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4 octobre 2016 2 04 /10 /octobre /2016 19:27

http://www.liberation.fr/planete/2016/09/29/avec-corbyn-le-labour-voit-rouge_1514983

Avec Jeremy Corbyn, le parti travailliste britannique voit rouge

Par Sonia Delesalle-Stolper, envoyée spéciale de Libération à Liverpool

Jeudi 29 Septembre 2016

La réélection de Jeremy Corbyn à la tête du plus gros parti d’Europe, grâce notamment aux voix des jeunes, oblige les travaillistes à composer entre centristes et tenants d’une ligne plus à gauche.

C’est une messe, la célébration d’un culte. La liturgie est enflammée, les orateurs écarlates et les fidèles en extase. « Jeremy Corbyn, c’est vous, c’est nous et, pour la première fois, ensemble, nous pouvons changer le monde », s’époumone Ian Hodson, président du syndicat des boulangers, Bakers, Food and Allied Workers Union. Dans cette ancienne église de Liverpool transformée en centre artistique, la ferveur est palpable. « C’est le moment politique le plus excitant de toute ma vie », murmure Alexander Connell. Avec plusieurs centaines d’autres convaincus, il assiste religieusement aux débats organisés par Momentum, mouvement né il y a un an pour soutenir la candidature de Jeremy Corbyn à la tête du parti travailliste britannique.

Momentum, devenu un élément incontournable de la machine à gagner du leader du parti travailliste réélu triomphalement Samedi 24 Septembre 2016, a organisé un congrès parallèle au congrès annuel officiel du parti travailliste. Il l’a baptisé « festival du monde transformé ».

Chaque jour, de longues files d’attente se forment à l’entrée du centre Black E, à un kilomètre du centre de conférence de Liverpool. Un an après l’élection surprise de Jeremy Corbyn, soixante sept ans, quelques jours après sa large réélection incontestée, avec soixante deux pour cent des voix, le parti travailliste ne sait plus où donner de la tête. Plusieurs mondes parallèles semblent circuler en son sein et ne se croiser que rarement.

Le 6 mai 2015, à la veille des élections qui allaient reconduire le conservateur David Cameron au pouvoir, le parti travailliste comptait deux cent deux mille membres. Au mois de janvier 2016, six mois après l’élection de Jeremy Corbyn, il rassemblait trois cent quatre vingt huit mille quatre cent membres. Aujourd’hui, ils sont cinq cent cinquante mille. Et l’objectif avoué est d’atteindre le million. Le parti travailliste est désormais, en nombre d’adhérents, le plus grand parti politique d’Europe. En 1997, au plus fort de la Blairmania, il comptait quatre cent cinq mille membres. Et pourtant, cent soixante douze des deux cent trente députés travaillistes n’accordent pas leur confiance au chef de leur parti. Comment réconcilier cette incohérence ? Alex Connell, trente et un ans, chercheur en philosophie, ne s’est pas rendu dans le grand centre du congrès officiel, sur les magnifiques quais rénovés du port de Liverpool. « Dégoûté par le New Labour de Tony Blair », il n’est revenu à la politique que « l’an dernier, pour la première élection de Jeremy Corbyn, il m’a redonné envie d’y croire ». Au festival de Momentum, il se sent bien. Dans la grande salle à la lumière tamisée, les murs sont décorés de tentures à la gloire de Jean Charles de Menezes, un jeune brésilien abattu par erreur par la police au lendemain des attentats à Londres en 2005. Sur une table, une série d’ouvrages à la gloire de Karl Marx et de Jeremy Corbyn sont offerts au quidam. Des tasses à thé, dont une affichant un beau rat et le slogan « les conservateurs sont pires que de la vermine », sont aussi en vente.

La foule est très diverse, avec une majorité de jeunes de moins de trente cinq ans, qui n’ont connu que le New Labour centriste de Tony Blair, et de plus âgés, au-dessus des soixante ans, qui se sont sentis oubliés par ce New Labour. La tranche d’âge intermédiaire est nettement moins bien représentée. Les critiques ont qualifié Momentum et ses partisans de « néo trotskistes ». La réalité est plus nuancée. Le mouvement attire et est dirigé par une grosse frange de tenants de l’extrême gauche. Mais les adhérents sont aussi des curieux, des déçus de la politique et des enthousiastes qui rêvent de changer le monde.

