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13 juin 2009 6 13 /06 /juin /2009 15:54


Après les élections européennes, quelques réflexions d’un « fêlé »(1)

 

Par Robert Duguet


www.socialisme-maintenant.org
 

La fait marquant de ces élections réside dans le chiffre record de 60% d’abstentions :  75% chez les employés, 77% chez les ouvriers, 79% chez les chômeurs, selon un sondage Opinion Way réalisé le jour du vote. Notre analyse doit s’amorcer sur ce fait sans précédent.

 

Contrairement à ce qu’écrivent les commentateurs politiques des médias officiels, ce n’est pas en raison du fait que l’Europe apparait aux citoyens comme une affaire lointaine et éloignée des préoccupations des citoyens, il s’agit bien d’un rejet de cette Europe là.. Le mouvement politique de 2005 qui a conduit à un non profondément motivé au TCE, lié au fait que les salariés ne voient pas d’alternative aujourd’hui à Sarkozy, est un des nœuds de la situation politique. Les salariés comprennent fort bien par exemple que 80% des lois votées par le parlement français émanent de la commission de Bruxelles, que les lois qui sont votées par la majorité UMP ont pour conséquence de s’attaquer violemment à tous nos acquis de civilisation. La crise du mode de production capitaliste survenue à l’automne 2008 amplifie le processus. C’est donc un acte de défiance politique sans appel contre l’Europe de Maastricht, du TCE de 2004-2005 et de Lisbonne. Socialement rien n’est changé ; un échec électoral est habituellement suivi d’un recul plus ou moins important des luttes sociales. Alors que le matériel de vote est à peine rangé, les mouvements sociaux reprennent leur cours (agriculteurs, travailleurs du pneu…) Le salariat ne trouve pas de solution mais résiste…

 

En l’absence d’alternative crédible à gauche, Sarkozy réussit un coup politique, certes mais qui doit d’emblée être relativisé. 28%, cela ne représente en fait que 12% de l’électorat. Sarkozy est majoritaire avec 12% de l’électorat. Ce résultat souligne l’absence de légitimité de ce gouvernement. D’ailleurs ce que ce gouvernement compte encore d’hommes d’états réalistes, par exemple Jean François Copé, ne pavoisent pas. Selon la déclaration officielle qu’il fait au nom de l’UMP, il dit en substance : Nicolas Sarkozy "est conforté, il n'y a pas de doute, mais il y a une question de fond à se poser sur le taux d'abstention" qui a été "très élevé". Même si le FN recule par rapport aux dernières élections européennes de 2004, avec 6,3% il repart à la hausse par rapport aux législatives de 2007. La composition de son électorat est toujours très populaire et il rassemble environ 12% des ouvriers et employés qui ont voté. Cela reste potentiellement un élément inquiétant dans la situation, si aucune route n’est ouverte sur le terrain de l’anticapitalisme.

 

Le fait majeur de cette élection réside sans nul doute dans une nouvelle crise du Parti Socialiste, bien plus importante que le choc de 1983-1984, ou encore celle qui résulte de la défaite aux législatives de 1993. La logique politique de la ligne du parti d’Epinay, la ligne mitterandienne exprimée par la stratégie d’Union de la gauche et la rupture du moins formelle avec le capitalisme qui le fondait, est frappée à mort. Ce parti a géré l’Etat bourgeois hérité des institutions bonapartistes de 1958 et nous avons vu dans quel sens.  La ligne mitterandienne permettait de rassembler derrière le bloc réformiste la petite bourgeoisie, les couches moyennes qui se posaient de manière progressiste les problèmes sociétaux et environnementaux. Lors du choc de 1983-1984, marqué par la ligne d’adaptation (Delors) à la mondialisation et le reniement du mandat laïque (Savary), ces couches moyennes se retrouvent dans les élections municipales sur les listes écologistes. Les Verts réalisent des scores importants. Nous retrouvons aujourd’hui dans le score d’Europe et Ecologie le même élément de dislocation de la représentation réformiste du salariat. Certes les problèmes posés par l’écologie politiques sont réels, mais ne peuvent être résolus en dehors d’une alternative anticapitaliste. Le courant Vert a toujours été une nébuleuse politique réalisant des coups électoraux mais sur des contours doctrinaux antiproductivistes, avec des représentants souvent issus de l’aile droite du PS et des connotations idéologiques puisées dans le christianisme social. L’idéologue officiel du CERES, Didier Motchane, dans les années 1978 appelait cela « les christiano-champêtres ». La formule ne manque pas d’humour, cela s’applique encore à la situation d’Europe et Ecologie.

