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23 septembre 2007 7 23 /09 /septembre /2007 20:07
Comment DSK est parti à la conquête du FMI
LE MONDE | 21.09.07 | 13h52  •  Mis à jour le 21.09.07 | 13h52

 L'histoire débute à Yalta, sur les bords de la mer Noire, en Crimée. La station balnéaire reçoit, ce dernier week-end de juin, le Yalta European Seminar (YES), un de ces think tanks chics où l'on repense entre soi les nouvelles frontières de l'Europe. C'est une petite assemblée d'anciens grands de ce monde, d'économistes et d'oligarques ukrainiens.
La veille, à Kiev, le président ukrainien Victor Iouchtchenko a offert un de ces grands dîners où l'on boit des alcools forts en ironisant discrètement sur le maître de la Russie, Vladimir Poutine. L'ex-président américain Bill Clinton y a fait sensation en devisant avec l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder, le secrétaire d'Etat aux affaires européennes portugais, Mario David, l'ambassadeur de Russie en Ukraine, Viktor Tchernomyrdine et le milliardaire ukrainien Viktor Pinchuk. Mais maintenant que Clinton est reparti, chacun profite des plages de Crimée en devisant du monde.
Dominique Strauss-Kahn débarque dans cette petite assemblée le samedi 30 juin, juste à temps pour la visite organisée de l'ancienne datcha de Mikhaïl Gorbatchev. Il y retrouve notamment, son ami Stéphane Fouks, patron d'Euro-RSCG World Wide, et le député UMP Pierre Lellouche. Et devant la mer Noire, Lellouche et DSK devisent – Yalta oblige – de ce partage du pouvoir dont ils n'ont eu ni l'un ni l'autre leur part.
Ces deux-là se sont électoralement affrontés à Sarcelles, dans le passé. Mais maintenant que Lellouche a vu les ministères qu'il espérait lui échapper et que Strauss-Kahn ne se croit plus d'avenir au sein du PS, ils se retrouvent dans cette solidarité des vaincus qui est une forme de camaraderie comme une autre. "Avec cette satanée ouverture, lâche Lellouche, tu verras que Sarkozy va t'appeler."  DSK cille à peine : "Tu plaisantes…"
Ce que l'ancien ministre de l'économie ne dit pas, c'est le formidable espoir qu'il nourrit justement, depuis quelques heures. La veille, alors qu'il était encore à Paris pour le mariage de l'une de ses filles, Jean-Claude Juncker lui a téléphoné. Le premier ministre luxembourgeois, président de l'Eurogroup, est un vieil ami de DSK. Evidemment, il n'ignore rien des doutes de ce dernier depuis que ses ambitions présidentielles se sont effondrées avec l'investiture de Ségolène Royal par les militants socialistes.
Mais il a une proposition à lui faire. Le directeur général du Fonds monétaire international, l'Espagnol Rodrigo Rato, vient d'annoncer, le 28 juin, son prochain retrait. "Pourquoi ne serais-tu pas candidat au FMI ?, suggère Juncker. Si Sarkozy te soutient, tu peux obtenir l'aval de l'Europe."
Strauss-Kahn, 58 ans, dans l'abattement qui est le sien depuis les débuts de la campagne présidentielle, n'avait osé y songer… En Crimée, DSK n'a mis dans la confidence que Stéphane Fouks, qui pourra mettre à son service le réseau international d'Euro-RSCG. Il appelle aussi son ancien directeur de cabinet à Bercy, François Villeroy de Galhau. 
DES MILLIERS  DE KILOMÈTRES, DES DIZAINES DE FUSEAUX HORAIRES
DSK ne néglige pas le changement de vie que cela suppose. Il faudra vivre à Washington. Sa femme, Anne Sinclair, devra donc abandonner son contrat avec France Inter. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Villeroy de Galhau propose de téléphoner à Michel Camdessus, patron du FMI de 1987 à 2000, pour évaluer les risques de l'aventure.
Il trouve un Camdessus enthousiaste : "Ce sera un candidat du tonnerre !" Et le voilà qui décrit en détail le FMI, ses 2700 salariés dans 185 pays, ses rapports de force interne, les contestations dont il fait l'objet. Il décrit aussi la vie quotidienne : deux tiers du temps à Washington, un tiers à voyager dans le monde entier. Mais le poste offre une formidable occasion de rebond dans une carrière.
Reste à convaincre les Européens et… Nicolas Sarkozy. Pendant que Jean-Claude Juncker sonde la chancelière allemande, Angela Merkel, le premier ministre anglais, Gordon Brown, l'Italien Romano Prodi et l'Espagnol Jose Luis Zapatero, Dominique Strauss-Kahn appelle, le 1er juillet, le président français. Ce dernier n'en finit pas de vouloir rallier à lui les figures socialistes en déshérence. Il peut tenir là une nouvelle prise de guerre. C'est donc "oui". Rendez-vous est pris pour le mardi suivant.
