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29 octobre 2016 6 29 /10 /octobre /2016 15:19

 

https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/281016/contre-le-coup-de-force-non-l-impunite-policiere-et-au-permis-de-tuer

 

Contre le coup de force, non à l’impunité policière et au permis de tuer

Vendredi 28 Octobre 2016

Une quarantaine de personnes, intellectuels, universitaires, membres de collectifs et proches de victimes, signent une tribune pour dire pourquoi ils ne partagent pas la colère des policiers et dénoncent leurs manifestations.

Depuis dix jours la situation politique en France a connu un nouveau mouvement à droite. Les événements de Viry-Chatillon ont suscité un emballement médiatique présentant les policiers comme des victimes de la crise profonde, sociale, idéologique et politique, qui affecte le pays, emballement accompagné par un programme de revendications proprement réactionnaires.

Le fond des revendications policières, réprimer encore plus, avec encore plus d’impunité

Les deux mille à trois mille policiers qui ont manifesté à Paris, Lyon, Bordeaux, Toulouse ou encore Strasbourg, depuis le Mardi 18 Octobre 2016, disent effectivement quelque chose de ce qui se passe dans notre pays. Manifester de nuit, cagoulés et armés, constitue pour des membres de la police un acte d'insubordination important. Mais on ne leur en tient pas rigueur, leur malaise est compréhensible et leur colère est légitime, entend-on partout. D'aucuns prétendent que les policiers, à l'instar d'autres salariés du public ou du privé, se mobiliseraient pour obtenir une amélioration de leurs conditions de travail, afin de pouvoir mieux accomplir leur mission. Mais de quelle mission, de quelles revendications parle-t-on ? Aller vers encore plus d'impunité, obtenir une présomption de légitime défense, en finir avec le matricule, bâtir une société encore plus carcérale, restaurer des peines planchers, en finir avec la pratique du sursis et supprimer le juge d'application des peines. Bref, il faudrait que la « racaille », comme ils disent, ait peur. Ils veulent des moyens matériels et humains supplémentaires pour réprimer, au fond, rien d’autre qu’un simple permis de tuer en toute impunité, sans risquer d'être inquiétés et encore moins traduits en justice et condamnés, ce qui par ailleurs est déjà la règle.

Hasard ou non du calendrier, les policiers ont choisi le Mercredi 26 Octobre 2016 pour exprimer leur colère. Une colère de ne pas pouvoir jouer encore plus librement un rôle qui est certes sensible mais qui, justement, l’est parce que son véritable contenu est de faire respecter l’ordre sécuritaire d’une société qui craque de partout, sous le poids de l’injustice, de la misère, de l’exploitation et, en particulier dans les quartiers populaires, d’un racisme chronique. Non, le 26 octobre 2016 était et reste pour nous jour de mémoire et d’hommage à Rémi Fraisse, jeune étudiant écologiste tué par une grenade de gendarme à Sivens il y a deux ans, tout simplement parce qu’il manifestait contre un projet de barrage qui n’est même plus, aujourd’hui, considéré comme d’intérêt public. Et le 27 octobre 2016 est un autre jour de deuil, celui de la mort à Clichy sous Bois de Zyed et Bouna, en 2005. Octobre, mois de deuil, nous nous souvenons aussi du 17 octobre 1961 quand, lors d’une manifestation pacifique, plusieurs centaines d'algériens ont été jetés à la Seine par des policiers. Or le 17 octobre 2016, nous avons appris la date du procès en appel de Damien Saboudjian, policier qui a tué Amine Bentousi d’une balle dans le dos, ce sera le 6 mars 2017. 6 mars, une date qui à son tour nous rappelle la mort d’Amadou Koume, en 2015. Comme dans l'affaire Adama Traoré, les responsables sont protégés et les victimes stigmatisées. L’histoire malheureusement se répète, mais notre mémoire est intacte.

Un coup de force contre le gouvernement qui en réalité lui demande d’intensifier sa politique

Quand on sait l’emploi du terme de « voyou », qui a été utilisé jusqu’au sommet de l'état pour qualifier les jeunes, les travailleurs et les syndicalistes, bref toutes celles et ceux qui contestent le sort qu’on leur fait subir et qui ont, pour beaucoup, manifesté au printemps contre la loi travail, on comprend aisément que le gouvernement se soit mis à dialoguer avec les policiers avec empressement.

Le pouvoir exécutif actuel est en effet un habitué de la surenchère autoritaire. Incapable de résoudre la crise profonde qui traverse le pays et sa propre perte de légitimité, il franchit aujourd’hui un nouveau pas dans le même sens. En témoigne explicitement une récente circulaire du ministère de la justice adressée aux procureurs et aux présidents des tribunaux qui demande l’anticipation d’un nombre d’interpellations encore plus conséquent que d’habitude et qui mentionne spécialement les « zadistes » et le démantèlement du grand campement des migrants de Calais. La répression de masse qui s’annonce à Notre Dame Des Landes rivalisera ainsi avec la chasse aux migrants calaisiens, dispositifs quasi-militaires à l’appui. Et dans le même temps, alors que l’encasernement brutal des quartiers populaires se poursuit, des universités voient des réunions publiques, où étudiants et chercheurs veulent questionner le rôle de la police et de la justice, la diffusion des racismes, être purement et simplement interdites, comme à Evry, au nom du « trouble à l’ordre public ». A ce compte-là, qu’est-ce qui, à brève échéance, pourra encore échapper à la mise au pas, à part le silence, la soumission et le port de l’uniforme ?

Contre l'état policier, pour une défense unitaire des droits démocratiques

Ces « manifestations » policières, sur le mode du coup de force extra-légal, préfigurent, dans un proche avenir, un saut encore plus brutal dans le tournant autoritaire que le pays subit déjà depuis les premières interdictions de manifester à l’été 2014, que l’état d’urgence permanent et sa législation d’exception ont déjà dûment balisées depuis un an.

C'est pourquoi, selon nous, les organisations syndicales, de salariés, d’étudiants et les associations des quartiers populaires devraient construire un large front contre cette politique martiale. Et pour défendre fermement, contre cet état de plus en plus policier, les droits démocratiques de s’exprimer, de manifester, de se réunir, de circuler et de s’installer librement. Droits que nous perdrons définitivement si nous acceptons de devoir les mériter ou les négocier, ou si nous acceptons qu'ils soient d’ores et déjà perdus par certaines catégories de la population.

Premiers signataires :

Romain Altmann, Emmanuel Barot, Amal Bentounsi, Alexis Cukier, Christine Delphy, Cédric Durand, Vincent Duse, Houssam al Assimi, Isabelle Garo, Manuel Georget, Nacira Guénif, Razmig Keucheyan, Stathis Kouvélakis, Reynald Kubecki, Olivier Le Cour Grandmaison, Xavier Mathieu, Ugo Palheta, Willy Pelletier, Julien Salingue, Omar Slaouti, Assa Traoré, Guillaume Vadot, Mickaël Wamen

 

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