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28 octobre 2010 4 28 /10 /octobre /2010 16:43

 

http://www.socialisme-2010.fr/socialisme-maintenant/editoriaux.htm#charles2410

 

 

Débattre, animer, décider, permettre aux salariés et aux jeunes de prendre leur sort entre leurs mains, par Charles Jérémie

 

Le mouvement de grève et de manifestation commencé début septembre est de loin plus puissant que celui de 1995. En durée comme en nombre, quelle richesse, quelle ampleur ! Jamais l’adage selon lequel seules les batailles non menées sont perdues d’avance  n’a été mieux illustré. Remettre en cause l’âge de la retraite n’est pas vraiment une décision propre de Sarkozy. Tous les gouvernements européens l’ont mis en œuvre. L’accord de Lisbonne cosigné par Chirac et Jospin le prévoyait. La bourgeoisie française comme souvent est en retard. Elle devait y « aller ». Les conditions politiques mêmes qu’elle a utilisées, ses erreurs tactiques illustrent la difficulté historique – depuis au moins mai 1968 - d’agir contre le salariat malgré l’aide, active, directe des appareils, des dirigeants politiques et syndicaux. Politiques pour gouverner, syndicaux pour gérer le « social ».

 

Ce dispositif n’a pas fonctionné. Le particularisme de la manière de gouverner -ou non gouverner - de Sarkozy a provoqué un pataquès. Les appareils syndicaux voulaient un peu de grain à moudre pour traiter. Sarkozy a pensé qu’il pouvait se « refaire », passer en force, l’emporter sans véritable combat. Les dirigeants syndicaux ont mis en œuvre la méthode habituelle : organiser des journées d’action pour éviter le problème de la grève générale et démoraliser. Ca n’a pas marché.

 

Malgré ce cadre pourri, les salariés se sont mobilisés. Moins dans les grèves que dans les manifestations. Des centaines de milliers, peut-être des millions se sont dressés. Bien sûr contre les retraites. Contre la « réforme » de l’école, contre les conséquences de la crise. Contre. Plus qu’en 1995 c’est un véritable coup d’arrêt à la politique social -libérale que les salariés ont tenté de porter. Mais les forces rassemblées étaient insuffisantes. La jonction appareils - Sarkozy paraissait pouvoir l’emporter.

 

Les jeunes sont arrivés. Tout a changé. Tout. Victor Serge écrit que tous les vingt ans, une nouvelle génération révolutionnaire voit le jour. Peut-être. Dans tous les cas, même pendant et après le CPE, la jeunesse n’avait pas cette puissance, cette maturité, cette générosité. En 1968, ce sont les étudiants, leurs combats qui ont provoqué l’entrée en lice des ouvriers. Au CPE les jeunes se sont mobilisés avec le soutien, la sympathie des parents. Là ce sont les salariés qui d’une certaine manière ont été chercher les jeunes à la rescousse. Magnifique créativité des salariés et des jeunes. C’est la génération en lutte contre la crise du capital. Une génération évidemment politique. Dans cette mobilisation venue du bas, des sources diverses et profondes de leur indignation et refus, une remarque : la seule organisation de jeunesse qui a eu un certain poids politique, grâce en particulier aux positions qu’elle occupe dans les organisations syndicales jeunes, pourtant ultra minoritaires, c’est le… MJS ! Terrible paradoxe. L’ex-OCI n’a plus d’organisation de jeunesse, le NPA non plus, pas plus le PG. Total ces organisations comme organisations et même si les jeunes du NPA  sont particulièrement actifs, sont restées extérieures à la mobilisation de la jeunesse.

 

A l’heure où j’écris, le plus probable, c’est que nous nous dirigeons vers la fin de la lutte contre Sarkozy. Pas seulement à cause des vacances. Un mouvement peut faiblir sans rougir. J’écris ces lignes et en même temps je pense : « tout peut arriver ».

La mobilisation est forte, très forte, mais pour vaincre, il faut plus. Le gouvernement est faible, très faible, mais protégé par les appareils et les institutions il peut faire mine d’avoir gagné. En fait, c’est un match nul avec avantage au salariat. Sarkozy est mort politiquement. Tout le monde le sait. Peu importe qui lui succédera, mais lui est mort. La bourgeoisie, les appareils ont besoin d’un homme sérieux.

 

L’incapacité à libérer les raffineries en un ou deux jours montre les limites d’un système de la « parole répressive ».  Tirer sur les jeunes des banlieues est une chose, affronter le salariat en est une autre. L’homme du Fouquet’s n’est plus vraiment celui dont le MEDEF a besoin. Mais, attention : à la faiblesse de la bourgeoisie répond en partie celle du salariat.