Officiellement, la discrétion est requise. Mais l'Elysée laisse évidemment filtrer l'affaire. Mieux, alors que le président a reçu Laurent Fabius le 6 juillet pour évoquer son projet de traité européen simplifié, l'Elysée laisse entendre que ce dernier peut aussi être un bon candidat au FMI. Qu'importe la faible probabilité de voir les 25 s'accorder sur la candidature de l'ancien héraut du "non" français à la Constitution européenne. Si cela peut déstabiliser un peu plus le Parti socialiste défait…
En Europe, la campagne en faveur de DSK se met en place. Le 10 juillet, les ministres des finances de l'Union européenne doivent se réunir à Bruxelles. Sarkozy et Juncker ont entrepris de démarcher leurs partenaires. Par un accord tacite entre Américains et Européens, la présidence du FMI revient traditionnellement à un Européen, celle de la Banque mondiale à un Américain. Il est donc essentiel d'être adoubé par l'ensemble de l'UE. Les Britanniques ont bien tenté d'émettre quelques réserves sur le processus de désignation. Elles sont balayées.
La campagne de Strauss-Kahn peut commencer. L'ancien ministre s'est fait brosser un tableau précis des difficultés. Il n'ignore pas que les 43 pays africains s'insurgent de ne détenir que 4,4 % des votes au sein du FMI. Il sait aussi que l'Argentine et l'Asie sont exaspérées par les thérapies imposées lors des crises qu'elles ont traversées. Et qu'à Washington, les ONG ont commencé un intense lobbying afin de contester un processus de désignation qui écarte les pays pauvres.
Il commence donc sa tournée mondiale selon cette géographie des contestations. L'Etat français assumera l'ensemble des frais. DSK sera accompagné d'un conseiller en communication d'Euro-RSCG et d'Ambroise Fayolle, un haut fonctionnaire du Trésor qui doit bientôt prendre un poste d'administrateur au FMI.
Direction Washington, puis l'Afrique, l'Amérique du Sud, la Chine, l'Arabie saoudite et l'Inde. Des milliers de kilomètres, des dizaines de fuseaux horaires. Les Africains, convaincus par les interventions personnelles de Nicolas Sarkozy et du président du Sénégal, Abdoulaye Wade, se rallient peu à peu. Le Brésil de Lula, le Chili de Bachelet paraissent suivre.
En Argentine, DSK a dû concéder "l'intervention catastrophique" passée du FMI. Chaque fois, le prétendant, dans un anglais fluide, promet une meilleure représentativité des petits pays et un renforcement de l'aide au développement.
A Moscou, pourtant, le 9 août, les Russes expliquent "examiner une autre candidature afin que le processus de désignation soit plus ouvert". Vladimir Poutine a-t-il décidé de contrer les Etats-Unis et l'Union européenne ? La Russie présente la candidature de l'ancien responsable de la banque centrale de Tchécoslovaquie au temps de l'Union soviétique, Joseph Tosovsky.
"Cette élection se fera à présent sur des bases de concurrence", prévient le ministre russe des finances, Alexeï Koudrine. Même si les Tchèques refusent de soutenir la candidature de leur compatriote, l'affaire peut devenir plus compliquée que prévu.
Jusque-là, la presse européenne a regardé le Français d'un œil bienveillant. Certes, les journaux britanniques raillent parfois en DSK une "liberal limousine", version anglaise de la gauche caviar. Certes, le microcosme a jasé après avoir lu le blog du correspondant de Libération à Bruxelles, notant chez le candidat un goût pour les femmes qui pourrait heurter "une institution internationale où les mœurs sont anglo-saxonnes". Mais l'affaire n'a pas porté et les conseillers de DSK croient tous les dangers écartés.
Voilà pourtant que le Financial Times publie le 28 août un éditorial non signé d'une rare violence. "Seuls ceux qui veulent que le FMI perde sa légitimité peuvent se réjouir du choix de DSK, explique le vénérable journal. Personne ne peut soutenir que M. Strauss-Kahn est le candidat le plus qualifié dans le monde pour accomplir le job."
L'article a été rédigé par Martin Wolf, le chroniqueur économique vedette du FT. Il fait grand bruit au sein même de la rédaction, où personne n'ignore que les Britanniques s'exaspèrent de voir les Français diriger déjà la Banque centrale européenne, la BERD et l'OMC.
Le 29 août, Jean-Claude Juncker remonte au créneau pour assurer que Strauss-Kahn sera "probablement le dernier Européen à devenir directeur du FMI", et Nicolas Sarkozy téléphone à Gordon Brown.
Le 4 septembre, le Royaume-Uni annonce son soutien à DSK. Le 19, à la veille du grand oral du Français devant les administrateurs du FMI, ce sont les Etats-Unis qui apportent officiellement leur appui. Le 20, DSK renonce publiquement à ses ambitions présidentielles françaises. A Washington, au moins, il est le favori.
 
 
Rahaëlle Bacqué
 
 
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