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21 décembre 2015 1 21 /12 /décembre /2015 21:11

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article36727

Le Front National, ni Vichy, ni antisystème, « capitalo présidentialiste »

Par Hugo Melchior

Mardi 15 Décembre 2015

Les spécialistes du Front National que sont Nomma Meyer, Sylvain Crépon et Alexandre Dezé, dans la conclusion de leur excellent ouvrage collectif « les faux semblants du Front National », écrivent que « le Front National est le cas typique d’un parti antisystème, un parti qui évolue dans un système dont il ne partage pas les principes et les valeurs ». Ils rajoutent que celui-ci, malgré la succession de 2011 à la tête du parti, demeure un parti « hors normes et extrémiste ». De cette lecture, il nous est venu la question suivante, quelles sont ces fameuses normes du système que le Front National mariniste récuserait encore aujourd’hui ? De plus, que désigne cette notion de système ? Désigne-t-elle le mode de production capitaliste, productiviste et consumériste, le caractère républicain du régime politique français, les partis politiques traditionnels ou bien le triptyque républicain ?

Le Front National pro capitaliste

Pourtant, loin d’être un parti à l’idéologie révolutionnaire, contrairement à un Parti Socialiste défendant encore au congrès de Metz de 1979, une « stratégie de rupture avec le capitalisme », le Front National a toujours défendu, et défend encore à l’instar des deux autres grands partis du système français, la propriété privée de tous les moyens de production. Depuis ses débuts, il n’a eu de cesse de se poser en défenseur de la libre entreprise, du capitalisme concurrentiel et de la maximisation du profit. Le Front National a toujours défendu, y compris depuis que Marine Le Pen est devenue sa présidente, le maintien d’un secteur productif privé fort et compétitif. Et si le secteur public pouvait connaître une extension, elle serait modeste et l’on demeurait toujours dans une économie mixte avec une prééminence incontestable du secteur privé.

À côté de cela, il continue à récuser des propositions qui relèvent, selon ses propres mots, de « l’économie administrée ou soviétique », comme peut l’être l’interdiction des licenciements de salariés dans les entreprises pourtant bénéficiaires. De plus, contrairement à ce qui pouvait être défendu par l’ensemble des gauches dans les années 1970, le Front National ne compte nullement faire pénétrer la citoyenneté dans le monde du travail en remettant en cause l’unité de direction et commandement au sein des unités productives. Aussi, est-il improbable que les salariés français et étrangers puissent jouir de nouveaux droits qui leur permettraient d’avoir une meilleure maîtrise du procès de production. Le capitalisme, en tant que cadre fondamental de la vie des salariés français, ne risque donc pas d’être mis en accusation par le parti de Marine Le Pen.

Enfin, il ne cherche nullement à rompre avec le modèle fondé sur la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB). Le productivisme et le consumérisme, en un mot le « capitalocène », le capitalisme destructeur de l’environnement, ne font pas partie de son champ de réflexion. Au regard de ces faits, le Front National s’inscrit pleinement, à l’instar des autres partis politiques dominants, au sein du « consensus pro-capitaliste », pour reprendre une expression d’Alain Badiou.

Ainsi, par-delà les mesures « protectionnistes » qu’il prône pour protéger les travailleurs et les produits français, ce « souverainisme intégral », comme le nomme Nicolas Lebourg, le Front National fait preuve en dernière instance d’un conformisme idéologique patent en matière économique, ce qui le classe de ce point de vue non pas à gauche, mais bien à droite du champ politique, si l’on considère avec l’anthropologue Emmanuel Terray que « le fondement de la pensée de droite reste la défense de l’ordre établi ».

En effet, faut-il rappeler qu’une fois la question du régime politique républicain réglée au début des années 1880, c’est bien le rapport au mode de production capitaliste et la question sociale qui ont structuré la dichotomie entre la gauche et la droite en France. Le Front National depuis 1972, en dépit des évolutions depuis le début des années 1990, s’est toujours situé à droite au regard des réponses qu’il apporte à cette question centrale. Le Front National ne se présente en définitive que comme le défenseur d’un nouveau compromis social au sein de l’ordre capitaliste national dans lequel le salarié serait censé être mieux traité qu’il ne l’est dans l’ordre productif néolibéral et transnational, toujours en crise.

Le Front National pour la cinquième république

Le Front National ne compte nullement rétablir la monarchie dans sa forme la plus autoritaire, anti parlementaire, contre-révolutionnaire et catholique en France, a contrario de certains groupuscules d’inspiration maurassienne, comme le Renouveau Français ou l’Action Française. De plus, le Front National mariniste, contrairement aux derniers nostalgiques du régime de Vichy et autres néo fascistes du Parti Nationaliste Français, n’entend nullement dans son programme porter atteinte aux principes démocratiques structurants le système partisan en France, que ce soit les libertés publiques fondamentales, le droit de réunion, de presse, de manifestation et de grève, le suffrage universel intégral, le principe de l’alternance ou encore le pluripartisme.

