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7 avril 2017 5 07 /04 /avril /2017 17:08

 

http://www.webdoc.france24-mcd-rfi.com/roya-insoumise-migrants-delation-gendarmes-humanitaires-heros-episode-3

 

Roya l'insoumise, une vallée française prend fait et cause pour les migrants

 

Troisième épisode, anti héros et gens ordinaires

 

Depuis bientôt deux ans, la vallée de la Roya, dans le département des Alpes-Maritimes, voit quotidiennement affluer des dizaines de migrants aux portes de ses villages médiévaux encastrés à flanc de montagne.

Pour éviter les contrôles de police à la frontière italienne entre Vintimille et Menton, ces exilés ont privilégié le passage par les Alpes. Si le chemin les conduit directement en France, il les mène aussi dans la gueule du loup. La région de la Roya est cernée par la police. Attachés à la tradition d'entraide qui fait la fierté de la vallée, des habitants regroupés au sein de l'Association Roya Citoyenne (ARC), leur portent assistance au risque de tomber sous le coup de la loi.

Pour Nathalie, il n'y a pas de sujet tabou. Pleine de bagou et d'autodérision, la breilloise de quarante et un ans, l'une des fortes têtes de l'ARC, n'a aucun problème à aborder ouvertement la question des dénonciations de migrants dans sa commune. Elle pourrait botter en touche. Son père, Michel, est adjoint à la mairie de Breil-sur-Roya et, là-bas, on n'apprécie sûrement pas beaucoup que les médias jugent de l’intégrité des administrés. Mais Nathalie ne se dérobe pas. « Bien sûr qu'il y a eu des délations. Cela s'est calmé, mais il y en a eu. Au mois de septembre 2015, nous avons obtenu une information de la gendarmerie », développe-t-elle. « Ils nous ont dit que, à cette période, ils avaient comptabilisé pas moins de quinze appels par jour pour dire qu’il y a des migrants qui passent, venez les chercher ».

Sylvain a fait les frais de cette campagne de délation. Le 6 janvier 2017, avec sa femme Françoise et deux amis, il a tenté de faire sortir neuf migrants de la vallée. « Nous étions mal coordonnés. Nous avons longtemps stationné à trois voitures en bas de chez Cédric Herrou », explique-t-il. « Un voisin s’est approché. Il avait l’air inquiet. Il nous a demandé ce que nous faisions ». Quelques minutes plus tard, la petite troupe est interpellée à Sospel. Sylvain réussit à s’échapper mais le reste du quatuor est placé en garde à vue. Ils passeront en jugement le 16 mai 2017 pour transport illégal de personnes en situation irrégulière.

Sylvain n’a aucun doute sur l’identité du mouchard. « Nous n’avons rencontré personne ce soir-là à part ce riverain ». Et surtout, précise-t-il, « les gendarmes nous ont dit qu’ils avaient été prévenus ». Quand ils racontent leurs histoires, les membres de l’association n’accablent pas toujours les forces de l’ordre « qui ne font que leur boulot ». Nathalie et Sylvain les défendent, même. La première raconte comment une connaissance de la gendarmerie, un mec bien, remplit son coffre de vivres et d’eau quand il part en intervention. Le second dit avoir senti chez certains gendarmes une forme de gêne. « Il y en a qui se sentent mal à l’aise pendant les interpellations, c’est évident. Surtout quand ils ont reçu des coups de fil avant. Un jour, un gendarme m'a dit qu’il se croyait en 1942 ».

Contrairement à Cédric Herrou qui a fait de l’accueil des migrants un étendard politique, beaucoup d’habitants préfèrent rester discrets. Mais ils se disent fiers de perpétuer la tradition d’accueil de la vallée. « Nous avons hébergé des juifs pendant la seconde guerre mondiale, des Italiens qui fuyaient le régime de Benito Mussolini. C’est presque normal pour nous d’ouvrir la porte aux gens qui en ont besoin », confie Alex, un ancien parisien, aujourd’hui propriétaire d’un gîte d’étape dans la ville de Tende. Au total, depuis le début de la crise migratoire, Alex a accueilli une trentaine de migrants dans sa maison, Catherine en a accueilli une vingtaine et Cédric Herrou en a accueilli plus de deux cent.

