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4 février 2016 4 04 /02 /février /2016 21:02

http://delinquance.blog.lemonde.fr/2015/12/11/etat-durgence-trois-semaines-dassignation-a-residence-pour-une-meprise

Trois semaines d’assignation à résidence pour une méprise

Par Luc Leroux, correspondant du Monde à Marseille

Vendredi 11 Décembre 2015

« Une méprise commise sur la base d'une information qui était assez inquiétante », le ministère de l'intérieur a reconnu son erreur en ces termes et a abrogé, Mardi 8 Décembre 2015, l'arrêté qui assignait à résidence depuis Dimanche 15 Novembre 2015 un père de famille des Bouches-du-Rhône. Nacer, quarante ans, était tombé des nues lorsque les policiers avaient débarqué chez lui pour lui signifier une interdiction de quitter le territoire de la commune de Septèmes-les-Vallons, au nord de Marseille, où il vit avec ses quatre enfants et sa femme.

Jusqu’au Mardi 8 Décembre 2015, Nacer devait pointer quatre fois par jour, à 8 heures, à 11 heures, à 15 heures et à 19 heures, dans un commissariat situé dans le quinzième arrondissement de Marseille, à douze kilomètres aller-retour de son domicile. Cet homme sans histoire, jamais inquiété par la police, a appris par la même occasion qu'il faisait l'objet d'une fiche S et qu'il était suspecté de préparer des actes terroristes.

Dans son arrêté d'assignation, le ministère assurait que cet ancien employé d'une station de traitement des eaux de Veolia à Aix-en-Provence s'était « rendu sur le site sensible de chimie pour le traitement des eaux où il avait travaillé, sous un prétexte fallacieux, et s’était beaucoup intéressé aux lieux de stockage des produits sensibles, à leur mise en œuvre et à leur utilisation ». En clair, le ministère de l'intérieur laissait entendre qu'il soupçonnait Nacer de vouloir empoisonner l'eau courante.

« Ils m'ont dit que Veolia m'accusait »

Ce n’est pas rien, comme accusation. Nacer a effectivement travaillé de mars 2006 à mars 2009 comme agent du service assainissement à la station d'épuration de la Pioline, qui appartient à Veolia Eau. Puis il a été transféré comme chauffeur de bus pour le compte de Veolia Transport.

Depuis 2011, il est en arrêt de travail, en raison d'une maladie contractée durant son activité à la station d'épuration. « Il soutient que son ancien employeur l'a, à son insu, exposé à des contacts avec des eaux contenant des produits chimiques sans qu'il ait bénéficié de protections adéquates », explique son avocat, Laurent Bartoloméi. En mai 2013, le tribunal lui a reconnu une incapacité permanente partielle de vingt cinq pour cent et un rapport d'expertise médicale a été réalisé en janvier 2015.

Mais lorsqu’au mois de septembre 2015 les services du renseignement sont informés, « par son entourage », explique-t-on à la préfecture de police de Marseille sans vouloir en dire plus, que Nacer est repassé sur son ancien lieu de travail à la fin du mois d’août 2015, soit six ans plus tard, l'information est prise « très au sérieux ». Qui a informé les services ? Les policiers qui ont reçu Nacer, Mardi 8 Décembre 2015, juste avant l'abrogation de son assignation à résidence, ont fini par lâcher le morceau. « Ils m'ont dit que Veolia m'accusait », raconte Nacer, qui aurait donc été victime de son conflit avec son employeur.

Contactée, l'entreprise nous a confirmé être à l'origine du signalement, « il s'est présenté le 20 août 2015 et a annoncé qu'il allait récupérer des affaires. Il a cherché à avoir des informations sur la sécurité du site. Le responsable du site en a informé le commissariat de police d'Aix-en-Provence ».