Si Marine Le Pen dit vouloir changer certaines mauvaises habitudes dans la cinquième république, ce n’est pas pour sortir du régime présidentiel, cette « monarchie républicaine ». Elle ne dénonce jamais dans ses discours le « pouvoir personnel » découlant de la constitution gaullienne de 1958. Elle ne milite pas non plus en faveur d’un rééquilibrage réel entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif au profit de ce dernier et encore moins pour que soit mit fin à l’irresponsabilité permanente du président de la république. Mieux, le Front National de Marine Le Pen souhaite avant tout instituer un rapport direct entre le président et le peuple dans la tradition bonapartiste en court-circuitant les corps intermédiaires, jugés insuffisamment représentatifs des opinions, par l’usage répété du référendum sur le modèle suisse. Les électeurs du Front National, considérant être bien mal représentés dans les différents centres de décisions, ne peuvent qu’approuver le recours intensif à ce mode de délibération permettant aux citoyens et aux électeurs d’avoir le dernier mot dans le procès de fabrication des lois.

Avec elle au pouvoir, ce ne sera sans doute pas « le retour de Vichy », contrairement aux fantasmes du premier secrétaire du Parti Socialiste Jean-Christophe Cambadélis se noyant dans un antifascisme de mauvaise foi aux formules éculées, mais bien la survivance de cette « monarchie quinquennale ou septennale », si Marine Le Pen décide d’imposer, comme elle le préconise, un septennat non renouvelable.

Le Front National électoraliste et légaliste

Le Front National ne compte pas prendre le pouvoir autrement que par la médiation de la règle majoritaire. Les dirigeants du Front National n’ont jamais dit qu’ils considéraient la « marche de Rome » de 1922 ou la tentative de coup d’état raté d’Adolf Hitler à Munich en 1923, comme des modèles stratégiques à suivre dans la France de 2015 pour les « nationalistes et les patriotes » français.

Le Front National est une organisation exclusivement légaliste et électoraliste, une orientation qui lui est d’ailleurs vivement reprochée par d’autres organisations nationalistes. Il subordonne depuis le début sa stratégie de conquête du pouvoir au respect des règles du jeu structurant le champ politique en France. Les élections sont considérées non pas comme une simple tribune qui permettrait de conférer aux idées une large publicité, mais bien comme l’unique mode d’accès au pouvoir central.

Ainsi, il nous paraît que le terme « d’antisystème » pour caractériser le Front National en 2015 est un abus de langage qui ne correspond pas à la réalité. Son programme discriminatoire et xénophobe, immigration zéro et priorité nationale, ne peut pas être un élément suffisant pour faire de lui un parti « antisystème ». Sinon, il faudrait dire, pour ne prendre que cet exemple, que le Rassemblement Pour la République (RPR) et l’Union pour la Démocratie Française (UDF), au regard de leurs propositions développées lors des « états généraux de l’opposition » consacrés à l’immigration, des 31 mars et premier avril 1990 à Villepinte, furent aussi des organisations « antisystèmes ».

Rappelons-nous le temps où le RPR et l’UDF dénonçaient, à l’instar du Front National d’hier et d’aujourd’hui, que « la France ne doit pas être considérée comme un simple espace géographique sur lequel plusieurs civilisations pourraient coexister » et en appelaient alors clairement à « la fermeture des frontières et à la suspension de l’immigration ». Flirtant avec la « préférence nationale » toujours prônée sous un autre vocable par le Front National, la droite soi-disant républicaine allait jusqu’à s’interroger « s’il ne convient pas de réserver certaines prestations sociales aux nationaux ».

De notre point de vue, bien que le Front National puisse faire de cette posture antisystème une marque attractive sur le marché électoral, lui permettant de singulariser son offre politique, et qu’il soit perçu ainsi par des millions de français prêts à voter pour lui, il n’en demeure pas moins, qu’au regard du contenu de son programme, de son rapport à la légalité et de sa stratégie d’accès au pouvoir, le Front National ne nous paraît pas avoir les caractéristiques d’un « parti antisystème ». Le Front National a été diabolisé pendant des décennies par l’ensemble de la classe politique, cela ne l’a pas empêché de progresser spectaculairement.

Il nous semble urgent d’opérer un changement de stratégie dans la lutte menée contre lui, en le ramenant à ce qu’il est vraiment, c’est-à-dire un parti pro-capitaliste et pro-productiviste qui ne cherche nullement à refonder l’ordre institutionnel. En ce sens, il partage l’essentiel avec les deux grands autres partis vis-à-vis desquels il cherche continuellement à se situer. Ces trois partis ne sont évidemment pas interchangeables, il existe des différences incontestables entre eux. La question européenne constitue en cela une différence majeure. Elles rendent d’ailleurs impossible toute alliance à droite entre les Républicains et le Front National de Marine Le Pen.

Au lieu de l’ériger en mal absolu, de le faire passer pour un parti « pétainiste », ce qu’il n’est pas, et de l’exclure systématiquement du « cercle républicain », ce qui lui permet d’assumer opportunément une posture victimaire, il faut au contraire s’efforcer de le « banaliser ». Mais banaliser le Front National, ce n’est nullement se reconnaître dans ses valeurs réactionnaires, ni opter pour la stratégie de la triangulation en essayant d’apparaître comme une copie qui puisse être préférée à l’original. Bien au contraire, il s’agirait de s’en distinguer radicalement, en le renvoyant au conformisme de sa pensée et de son programme.

Il faudrait expliquer pourquoi le Front National doit être considéré comme une partie intégrante du fameux « système » qu’il prétend combattre, ce « système » jamais vraiment défini, mais qui n’est en fait rien d’autre que le « capitalo-présidentialisme » dont le Front National demeure toujours l’un des fervents partisans.

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