Si la délation existe, elle est en partie canalisée, assure Nathalie. Jusqu’à présent, les dénonciations n’ont jamais ciblé les migrants recueillis chez l’habitant. Elles ont surtout visé les nouveaux arrivants, ceux qui viennent de franchir la frontière et qui se font repérer le long de la route ou de la voie ferrée. Devant leurs voisins, les hébergeurs restent donc sur leurs gardes, mais ils ne sont pas inquiets. Catherine, la trésorière de l’ARC, sait pertinemment que les maisons alentours sont au courant de ses activités. « Les rues sont étroites à Saorge, il y a beaucoup de vis-à-vis. Un jour, un riverain m’a dit que je laissais la lumière allumée chez moi quand je partais travailler. Il devait se douter que j’hébergeais des gens ».

L’aide ou la délation ne sont d'ailleurs pas une question de clivage politique. La classification entre gentils militants de gauche et méchants mouchards de droite est un raccourci incorrect et facile, avertissent Catherine et Nathalie. « Je connais des gens qui n’ont pas les mêmes idées que moi, qui aident et qui se mobilisent pour les migrants. Et pourtant, je n’aurais jamais parié sur eux », précise Catherine.

L’association n'a jamais cherché à identifier les auteurs de coups de fil ou de lettres anonymes et préfère se concentrer sur son combat, laissant de côté les provocations et autres messages ridicules reçus sur sa page Facebook.

Dans la vallée, l’accumulation de tensions avec le voisinage, la police et les pouvoirs publics a toutefois laissé des stigmates. Chez de nombreux militants de l’ARC, la paranoïa a fait son chemin. Les uns se demandent si leur téléphone portable n’est pas sur écoute et les autres émettent l’idée de filmer les maraudes. En cas de procès, ils pourraient ainsi fournir des preuves visuelles du caractère humanitaire de leurs missions.

Au tribunal, la justice doit en effet décider si l’aide aux migrants relève d’un geste citoyen, non condamnable, ou de l’aide au séjour qui relève d’une infraction pénale.

« Notre vie n’est plus la même », reconnaît Nathalie. « Tout le monde se trimballe avec ses papiers. Tout le monde a sur soi le numéro d’un avocat. Tout le monde sait ce qu’est une garde à vue », énumère-t-elle.

Au fil des mois, même leur langage a évolué. Nathalie, comme beaucoup de ses amis, est devenue une experte juridique, incollable sur l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), l’immunité humanitaire, les reconduites à la frontière de mineurs ou encore les Points de Passage Autorisé (PPA) liés au rétablissement des contrôles aux frontières de l’espace Schengen. « Et dire qu’avant, je ne savais même pas ce qu’était un procureur ».

Dans les rangs des militants, la fatigue commence à se faire sentir. La plupart des hébergeurs insistent sur le fait qu’ils n’ont pas choisi de faire ce qu’ils font. Certains atteignent leur limite. « Parfois, c’est trop dur », confesse Catherine. « Entre le 25 décembre 2016 et le premier janvier 2017, cinquante migrants ont débarqué à Saorge. J’avais la crève, je venais d’en héberger d’autres et je ne voulais plus ». Nathalie, à ses côtés, ne juge pas. « L’humanitaire, ce n’est pas notre métier », rappelle-t-elle.

Aucun n’était préparé à cette misère humaine, ni à entendre les récits des rescapés de la Méditerranée. Alex s’est familiarisé, malgré lui, avec les histoires de torture, de passeurs, de kidnapping et de trafic d’êtres humains. « Parfois, ils ont besoin de parler, alors nous écoutons », explique-t-il simplement. Aucun non plus n’a été formé à gérer la douleur et la dépression. Catherine reste marquée par les hurlements d’une jeune érythréenne qui a appris la mort de son petit frère par téléphone. « Une voisine pensait que nous étions en train de martyriser un gamin ».

C’est sans doute Nico, l’un des colocataires d’Alex, qui résume le mieux le désarroi qui saisit peu à peu la vallée. « Nous ne sommes pas des activistes politiques. C’est la géographie qui nous a poussés à faire partie de cette histoire. Nous faisons ce que nous faisons parce que nous devons le faire », explique-t-il. « Nous accueillons ces migrants pour pas qu’ils meurent sous nos yeux. C’est tout. À la base, nous demandions juste à vivre tranquille dans nos montagnes ».

Paradoxalement, c’est désormais en ville que Catherine va chercher la quiétude. Au printemps dernier, elle est allée à Clermont-Ferrand pour quelques jours de vacances. Dans l’effervescence de la ville, elle s’est dite soulagée d’être là. Pour la première fois depuis longtemps, elle s’est remise à respirer et, pour la première fois depuis longtemps, elle a pu se promener « sans avoir peur pour les noirs » qu’elle croisait.

 

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