Les peu discrètes allées et venues d’un dix neuf tonnes blanc
Par Tonino Serafini
Jeudi 21 Juillet 2016
Mohamed Lahouaiej Bouhlel a effectué plusieurs repérages les jours précédant son acte, dans un périmètre pourtant strictement interdit aux poids lourds.
C'était le 19 janvier 2015, devant le conseil municipal de Nice, moins de deux semaines après l’attentat contre Charlie Hebdo. A la tribune, Christian Estrosi, à l’époque maire des Républicains de la ville, fanfaronne, « aujourd’hui, grâce à notre réseau de neuf cent quatre vingt dix neuf caméras et une caméra pour trois cent quarante trois habitants, à Paris, il y en a une pour mille cinq cent trente deux habitants, je suis à peu près convaincu que si Paris avait été équipé du même réseau que le nôtre, les frères Kouachi n’auraient pas passé trois carrefours sans être neutralisés et interpellés ».
Sous-entendu, le système de vidéo surveillance généralisée est très efficace contre les auteurs d’attentats.
Pourtant, le Mardi 12 Juillet et le Mercredi 13 Juillet 2016, Mohamed Lahouaiej Bouhlel a pu faire tranquillement ses repérages sur la promenade des Anglais au volant de son dix neuf tonnes, stationnant devant des palaces et effectuant des allers et retours au vu des caméras et au su des agents de la police municipale niçoise qui sont derrière les écrans, sans que personne ne s’en préoccupe et sans qu’aucune alerte ne soit donnée, alors que les gros camions sont interdits de circulation sur cet axe tout au long de l’année.
« Mardi 12 Juillet 2016, Mohamed Lahouaiej Bouhlel est filmé en train de pénétrer dans son camion à 6 heures du matin. Il traverse Nice d’est en ouest, il rejoint la promenade des Anglais, il stationne devant l’hôtel Negresco et il met ses warnings », avait détaillé, Lundi 18 Juillet 2016, le procureur de la république de Paris, François Molins. Mercredi 13 Juillet 2016, il effectue le même parcours à 22 heures. Pourquoi personne ne s’est inquiété de la présence de cet étrange camion ? Jusqu’ici, la communication de Christian Estrosi a consisté à pointer des failles de la police nationale, en évitant les questions sur sa police municipale.
Pourtant, là aussi, il y a eu des manquements, un arrêté municipal du 29 septembre 2014 interdit clairement la circulation aux véhicules de plus de trois tonnes et cinq cent kilogrammes sur la promenade des Anglais.
Le ravitaillement des commerces et hôtels est effectué «par des petits camions», indique Patrick Mortigliengo, patron d’une société de transports de Carros, à vingt cinq kilomètres de Nice, et président départemental de la Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR). Pour lui, les choses sont claires, « les poids lourds sont interdits sur la promenade des Anglais ». Pour qu’un gros camion puisse y accéder, déménagement ou transport de matériaux volumineux pour les chantiers, il faut obtenir une dérogation auprès des services municipaux.
« Je ne m’explique pas que ce camion ait pu circuler en un lieu et en des jours où il est strictement interdit de le faire sans que personne ne s’en inquiète derrière les écrans de vidéo surveillance de la police municipale », note Marc Concas, conseiller municipal de Nice et membre du groupe radical et divers gauche, qui « demande une enquête ». Avocat à la ville, son cabinet défend trois membres d’une famille victimes la tuerie, l’une est morte, deux autres ont été blessées. Jeudi 21 Juillet 2016, Libération a tenté sans succès de joindre Jean-Michel Truglio, le directeur de la police municipale.
Au lendemain du drame, Christian Estrosi donnait des leçons en matière d’état d’urgence, « cela veut dire que vous êtes censés regarder quelles sont les armes préconisées par l’ennemi pour vous abattre et que vous prenez donc toutes les précautions pour pouvoir contrecarrer l’utilisation de ces armes ». Jeudi 14 Juillet 2016 au soir, « l’arme préconisée » était un camion qui avait circulé les jours précédents sur la promenade des Anglais au vu des caméras.