 

Une remarque : les temps ont changé. Nous ne sommes plus au moment des Trente glorieuses. Faire reculer le patronat, l’Etat, implique des luttes de classes sérieuses, brutales, sans concession. Avec peu de victoires à la clef. Qu’on se souvienne des années 30, les grèves duraient des mois, les licenciements pour faits de grève dans l’industrie, la fonction publique se comptaient par milliers, les morts étaient nombreux. La mondialisation, le néo-libéralisme nous rapproche de ces conditions. Il faut vraiment que la bourgeoisie ait peur pour lâcher. Peur de perdre l’essentiel. Ce qui est remarquable dans la bataille des retraites, c’est que Sarkozy, Parisot, le gouvernement ont eu peur. Peur que les appareils perdent le contrôle de la situation. Il faudra s’en souvenir, y réfléchir. La grève générale, idéale n’existe pas. La grève générale (1936 – 1968) c’est l’expression du mouvement spontané de la classe mettant en cause -plus ou moins- l’ordre social et politique. C’est Rosa Luxembourg. Là il aurait suffit que les dirigeants syndicaux appellent les salariés de l’automobile, des équipementiers, d’Airbus et d’EDF à faire grève pour que le pays soit vraiment, politiquement bloqué. Ce mouvement spontané n’a pas eu la force de se hisser jusque-là. La classe ouvrière d’hier n’existe plus. Désindustrialisation, précarité ont fait disparaître des pans entiers de la classe, de sa masse, de sa conscience de classe. Voilà pourquoi je préfère parler de salariat.

 

La bourgeoisie n’a pas pu enfoncer les salariés et la jeunesse. Et réciproquement. Mais Sarkozy a perdu. Il ne tient plus debout, à la merci du moindre événement, d’un nouveau mouvement. D’une lutte, d’un Villepin. Chaque jour le rapproche maintenant de sa défaite politique. Les salariés sont dans une autre situation. Sur le papier, ils auraient perdu. La réforme a été votée, même s’il est probable que le changement de majorité contraindra le PS à revenir sur cette loi. Mais le mouvement a été puissant, long, profond, intense. Des groupes de salariés, de militants, de jeunes se sont créés dans l’action, dans tout le pays. La grève s’arrêtera. Pas le débat. Pas la réflexion, pas le mouvement de solidarité politique qui s’est créé entre grévistes, ouvriers raffineurs, cheminots, enseignants, lycéens, etc… Curieusement ces regroupements sont notables, nombreux dans les petites et moyennes villes. Ce sont presque des Comités d’action qui ont vu le jour. Leur coordination aurait fait progresser le mouvement dans son ensemble. Il me semble que depuis 1968 on n’avait pas vu l’émergence d’une nouvelle génération de combattants, de nouveaux militants à cette échelle.

 

Si nous appliquions pirouettes et répétitions, nous dirions, voilà ce qu’il faut dire, voilà ce qu’il faut penser. Je sais le contraire. Il n’y a pas de mot d’ordre miracle sinon nous orienter vers ces nouveaux militants avec modestie et fraternité pour leur dire : il faut débattre pour décider des prochains combats et permettre aux salariés, aux jeunes de diriger. La démocratie est le moteur de tout.

 

Encore un mot : les salariés et les jeunes de notre pays sont magnifiques. Depuis 1995 ils n’arrêtent pas de combattre, de résister. Mais pour l’heure, les salariés français sont isolés. C’est ainsi. Ni en Allemagne, ni en Belgique, ni en Suisse, ni en Angleterre, ni…. Partout en Europe, c’est le calme plat. Voilà qui donne à la bourgeoisie de notre pays une aide précieuse. C’est par l’action politique que cette faiblesse peut être surmontée. La question d’un gouvernement issu de la lutte - plus que la grève générale - est me semble-t-il au centre de notre réflexion. Ce qui est frappant, c’est que les militants de l’extrême- gauche étaient dans le mouvement, à l’aise, combattant en première ligne. Les organisations, elles, comme facteur pesant sur le cours des choses, étaient absentes. Ou plutôt exactement alignées sur leur syndicat préféré… Il va bien falloir combler ce formidable déficit de réflexion et d’action révolutionnaires. Débattre démocratiquement. Décider collectivement. Permettre aux salariés, aux jeunes de prendre leur sort entre leurs mains.
       
Paris 24/10/2010 

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