Heureusement, les explications de Nacer ont été vérifiées et ont fini par convaincre les policiers. Le « prétexte fallacieux » qui l'a ramené à la Pioline est un banc de musculation. Nacer avait croisé un ancien collègue qui lui avait indiqué que le petit local de sport financé par tous les salariés était à l'abandon et que, s'il le voulait, il pouvait récupérer l'équipement. Sa visite n'a duré que dix minutes, durant lesquelles il était accompagné d'un salarié de la station. La présentation de la Pioline comme « un site sensible » ferait presque sourire Nacer.

Quant à son intérêt pour les produits chimiques, en janvier 2015, dans le cadre de la procédure de reconnaissance de sa maladie professionnelle, il a remis au médecin-expert un document de Veolia listant les produits chimiques utilisés à la station, liste réclamée par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM). L'expert lui a alors dit que « je regarderai sur internet », ce qui a incité Nacer à faire de même. Sur son moteur de recherches, il a tapé « produits chimiques pour traitement des eaux ». A peu de chose près l'expression retrouvée dans l'arrêté du ministre, « chimie du traitement des eaux ».

Sa femme bénévole au Secours Catholique

« L'information que nous avions eue était assez inquiétante et la prudence conduisait à prendre cette décision », justifie le préfet de police de Marseille, Laurent Nunez. Le préfet est chargé de la gestion de la douzaine d'arrêtés ministériels d'assignation à résidence pris dans les Bouches-du-Rhône, dont au moins un cible un mineur. « Le ministre nous a demandé de nous préoccuper des difficultés que ces personnes peuvent rencontrer, notamment dans l'exercice de leur activité professionnelle et d'éventuellement modifier les horaires de pointage », précise Laurent Nunez. Le préfet avait ainsi accordé les sauf-conduits réclamés par Nacer pour se rendre à ses rendez-vous médicaux et chez son avocat dont le cabinet se trouve à Marseille.

Dès le premier décembre 2015, dans plusieurs courriers adressés au ministère, Laurent Bartoloméi avait évoqué « une méprise totale ». Il joignait une série d'attestations présentant son client comme « un musulman modéré et tolérant ne pratiquant ni n'ayant jamais pratiqué un islam radical. Il se rend à la mosquée de manière irrégulière, souvent le vendredi, et n'a jamais fréquenté de musulmans intégristes, ni les milieux islamistes. Il respecte toutes les religions ».

« Dans le quartier, il passerait plutôt pour un mauvais musulman », sourit une responsable du Secours Catholique, où l'épouse de Nacer est bénévole. Cette dernière n'a jamais porté le voile et ne fréquente pas la mosquée.

C'est qui ce barbu

Aujourd'hui, Nacer répète comme un leitmotiv, « je n'ai aucun reproche à faire aux forces de l'ordre qui ont fait leur travail ». Même ceux qui, casqués, munis de boucliers, ont forcé sa porte le 19 novembre 2015 pour une perquisition, quatre jours après son assignation. Ce matin-là, Nacer était déjà parti à son premier pointage de la journée. Son épouse raconte que les policiers ont regardé tous les papiers et se sont arrêtés devant les médailles acquises par Nacer durant son passage dans l'armée française, épinglées avec trois punaises, une bleue, une blanche et une rouge. Ils ont pris une photo du coran et se sont inquiétés de voir une gravure représentant Léonard de Vinci, « c’est qui ce barbu ».

A Septèmes les Vallons, la solidarité s'est vite mise en place pour regrouper un peu d'argent afin de prendre un avocat et de payer l'assurance de la moto que Nacer a dû sortir du garage. « S'il avait dû aller au commissariat en transport en commun, il lui aurait fallu huit heures de bus par jour et il n'aurait pas eu le temps de rentrer chez lui entre deux pointages », précise la responsable du Secours Catholique.

Le cauchemar de Nacer n'est pas pour autant près de s'effacer, des voisins ne me disent plus bonjour. Ils ont tous vu que les cars des Compagnies Républicaines de Sécurité (CRS), c'était pour moi. On a détruit ma vie ». Il est persuadé qu'il va devoir déménager. Et, « même si les policiers ont été gentils avec eux », ses enfants sont suivis désormais par un psychologue. La nuit, le cauchemar de leur père devient le leur.

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