« C’est difficile aujourd’hui de trouver une alternative au néo libéralisme, la clé est là et Jeremy Corbyn pourrait être la solution », confie Chris Ward, trente trois ans, qui travaille dans l’éducation et vient seulement de rejoindre Momentum. Voici que s’avance sur scène un héros. John Mac Donnell, bras droit de Jeremy Corbyn, son chancelier de l'échiquier, ministre des finances, dans le cabinet fantôme, est ovationné. « Je suis venu vous dire merci, merci pour tout ce que vous avez fait », dit-il. Certains voient dans John Mac Donnell la véritable force derrière Jeremy Corbyn. Son style abrupt surprend parfois. A la chambre des communes, il a balancé à la figure de George Osborne, l’ancien chancelier de l'échiquier, le petit livre rouge de Mao Tsé Toung. Plus récemment, il a appelé au « lynchage » d’une députée conservatrice et refusé de s’excuser. Mais ce soir, il n’est que compromis et calme. Il reconnaît des « erreurs dans la manière de communiquer de l’équipe de Jeremy Corbyn » et il explique qu'il apprend « sur le tas ». Surtout, il appelle à la réconciliation après un été où le parti travailliste s’est déchiré comme jamais. « Les conditions sont là pour s’unir », dit-il.

Sauf que, à peine parti, les intervenants parlent des « traîtres qui vont le regretter », les députés qui ont refusé de suivre Jeremy Corbyn, et évoquent les purges et les suspensions arbitraires. Les médias sont, eux, vilipendés, accusés, pas totalement à tort, d’avoir toujours critiqué Jeremy Corbyn.

Dans les couloirs du centre de conférence, Phillippa Egerton, artiste peintre de soixante douze ans, est un peu éberluée. « Je ne reconnais personne », explique-t-elle. En fait, elle ne reconnaît plus son parti, « l’atmosphère est franchement schizophrène ». Elle est membre du parti travailliste depuis toujours ou presque, « je distribuais déjà des prospectus pour Harold Wilson », emblème du travaillisme britannique, premier ministre entre 1964 et 1970, puis entre 1974 et 1976.

Aujourd’hui, elle ne sait plus à quel saint se vouer. « L’an dernier, j’ai voté pour Yvette Cooper, une blairiste, comme leader. Cette année, j’ai voté pour Jeremy Corbyn, il faut accepter qu’il soit le leader incontesté », explique-t-elle. « Et puis il est resté proche des ouvriers, des syndicalistes et de ceux qui ont pu se sentir oubliés par les politiques de Tony Blair, de Gordon Brown et des tories évidemment ».

Le problème est que tout le monde n’est pas de son avis. Surtout les députés, eux aussi élus, mais pas uniquement par des membres du parti travailliste. Or, ces députés estiment que Jeremy Corbyn n’est pas forcément intéressé par un retour du parti travailliste au pouvoir mais, à l’instar d’un Bernie Sanders aux Etats-Unis, plus par la construction d’un gigantesque mouvement social d’activistes. Pour eux, les élections se gagnent au centre et le discours très à gauche de Jeremy Corbyn ne pourrait séduire un nombre suffisant des quarante six millions d’électeurs pour ramener le parti travailliste au pouvoir. Pour Sadiq Khan, le nouveau maire de Londres, fort d’un mandat démocratique direct au poids supérieur à celui de Jeremy Corbyn, il a été élu avec un million trois cent mille voix, Jeremy Corbyn avec deux cent cinquante et un mille voix, le changement ne peut intervenir qu’après avoir gagné des élections. Dans son discours, il aura martelé le mot « pouvoir » à trente huit reprises.

Au cours des cinq jours du congrès, les intervenants se sont succédé sans que jamais n’apparaisse une politique et une vision cohérente pour le parti travailliste. Les divergences sont nombreuses, sur le nucléaire, le bilan du New Labour, l’économie et l’immigration. Le Brexit, peut-être le sujet le plus important pour le Royaume-Uni durant les prochaines années, n’a même pas été abordé officiellement. Jeremy Corbyn en a vaguement fait mention dans son discours final. Et il a refusé d’envisager une limite à l’immigration, alors que certains députés évoquent la nécessité de « prendre en compte le sentiment des électeurs ». En revanche, la multitude de débats parallèles sur le Brexit a à chaque fois attiré les foules mais, comme au sein du gouvernement conservateur, la ligne à adopter reste de l’ordre du flou artistique.

Dans son discours de clôture, Jeremy Corbyn a appelé à la « fin de la guerre de tranchées » au sein du parti travailliste. Les députés rebelles se tâtent pour savoir s’ils doivent rentrer dans le rang. La constitution de sa nouvelle équipe, dans les deux prochaines semaines, devrait apporter un début de réponse. Jeremy Corbyn a aussi dit avoir bien l’intention de remporter les futures élections, prévues en 2020. « Je ne vois pas Jeremy Corbyn gagner », conclut pourtant Phillippa Egerton. « Mais en même temps, il y a un an, David Cameron semblait intouchable. Et regardez Donald Trump qui chatouille Hillary Clinton, nous ne savons jamais ».

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