d’un rapport réel avec la vague sociale et démocratique, les mouvements de quartiers qui luttaient pour une amélioration des logements, les luttes au sein des entreprises, par le biais des commissions ouvrières, et les étudiants. En accord avec une lecture déterminée de la crise du franquisme, en 1975 et en 1976, la direction carrilliste vieillissante, en référence à Santiago Carrillo, se décida en faveur de la responsabilité et de la modération. La menace de l’implication des militaires, la surveillance des Etats-Unis et la forteresse de l’état franquiste, disait-on, bloquaient une issue qui ne soit pas celle de l’accord.

Par un virage controversé, les communistes non seulement acceptèrent la monarchie et le drapeau, ainsi que le lui a reproché tant de fois la gauche dans sa critique de la transition, mais quelque chose de bien plus important. Depuis les premiers mois de 1976, le PCE misa sur la démobilisation sociale, ajustant sa politique au rôle de garant de la transition et de son bon cours. Cette année, elle licencia ses militants, liquida les cellules de fabrique et de secteur professionnel, à proprement parler la machine de mobilisation qu’était le PCE, et adopta un modèle organisationnel voué uniquement à la réalisation de campagnes électorales.

S’inspirant du Parti Communiste Italien, le PCE espérait être le premier parti de la gauche espagnole et, en accord avec la nouvelle doctrine eurocommuniste, atteindre, à moyen terme, le gouvernement de l’état.

Les résultats de 1977 furent une déception. Dix pour cent des électeurs, significatifs mais impuissants, donnèrent leur soutien aux communistes. Un PSOE qui faisait moins la fine bouche et plus disposé à exploiter le verbiage radical obtint trente pour cent des voix. Plus qu’en toute autre période de l’histoire récente, le sort et la ruine postérieure de la gauche espagnole se jouèrent au cours de ces mois.

Aujourd’hui, les sondages électoraux donnent des marges plus amples que celles du PCE en 1977 ou en 1979, à nouveau dix pour cent, mais elles ne sont pas suffisantes pour gagner les élections. En termes historiques, le dilemme est étrangement familier, ou miser tout sur l’électoral, ou redéfinir complètement la stratégie autour d’objectifs plus complexes. Si l’on mise sur le second, il sera nécessaire de reconnaître que « gagner » dans un cycle politique de longue durée consiste à savoir construire des contre-pouvoirs, sociaux et institutionnels, capables de résister non seulement à l’émergence d’opération comme celle de Ciudadanos, mais aussi de soulever un espace politique nouveau. Un espace, radical démocratique ou néo-républicain, qui, à moyen terme, sache s’articuler comme une alternative sociale et politique consistante à la mal nommée démocratie espagnole. Il est à craindre que le temps des raccourcis rapides et spectaculaires soit arrivé à son terme.

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