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12 janvier 2017 4 12 /01 /janvier /2017 21:08

 

http://www.liberation.fr/planete/2017/01/10/podemos-crise-de-tetes_1540492

 

Podemos, crise de têtes

 

Par François Musseau, correspondant permanent de Libération à Madrid

 

Mardi 10 Janvier 2017

 

En Espagne, le parti de la gauche radicale, devenu en deux ans une des premières formations du pays, se débat dans des querelles d’egos et des divergences de ligne entre ses chefs, Pablo Iglesias et Iñigo Errejón.

Prenez un parti qui vient tout juste de naître, ou presque, ajoutez un succès électoral vertigineux au point de devenir la troisième force au Parlement, additionnez le fait qu’il se compose de familles diverses et parfois antagonistes et vous obtenez une situation explosive. Celle-là même que connaît Podemos, la formation issue de l’indignation citoyenne qui a bouleversé l’échiquier national, exprimant un puissant désenchantement envers la classe politique traditionnelle.

Sur le devant de la scène, ou via les réseaux sociaux, les deux poids lourds du parti réinterprètent sans pudeur la lutte fratricide entre Abel et Caïn. Iñigo Errejón, le numéro deux, a ainsi lancé sur Twitter à Pablo Iglesias, le secrétaire général et leader charismatique, Mercredi 4 Janvier 2017, que « personne n’est indispensable, je dis bien personne ».

Réponse du tac au tac de Pablo Iglesias à Inigo Errejon, « si tu continues ainsi, tu n’iras pas très loin ». Depuis les fêtes de fin d’année, pablistas et errejonistas se déchirent à coups d’annonces blessantes et d’attaques insultantes. Les cinq millions de votants de Podemos, les cadres et les membres de l'assemblée citoyenne, sorte d’organe directeur composé de soixante deux membres, en demeurent stupéfaits. Leur parti serait-il en train de se déchirer de l’intérieur entre deux cofondateurs qui, publiquement, s’étaient toujours projetés comme des frères d’âme ?

La situation a pris des teintes dramatiques. Au point que Pablo Iglesias, trente huit ans, professeur de sciences politiques à la queue de cheval, aux chemises à rayure et au verbe tranchant contre la caste et le système, s’est fendu la semaine dernière d’un pardon sonore à ses troupes. Après une lettre de reproches pour ces échauffourées internes écrite par une certaine Teresa, soixante seize ans, militante de la première heure et considérée comme la grand-mère de Podemos, le leader a publiquement présenté ses excuses dans une vidéo contrite, « chers militants, je sais qu’actuellement nous vous faisons honte. Il faut éviter à tout prix que nos disputes, de légitimes discussions entre familles et courants pour défendre des parts respectives de pouvoir interne, déchirent notre parti. Si nous ne prenons pas garde, nous allons détruire Podemos ». Une mise en garde reprise à son compte par Juan Carlos Monedero, cofondateur et électron libre, lui aussi politologue de l’université Complutense de Madrid, « ce serait une authentique grimace du destin que nous en venions à nous auto éliminer. Car c’est bien ce que cherche à faire le système, le régime en place et le duopole des socialistes et des conservateurs, comme on voudra l'appeler. Alors ne nous appliquons pas à nous-mêmes le châtiment que notre ennemi extérieur veut nous infliger ».

Fondé au mois de janvier 2014, Podemos a grandi très vite, trop vite pour certains. Aux élections européennes du mois de mai 2014, ce nouveau-né, qui se définit comme un parti de gauche et qui s’est donné pour mission la régénération de la démocratie espagnole par la reprise en main des affaires par le peuple au détriment des élites politiques et financières, avait créé une immense surprise en obtenant huit pour cent des voix et cinq députés au parlement de Strasbourg. Omniprésent sur la scène médiatique, bête noire des deux grands partis qui se partagent le pouvoir depuis le retour de la démocratie en 1978, le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) et les conservateurs du Parti Populaire, il s’est propulsé comme la troisième force aux élections législatives du mois de juin 2016, avec soixante et onze députés sur trois cent cinquante députés.

Mieux, profitant de la débâcle récente du PSOE, sans meneur et scindé en plusieurs camps, il a gravi des échelons. Les derniers sondages situent Podemos comme deuxième formation nationale, derrière les conservateurs libéraux du Parti Populaire emmenés par le placide Mariano Rajoy, à la tête d’un fragile gouvernement en minorité depuis le mois de décembre 2016.

