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3 juin 2008 2 03 /06 /juin /2008 20:04

Procès de Tarek Aziz :

Il est noble, ils sont  ignobles….

par Abdel Bari Atwan, directeur d’Al Quds al-Arabi (1er mai 2008)


Je n’ai jamais rencontré monsieur Tarek Aziz, ex vice-Premier ministre et ministre des Affaires Etrangères irakien. Nous n’avons pas eu de contact téléphonique ou autre, comme avec tous les précédents responsables irakiens, même si, en raison de sa vaste culture et de ses fonctions  de ministre de l’Information et de la Culture pendant plusieurs années, cet homme avait instauré de solides relations  avec des dizaines, voire des centaines d’écrivains, de journalistes et  d’intellectuels. Je ne le connaissais pas mais j’avoue que  j’ai éprouvé  un sentiment d’humiliation et une vive souffrance à voir cet homme  dans le  box des accusés, sous le coup d’une accusation mensongère - le meurtre de quarante commerçants -, devant un tribunal de comédie, révélant à quel point dans le nouvel Irak américain, les valeurs et  la morale étaient en faillite, sinon  complètement abolies.


Monsieur Aziz n’a pas tué une mouche de sa vie, dans le cadre du pouvoir ou en dehors, parce qu’il n’a exercé aucune fonction exécutive; il a toujours représenté le visage civilisé  non seulement du régime, mais de l’Irak entier, dans toute sa diversité, car c’était un homme connu  pour son immense civilité, sa vaste culture, la qualité de son expression, sa douceur de caractère, qui  imposaient le respect  à tous, amis ou ennemis. Excellent orateur, il défendait, au cours des réunions internationales, les causes de la nation arabe et la souveraineté de l’Irak, dans un anglais parfait. Les nouveaux dirigeants de l’Irak ne possèdent pas la moindre de ses qualités, ils ne connaissent que la langue du meurtre, de l’effusion de sang, de la purification ethnique en Irak, et c’est peut-être pour cela qu’ils ont voulu le juger et éventuellement le condamner à mort.


Ce n’est pas ces gens-là que nous blâmons, car leur caractère malfaisant, leur obscénité sont  devenus évidents ; les Irakiens et nous  avons tous  constaté les catastrophes qui ont  frappé l’Irak à cause d’eux; c’est le monde occidental que nous blâmons: hypocrite, il nous rebat les oreilles depuis plus de cinquante ans  avec la démocratie, les droits de l’homme, la justice indépendante,  le voilà qui se tait  quand un homme malade est mis au secret pendant plus  de cinq ans, sans procès, pour finir  par accepter qu’il soit jugé, sur une accusation dont il sait très bien qu’elle est  falsifiée  et mensongère, au même titre que les armes de destruction massive.


Ce n’est pas  monsieur Tarek Aziz qui mérite de se tenir dans le box des accusés, mais tous les individus du groupe qui - avant et après - ont été complices de l’occupation américaine et lui ont fourni une couverture légale pour tuer un million et demi d’Irakiens innocents, en déplacer cinq millions d’autres,  faire des Irakiens qui restent un champ d’expérimentation pour différentes armes de destruction américaines et les priver des services élémentaires.


Monsieur Tarek Aziz n’a pas comploté avec les ennemis pour livrer le territoire de son pays à l’invasion, il ne l’a pas transformé en fosse commune, ce n’est pas grâce à lui que l’Irak figure au premier rang des  pays les plus corrompus au monde. Il n’a ni pillé ni participé au pillage de 84 milliards de dollars grâce auxquels les personnalités de l’Irak nouveau et leurs familles se prélassent dans les capitales européennes. Le problème de monsieur Aziz, c’est que c’est un homme exemplaire pour sa loyauté envers sa patrie : il a refusé de fuir  et de s’exiler vers un lieu sûr, alors qu’il le pouvait et y était invité, comme il a refusé  toutes les offres et les incitations à  coopérer avec l’occupation, contre son Président, ses compagnons et sa famille ; il a refusé de renier  ses valeurs, ses principes et sa morale, et a préféré rester derrière les barreaux, endurant la maladie, l’enfermement et les
outrages des geôliers américains, plutôt que d’être remis en liberté, déshonoré par  une accusation de trahison   et de complot.


Curieusement, ceux qui parlent de tribunaux justes et de loi souveraine, n’ont engagé de poursuite contre aucun  des meurtriers qui ont coupé  les têtes, les ont  trouées à la perceuse, ou contre ceux qui ont volé l’argent public, ou transformé les sous-sols du Ministère de l’Intérieur en cellules de tortures et de mises à mort. Leur justice est truquée, confessionnelle, politique, elle est au service de l’occupation et des dirigeants qui collaborent avec l’occupation; il n’y a qu’à se reporter aux propos de monsieur Moaffaq al-Roubaï, conseiller à la sécurité nationale (quelle sécurité ?) lors d’une interview: c’est lui, dit-il, qui a demandé à la famille al-Khoei de relancer la question du  mandat d’amener visant Moqtada Sadr afin qu’il soit poursuivi pour le meurtre de monsieur Majid al-Khoei, au retour de son exil londonien. Pourquoi avoir gelé ce procès et  demandé qu’il soit de nouveau à l’ordre du
jour ?