 

Les résultats électoraux du Front de Gauche sont à considérer à leur juste mesure : 6,5% et 5 députés. Mélenchon et la direction du PG ont très partiellement réussi l’opération de constitution d’un Linkspartei à la française. Aux élections européennes de 2004 le PCF fait 5,9% dans le cadre d’un scrutin qui est fondé sur la proportionnelle, donc plus conforme à ce que représente cette formation dans la vie politique du pays. En effet les 2% de Marie Georges Buffet dans la présidentielle de 2007 ne peuvent être considérés comme l’exacte représentation électorale du PCF. Ce que je note ici ne veut pas dire naturellement que la crise du PCF ne continue pas. Mélenchon, qui fut dans un temps très lointain trotskyste, a réussi le tour de force de sortir momentanément le PCF de sa crise de décomposition… Durant la campagne du Front de Gauche, on a pu relever de la part de la direction du PG les coups de chapeau « aux heures de gloire »(Delapierre) du parti ouvrier de 1936 et de 1945… La jeunesse est oublieuse… La dynamique Front de Gauche reste tout à fait relative, elle n’a pas mordu sur l’électorat socialiste et elle n’enraye pas le report des voix de gauche sur les positions écologistes. Reste à expliquer pourquoi. Est-ce parce que le PG est un parti récent, qui doit encore s’affirmer et définir son espace ? Sans doute, mais ce n’est pas la seule raison. Ou est-ce parce que le PG s’est enfermé dans un accord exclusif avec la direction Marie Georges Buffet, envisagé ses accords avec d’autres formations (NPA par exemple) en fonction des exigences de la direction du PCF ? Là est sans doute la vérité.

 

Il y a les déclarations officielles du PG qui en appellent à l’unité et à un Front de Gauche permanent et il y a les oukases de Mélenchon devant les journalistes à l’encontre de la gauche de gauche ou de la gauche radicale. Par exemple dans un récent numéro de l’Express il déclare à propos du Parti de Gauche: « 5000 militants, c’est très bien. Nous sommes un parti d’action, pas besoin de tous ces fêlés qui veulent discuter… »

 

Citons la déclaration officielle de la direction du PG établissant un bilan des européennes :

« Les partis sociaux-démocrates dominants à gauche en Europe portent la principale responsabilité de ce désastre. Face aux partis de droite, ils n’offrent aucune alternative. Aux mieux proposent-ils la régulation du capitalisme financier. Pascal Lamy et Dominique Strauss-Kahn comme horizon. « Non merci » ont répondu les salariés dans tous les pays, délaissant une partie qui semblait jouée d’avance entre pareil et même. Tous les modèles sociaux-démocrates sont en déroute. En Italie, pays des primaires, la défaite est sans appel. En Grande-Bretagne, pays du « parti unique à gauche », le Labour, l’effondrement est historique. C’est donc un problème d’orientation politique qui est posé à la social-démocratie en Europe. Le Parti socialiste en France peut-il en tirer les conséquences ? Va-t-il renoncer à son alignement sur le PSE ? Va-t-il enfin renoncer à cogérer le Parlement européen avec la droite à travers le groupe du PSE ? Le Parti de Gauche appelle solennellement le Parti socialiste à changer d’orientation en rompant ses liens avec la droite européenne et les politiques libérales qu’ils impliquent. ».

