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6 juillet 2016 3 06 /07 /juillet /2016 19:11

http://www.liberation.fr/debats/2016/06/27/le-brexit-cet-anti-grexit_1462429

Le Brexit, cet anti-Grexit

Par Etienne Balibar

Lundi 27 Juin 2016

Faible, Athènes a été ostracisé à l’intérieur des frontières de l’Union Européenne. Il y a fort à parier que le processus sera inverse pour les britanniques, la géométrie du système européen s’adaptera pour les réintégrer par la bande.

Loin de moi l’idée de minimiser le caractère dramatique des conséquences que va entraîner le vote du Royaume-Uni, pour les britanniques et pour l’Europe. Mais je suis frappé de la façon dont les titres de la presse française et étrangère nous présentent les choses, « après le Brexit ».

A de rares exceptions près, tous semblent tenir pour acquis que le divorce a eu lieu. En réalité, nous entrons certainement dans une phase de turbulences, mais dont l’issue n’a rien de clair.

C’est cette incertitude que je voudrais essayer de commenter et d’interpréter. Nous le savons bien, comparaison n’est pas raison, et cependant comment ne pas rappeler que, dans l’histoire récente de la politique européenne, les référendums nationaux ou transnationaux ne sont jamais mis en application. Ce fut le cas en 2005 et en 2008 à propos de la constitution européenne et du traité de Lisbonne, plus encore évidemment en 2015 à propos du mémorandum imposé à la Grèce. Il en sera très probablement de même cette fois-ci.

La classe dirigeante britannique, par-delà les conflits de personnes qui l’ont divisée tactiquement, est à la manœuvre pour retarder l’échéance et négocier au mieux les termes de la sortie. Certains gouvernements, le gouvernement français en tête, ainsi que les porte-parole de la commission européenne, multiplient les rodomontades, « out c’est out » et « leave means leave ». Mais l’Allemagne ne l’entend pas de cette oreille et il n’y aura aucune unanimité, sauf de façade.

Le plus vraisemblable, au terme d’une période de tensions, dont l’issue ne sera pas tant déterminée par les opinions publiques que par les fluctuations des marchés financiers, c’est que nous aboutirons à la fabrication d’une nouvelle géométrie du système des états européens, dans lequel l’appartenance formelle à l’Union Européenne sera toujours compensée par d’autres structures, la zone euro, mais aussi l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), le système de sécurité aux frontières qui succédera à Schengen et une zone de libre échange à définir en fonction des rapports de force économiques. De ce point de vue aussi la comparaison entre le Grexit et le Brexit peut s’avérer instructive. La faiblesse de la Grèce, abandonnée par tous ceux qui, logiquement, auraient dû soutenir ses revendications, a mené à un régime d’exclusion intérieure.

La force relative du Royaume-Uni, qui peut compter sur de solides appuis dans l’Union Européenne, conduira sans doute à une forme accentuée d’inclusion extérieure. Est-ce à dire qu’aucun tournant ne vient d’être pris ?

Evidemment non, examinons brièvement le côté anglais et le côté européen, avant de dire pourquoi ils ne sont pas séparables, mais représentent les deux côtés d’une même médaille.

Il est évident que l’histoire particulière de la Grande-Bretagne, son passé impérial et son histoire sociale faite de renversements brutaux, doivent être pris en compte pour expliquer l’émergence d’un sentiment anti européen hégémonique. Les analyses qui nous sont proposées montrent que celui-ci recouvre une extraordinaire diversité de mobiles, répartis selon des facteurs de classe, de génération, de nationalité et d’ethnicité.

Potentiellement, ils sont contradictoires entre eux et c’est cette contradiction que recouvre le discours souverainiste qui a été manipulé par les partisans du Brexit. Nous devons donc nous poser la question de savoir pendant combien de temps il sera en mesure de masquer le fait que, tout particulièrement, les ravages économiques et sociaux dont sont aujourd’hui victimes une proportion croissante des nouveaux pauvres du Royaume Uni sont dus aux effets cumulés des politiques néo libérales que l’Union Européenne n’a pas imposées seule à la Grande-Bretagne, puisque celle-ci en a été au contraire, dès l’époque de Margaret Thatcher, puis celle de Tony Blair, un des plus actifs soutiens pour l’Europe entière. Par lui-même, le Brexit, quelles qu’en soient ses modalités, n’apportera aucun correctif à cette situation. Sauf si, évidemment, une politique alternative devenait majoritaire. Mais il faudrait pour cela, et ce n’est pas le moindre paradoxe de la situation, qu’elle ait sa contrepartie sur le continent, car la loi de la concurrence entre les territoires va s’imposer plus que jamais.

Ce qui nous mène au côté européen. Toutes spécificités dûment prises en compte, aucun des problèmes qui frappent le Royaume-Uni n’est absent des nations européennes. C’est ce qu’il y a de vrai dans la propagande populiste du ni droite ni gauche qui se déchaîne maintenant dans toute l’Union Européenne, réclamant des référendums sur le modèle anglais.

Déjà en 2005, le chancelier Helmut Schmidt avait observé que, sauf exception, des consultations sur le modèle français et néerlandais auraient donné partout des résultats négatifs. La crise de légitimité, le retour du nationalisme et la tendance à projeter le malaise social et culturel sur un ennemi de l’intérieur ciblé par des partis xénophobes et islamophobes, se sont développés partout. La crise grecque a été utilisée par des gouvernements acquis à l’austérité sociale pour faire de la dette publique le fantasme des contribuables. La crise des réfugiés a été amalgamée avec les questions de sécurité. En clair, ce qui se manifeste outre-Manche comme séparatisme se traduit partout en Europe comme tendance à l’éclatement des sociétés et à l’aggravation de leurs fractures internes et externes.

Disons mieux, nous avons franchi un seuil dans le processus de désagrégation de la construction européenne, non pas à cause du vote britannique, mais en raison de ce qu’il révèle de tendances à la polarisation de l’ensemble européen et de crise politique, qui est aussi morale. Non seulement, comme je l’ai écrit, nous sommes dans un inter règne, mais nous assistons à un processus destituant qui, pour l’instant, n’a pas de contrepartie constituante.

Sommes nous impuissants, c’est toute la question. A court terme, je suis très pessimiste, parce que les discours de refondation de l’Europe sont entre les mains d’une classe politique et technocratique qui n’envisage aucune transformation des orientations qui lui assurent la bienveillance du pouvoir occulte, celui des marchés financiers, et ne veut pas réformer en profondeur le système de pouvoir dont elle tire son monopole de représentation. Et par voie de conséquence, la fonction de contestation est assumée par des partis et des idéologues qui tendent à détruire les liens entre les peuples, ou plus généralement les résidents, européens. Il faudra une très longue marche pour que se conjuguent et se précisent aux yeux d’une majorité de citoyens, à travers les frontières, l’étroite interdépendance entre souveraineté partagée, démocratie transnationale, alter mondialisation, codéveloppement des régions et des nations et traduction entre les cultures. Nous n’en sommes pas là et le temps court. Raison de plus, si nous croyons à l’Europe, pour en poursuivre l’explication sans relâche.

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