« Notre ascension a été vertigineuse et ce n’est pas facile de gérer tout cela, surtout pour des gens comme nous, vierges en politique et sans expérience », explique à Libération Elena Rodriguez, porte-parole d’un cercle, la cellule de base de Podemos, du quartier madrilène de Latina. Et d’analyser que « nous vivons sûrement notre crise de puberté ».

La division qui ravage la jeune formation ne se résume pas, loin s’en faut, à une joute personnelle entre deux egos. Ces dernières semaines, des cadres régionaux des deux camps ont été expulsés, victimes d’une purge orchestrée par les deux factions. Car la rixe est aussi et surtout idéologique. D’un côté, la faction emmenée par Pablo Iglesias, partisan d’une stratégie agressive pour faire tomber le système et peu enclin à s’allier au PSOE, qu’il juge être le pur produit d’une élite dont le temps a vécu. De l’autre, Iñigo Errejón, trente trois ans, plus modéré et favorable à une tactique d’alliances avec d’autres formations pour parvenir au pouvoir.

Jorge Verstrynge, professeur de sciences politiques à l'université autonome de Madrid, jadis cadre de la droite libérale et désormais fervent sympathisant de Podemos, confirme que « dans le fond, nous assistons à une opposition, très classique dans un parti de gauche radicale, entre ceux que j’appelle les résistants, incarnés par Pablo Iglesias, et puis les collaborationnistes avec le système, terme que j’emploie dans un sens positif, représentés par Inigo Errejón . C’est aussi une distinction sociale, les premiers proviennent des classes populaires et de familles de travailleurs, souvent d’idéologie communiste, et les seconds sont majoritairement des rejetons de bonne famille de la bourgeoisie de gauche ».

Au sein de Podemos, ce caractère hétéroclite ne facilite pas les choses. Ce parti alluvion serait l’équivalent espagnol d’un organisme hybride regroupant les électeurs d'Olivier Besancenot, de Jean Luc Mélenchon, de Yannick Jadot et de Benoît Hamon. Pour compliquer la donne, d’autres dissensions sont à l’œuvre. D’abord, il y a l’existence d’une troisième famille, les anticapitalistas qui représentent environ dix pour cent et défendent un revenu universel, l’abolition de la dette publique et un référendum d’auto détermination en Catalogne, des revendications que la direction ne cesse de nuancer depuis l’an dernier. Ensuite, les tiraillements entre partisans d’une structure verticale à l’ancienne, comme Pablo Iglesias, ou plus démocratique, comme Inigo Errejón.

Enfin, le facteur territorial dans un pays travaillé par de puissants nationalismes, en Galice, en Euzkadi et en Catalogne, qui exacerbent les tensions entre jacobins et girondins. José Ignacio Torreblanca, éditorialiste du País, résume la difficulté d’amalgamer le tout. « Je crois que deux visions irréconciliables s’affrontent. Podemos doit décider s’il entend rénover une vieille gauche marxiste, désorientée après la chute du mur de Berlin, ou bien s'il veut refonder la démocratie en dotant le peuple d’une identité, un peuple qui n’est plus ni de droite ni de gauche, mais croit bien avoir perdu le pouvoir face aux puissants ».

Pourtant, ce dilemme, qualifié de dramatique par les nombreux adversaires, politiques ou médiatiques, de Podemos, n’est pas forcément vécu comme tel en interne. Même José Manuel López, cinquante ans, proche d'Inigo Errejón et destitué par les pablistas comme porte-parole de l’assemblée de Madrid, calme le jeu. « A la différence du Parti Populaire et du PSOE, je revendique pour mon parti une pluralité et un débat ouvert, malgré ses excès dans les réseaux sociaux. Nos électeurs exigent de nous l’unité, ils ne demandent pas l’uniformité ».

C'est un avis partagé par une bonne partie de la base militante, à l’instar de José Luis Ariza, cinquante trois ans, professeur de littérature et membre de Podemos, « ces divisions fratricides sont présentées à l’extérieur, par les gens de la caste, comme catastrophiques. Or, même fratricides, je les trouve naturelles, moi, ces divisions. C’est un invariant au sein d’un mouvement de gauche authentique, la dialectique entre la révolution permanente et le penchant vers l’institutionnalisation. L’objectif est le même, seuls les chemins divergent ». Au mois de février 2017, le deuxième congrès national de Podemos à Madrid permettra d’établir si nous assistons à un schisme fatal ou à une simple crise de croissance d’un parti décidément singulier.

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