 

Après 1983 la ligne mitterandienne choisit l’européïsme et toutes les dérives de l’adaptation à la mondialisation. Le PG n’assimile pas la politique du PS aux dérives et à l’effondrement de la social-démocratie européenne.  Point de vue qu’il est pour le moins difficile de tenir. Sans vouloir revenir loin en arrière, la politique de l’alliance gauche plurielle, dans le cadre de la cohabitation avec Chirac, Lionel Jospin étant premier ministre était tout à fait conforme à la politique de la social-démocratie européenne. Le gouvernement Chirac-Jospin a privatisé autant, sinon plus qu’un gouvernement de droite. Dans le domaine des services publics, il a largement répondu aux exigences de la commission de Bruxelles de privatisation. Et je ne voudrais pas devenir indélicat en posant la question du processus de privatisation de l’enseignement professionnel public… Mais il est vrai qu’il s’agit là d’une réflexion de « fêlé »…


Le PG maintient son adresse au PS à travers les trois questions qu’il pose.  Faisant partie de « ces fêlés qui veulent bavarder », je veux dire de ceux qui aiment savoir où on leur propose d’aller, on peut poser la question : chercher l’alliance avec le PS, pour faire quelle politique ? Un front populaire ? pour aller où ? Avec ceux qui ont « largement désespéré Billancourt ». On remet le couvert ?

 

Sur les relations du PG avec l’extrême gauche et notamment avec le NPA, on note ceci :

« Enfin, on note le résultat élevé de l’autre gauche. Au sein de celle-ci le Front de Gauche a été le plus convaincant et obtient 6,5% des voix. Il apportera 5 élus au groupe de la Gauche Unitaire Européenne (3 dans le mandat précédent alors que le nombre de députés européens élus en France a baissé). Le résultat montre aussi qu’unie l’autre gauche aurait changé le paysage politique de l’élection. Nous aurions obtenu 12 élus au lieu de 5 pour le Front de Gauche et 0 pour le NPA et LO. Nous aurions privé le FN de son siège dans l’Est, battu Le Pen dans le Sud-Est et Hortefeux dans le Centre. Nous aurions produit un bouleversement politique majeur. Si nous nous unissons celui-ci est toujours à notre portée. »

 

J’étais pour ma part favorable à un Front de Gauche construit sur une base unique : s’appuyer sur le mouvement profond qui s’était développé en 2005 pour le non au TCE, rassembler sans exclusive tous les courants de gauche du non à l’Europe libérale. Liberté absolue de pensée à l’intérieur de ce front, notamment pour ceux qui de l’opposition à l’Europe libérale, combattent sur une orientation anticapitaliste. De ce point de vue le NPA a sans doute une responsabilité de n’avoir pas voulu ce front. Il a eu quelques bonnes raisons de ne pas le vouloir, même si sa direction a eu tort de ne pas aller au bout d’une logique de front unique du non. Par exemple dans deux élections locales au lendemain même de ces élections européennes, le PCF se précipite dans un accord local avec le PS, laissant le PG sur la touche…

 

Mais je ne laisserai pas la direction du PG dire qu’ils ont combattu jusqu’au bout pour l’unité, ils ont aussi une responsabilité. Dans le bal des faux culs, NPA-PCF-PG ils ont joué un rôle. L’accord exclusif avec le PCF a représenté un frein considérable : le soutien du courant Gauche Unitaire de Christian Picquet rassemblant à peine une trentaine de militants a servi de faire-valoir, Le fonctionnement ultra-bureaucratique des structures du PG en aura été une expression évidente. La marginalisation dans le PG de « tous ces fêlés qui veulent bavarder », nous entendons de ces militants qui veulent discuter du fond des problèmes politiques auxquels le salariat est aujourd’hui confronté est aussi une des expressions du cadenas bureaucratique posé par les exigences de la direction du PCF.

 

(1) référence à l’interview de Mélenchon donnée à l’express  où il explique qu’il veut un parti de « 5000 militants, c’est très bien. Nous sommes un parti d’action, pas besoin de tous ces fêlés qui veulent discuter… »

 

 

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