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21 mai 2016 6 21 /05 /mai /2016 19:33

http://www.resistanceinventerre.wordpress.com/2016/03/17/culture-le-crepuscule-des-intellectuels-francais-de-zola-a-houellebecq

http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/03/14/le-crepuscule-des-intellectuels-francais_4882337_3232.html

D'Emile Zola à Michel Houellebecq, le crépuscule des intellectuels français

Par Nicolas Truong

Jeudi 17 Mars 2016

Hier, Jean-Paul Sartre exhortait ses contemporains à combattre aux côtés des damnés de la terre.

Aujourd’hui, face à la crise des réfugiés, des chroniqueurs hebdomadaires prônent la fermeture des frontières. Lors des grandes grèves de 1995, Pierre Bourdieu défendait les cheminots réunis à la Gare de Lyon, parce qu’ils luttaient contre « la destruction d’une civilisation ».

A présent, la réforme du code du travail ou la prolongation de l’état d’urgence sont acceptées par l’intelligentsia dans une relative indifférence. Mais comment en est-on arrivé là ? Comment est-on passé d'Emile Zola à Michel Houellebecq, d'Albert ­Camus à Michel Onfray, de Michel Foucault à Alain Finkielkraut et de Jean Paul Sartre à Eric Zemmour, c’est-à-dire, pour tous ceux que ce glissement désespère, de la défense des opprimés à celle des barbelés, de l’éloge de la diversité à celui de l’identité ?

Dans un livre érudit et autobiographique, politique et polémique, « la fin de l’intellectuel français, d’Emile Zola à Michel Houellebecq », l’historien israélien Shlomo Sand se penche sur l’histoire d’un déclin et l’aventure d’une déchéance. Pourtant, ce fils de femme de ménage qui savait à peine lire et d’un militant communiste qui ne dépassa pas l’école primaire, a longtemps rêvé de faire partie du sérail. Adolescent, il a même souhaité devenir l’un de ces mandarins portraiturés par Simone de Beauvoir. Mais ce partisan de la cause palestinienne n’a cessé de déchanter. Jeux troubles lors de la collaboration, aveuglement face au stalinisme ou aux pathétiques engouements maoïstes, la statue de l'intellectuel français se mit rapidement à s'effriter.

Seuls quelques phares, tels l’écrivain surréaliste André Breton, la philosophe chrétienne Simone Weil et le marxiste libertaire Daniel Guérin, auxquels il dédie son ouvrage, ont su s’engager dans le siècle sans se compromettre. Et continuent à le guider dans la bataille des idées, à l’aider à se ressourcer au lendemain des combats perdus et des révolutions manquées.

Puisque l’intellectuel français préfère aujourd’hui la posture réactionnaire à la rhétorique révolutionnaire, Shlomo Sand trace sa généalogie et dresse quelques typologies. A la fois étranger et familier de notre pays, il insiste sur la singulière centralité de Paris où les écrivains français publient, rayonnent et protestent.

Ainsi fait-il observer que l'existentialisme ou le structuralisme ne sont pas nés en France mais dans sa capitale, contrairement à tant de mouvements intellectuels décentralisés à l'étranger, comme la théorie critique de Francfort ou l'école sociologique de Chicago.

Ainsi rappelle-t-il également la bienveillance du pouvoir à l’égard des mandarins et normaliens, bien au-delà des clivages idéologiques, comme en atteste la célèbre phrase de Charles de Gaulle à propos de Jean Paul Sartre qui appelait les soldats français à refuser de servir en Algérie et que la droite voulait faire taire, « on n’emprisonne pas Voltaire ».

Sans vouloir tomber dans la complainte du « c’était mieux avant », Shlomo Sand cible, dans deux chapitres assassins, les idéologues du « tout fout le camp ». Certes, le crépuscule de l’intellectuel critique est évident depuis la mort de Jean Paul Sartre, de Claude Bourdieu et de Michel Foucault.

D’autant que l’ultra médiatisation des intellectuels a largement domestiqué cette figure de la contestation. Mais l’auteur n’accepte pas que le déclinisme ait aujourd’hui remplacé le progressisme et que l’islamophobie ait supplanté l’antiracisme.

Polémiste outrancier

Marqué par la judéophobie dont fut victime une partie de sa famille, Shlomo Sand traque la manifestation de la pensée islamophobe française. De son point de vue, elle se manifeste dans « soumission », le roman de Michel Houellebecq qui, soutient-il, susciterait la réprobation générale si l’on y remplaçait le mot « musulman » par celui de « juif ».

Elle se manifeste dans le Charlie Hebdo de Philippe Val qui, assure-t-il, caricaturait l’islam comme le faisaient les journaux antisémites de l’entre-deux-guerres avec le judaïsme. Elle se manifeste dans le slogan « je suis Charlie, enfin, derrière lequel se cachait une façon finalement assez peu fraternelle de dire je suis français, c’est-à-dire membre de l’Europe blanche ».

Mais l’analyste distancié se fait polémiste outrancier. Plus péremptoire encore que le démographe Emmanuel Todd, Shlomo Sand n’a même plus besoin de cartographie pour soutenir que c’est l’islamophobie qui fit défiler des millions de personnes le Dimanche 11 janvier 2015, non plus inconscientes de leur comportement de « catholiques zombies » cette fois-ci, mais mues par leur franche xénophobie. Son aversion pour le thème de l’identité lui fait oublier que la fièvre identitaire gagne la planète entière et non pas qu’une poignée de néo céliniens cathodiques. Qu’elle touche aussi les mouvements « décoloniaux », comme le Parti des Indigènes de la République (PIR), dont Shlomo Sand reprend sans recul la rhétorique identitariste, qualifiant Alain Finkielkraut et Eric Zemmour de « souchiens ».

Guidé par sa haine de la haine de l’autre, il ne voit pas que les anciens cadres de pensée, le culturalisme comme le post colonialisme, peinent à saisir notre chaos. S’il montre comment l’anti islamisme a remplacé l’anti communisme chez certains intellectuels néo conservateurs, Shlomo Sand se contredit lui-même en leur accordant une place démesurée et en ne citant aucun des jeunes auteurs qui tentent de redessiner une figure de l’intellectuel engagé.

Surtout, Shlomo Sand réalise en pratique ce qu’il dénonce en théorie. Et il ne parvient à se départir de la nostalgie d’un âge d’or perdu de la contestation. Fidèle au début de son livre, il n’aurait pas dû s’éloigner de la recommandation de son maître André Breton, « en matière de révolte, aucun de nous ne doit avoir besoin d’ancêtres ».

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