En tout point, ils sont un mauvais exemple, ceux qui  ont promis d’apporter aux Irakiens la paix et la sécurité, le bien-être économique, et ce qu’il y a de mieux en matière de justice équitable et indépendante. Nous n’avons pas été surpris quand le juge Raouf Abdel Rahman, qui a prononcé la condamnation à mort du Président Saddam Hussein, lors du procès de Dujail,  a reconnu que  l’exécution du verdict n’avait pas été civilisée, qu’elle était arriérée, et que la loi irakienne, depuis la fondation de l’état irakien, ne prévoyait nullement pareille mise à mort, publiquement, un jour de fête et de festivité nationale, les jours de fêtes étant placés sous le signe de l’affection et de la réconciliation, et non de l’anéantissement.


Si monsieur Raouf reconnaît  que ces agissements sont étrangers à la  loi irakienne, donc à  toute loi en vigueur, pourquoi accepte-t-il de présider à nouveau un tribunal de farce, après avoir vu, comme des centaines de millions de gens, l’exécution criminelle et barbare d’un   président irakien qui a préservé, pendant plus de trente ans, l’unité, l’indépendance, la sécurité de l’Irak et  érigé une nation forte et respectée ? Nous le reconnaissions naguère, ce n’était pas un démocrate et il a commis de nombreux excès envers ses adversaires; mais est-ce que monsieur Maliki et ses collègues au pouvoir  lancent des roses, du myrte  et du riz sur  les partisans de Sadr et sur ceux qui, à leurs yeux, commettent le crime de demander la fin de l’occupation américaine?  A-t-il traité  les insurgés de Bassorah sans  commettre de massacre ni de destruction, sans recourir aux chars américains pour les écraser ? Pour finir,
nous demandons à monsieur Maliki et à ses collègues : ont-ils déféré plus de 500 membres de  l’organisation  chiite salafiste des Soldats du Ciel devant un tribunal équitable ? ou se sont-ils empressés de tous les anéantir le jour de l’Achoura  et de les ensevelir dans une fosse commune ?  Monsieur Moaffaq al-Roubaï  a dévoilé une fois encore la nature du système  judiciaire et de ses exécutants  lorsqu’il est revenu sur le récit qu’il avait fait  sur CNN de l’exécution du Président  Saddam Hussein, le décrivant comme abattu. Le même  monsieur Roubaï déclare dans une interview à la presse que le Président irakien lui a dit : « N’aie pas peur !». Nous comprenons que c’est lui qui avait peur,  et non cet homme fier,  qui s’avançait d’un pas sûr vers la guillotine, plein d’une extraordinaire assurance, récusant les témoignages, convaincu de l’arabité de l’Irak et de la victoire de la Palestine arabe.
Ajoutons que monsieur Roubaï a reconnu également que les gardiens de la justice s’étaient livrés à des actes choquants sur le cadavre du Président après son exécution, actes qu’il  désavoue tout en se gardant bien de les rappeler.


Monsieur Tarek Aziz appartient à une autre époque, à un autre Irak, l’Irak noble, authentique, indépendant, l’Irak non confessionnel, où coexistent différentes croyances et ethnies, l’Irak du temps où  les Irakiens dormaient les portes  grandes ouvertes. Dans cet Irak, le peuple recevait de façon égalitaire sa ration alimentaire au début de chaque mois, sans diminution ni retard, en dépit du  blocus féroce;  dans cet Irak, les maisons étaient abondamment fournies en eau et en électricité, les services de base étaient assurés et, dans les morgues des hôpitaux, il n’y avait pas de cadavres non identifiés  et défigurés par la  torture.


Alors qu’il supervisait lui-même la répartition des bons de pétrole (dans le cadre de la résolution « pétrole contre nourriture », ndt), le seul honneur qu’en retirait  monsieur Aziz, c’est que sa famille vivotait  dans la capitale jordanienne; lorsque son fils Ziyad, soupçonné  de corruption a été arrêté, il n’est pas du tout intervenu auprès du président Saddam Hussein, son ami intime, contrairement aux familles des nouveaux dirigeants de l’Irak qui vivent dans le luxe grâce aux  milliards qu’ils ont volés, parfois après avoir occupé quelques mois seulement des postes ministériels. C’est que pour eux l’Irak est une affaire transitoire, qui consiste à piller le plus possible de richesses avant de retourner  rapidement en Europe où ils vivaient en exil depuis longtemps, se lamentant, faisant porter au régime précédent la responsabilité de leur départ, nostalgiques de  Bagdad, ses terrasses et ses splendides
nuits de lune. Si j’avais un conseil à donner à l’avocat de Tarek Aziz,  ce serait de s’imposer un silence total, en signe de mépris pour ce tribunal, ses juges, ses témoins et ses invités, parce que cet homme ne peut être accusé, il  n’a commis aucun crime ni délit. Ce sont eux les accusés. C’est un homme de trop de valeur pour  plaider  sa cause devant ceux qui ne sont rien d’autre que les instruments de l’occupation américaine, dont ils essaient d’embellir le visage monstrueux. Ces gens-là et leurs maîtres redoutent même les prisonniers et ne sont pas capables de juger un seul des soldats qui, au service d’une société de sécurité américaine, ont tué  des dizaines d’Irakiens et violé  nombre d’Irakiennes.


Monsieur Tarek Aziz n’a pas besoin d’avocat pour le défendre devant une justice corrompue, vénale, dépourvue de légitimité, il est trop honnête  pour  que cette justice l’innocente. Sa mise en accusation est le plus grand des hommages, car il restera noble, et eux ignobles.

Traduction : Anne-Marie Luginbuhl


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