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12 mai 2013 7 12 /05 /mai /2013 16:46

 

http://les.nuits.rouges.free.fr/spip.php?article23

 

Ni parlement ni syndicats

Les conseils ouvriers

Les communistes de gauche dans la révolution allemande (1918-1922)

Par Otto Rühle

Initialement, l’article ci dessous, paru dans « Die Aktion » du 17 avril 1920, s’intitulait « Un nouveau parti communiste ». Mais nous conservons ce titre devenu classique. A cette date, Otto Rühle appartient encore au KAPD, mais exprime pleinement le point de vue de l’organisation unitaire : la distinction entre parti et union est pour lui devenue aussi caduque que celle existant entre parti et syndicat. Séparer (pour les relier ensuite, quelle qu’en soit la formule) les plans « politique » et « économico social » signifie que l’on ne dépasse pas le capitalisme.

Il développera cette thèse l’année suivante dans les problèmes fondamentaux de l’organisation.

L’analyse de Rühle ne prend son sens que dans une situation historique que les kapédistes, qu’ils soient pro ou anti parti, interprétaient comme pré révolutionnaire. Le feu s’en fait sentir jusque dans le style, paragraphes courts, parfois réduits à une phrase, parfois à quelques mots, phrases rapides, mots-cris, qui révèlent presque un dédain de trop démontrer. L’action coupe le souffle, l’article devient texte d’affiche, comme si auteur et lecteur, sûrs des urgences de l’histoire, dans la rue bientôt ne feront qu’un. La révolution n’est pas advenue.

Pannekoek semble avoir été l’un des rares à n’avoir pas cru le capitalisme au bout du rouleau. Cependant, l’avenir prédit par Rühle au PC allemand, parti « au sens traditionnel », s’est vu tristement confirmé : pression sur l’Etat pour la reprise des relations diplomatiques avec la Russie, « gouvernements ouvriers » de Saxe et de Thuringe (1923), en fait coalitions gouvernementales appuyées sur une majorité parlementaire composée de partis ouvriers, avant d’aboutir à la rivalité avec les nazis pour savoir qui était le plus fidèle à la nation. Rühle ne se trompait pas non plus en traitant les syndicats allemands, avec leurs sept millions de membres, de « colosses aux pieds d’argile ».

La révolution n’est pas une affaire de parti (1920) 

Le parlementarisme apparut avec la domination de la bourgeoisie. Avec les parlements apparurent les partis politiques. L’époque bourgeoise trouva dans les parlements l’arène historique de ses premiers démêlés avec la couronne et la noblesse. Elle s’organisa politiquement et donna à la législation une forme correspondant aux besoins du capitalisme.

Mais le capitalisme n’est pas quelque chose d’homogène. Les diverses couches et les divers groupes d’intérêts à l’intérieur de la bourgeoisie firent valoir chacun leurs revendications de nature différente. C’est pour faire aboutir ces revendications que naquirent les partis qui envoyaient leurs représentants et leurs acteurs aux parlements. Aussi le parlement se transforma-t-il en un forum, lieu de toutes les luttes pour le pouvoir économique et politique, pour le pouvoir législatif d’abord, mais ensuite également, dans le cadre du système parlementaire, pour le pouvoir gouvernemental. Mais les luttes parlementaires, comme les luttes entre les partis, ne sont que des combats de mots. Programmes, polémiques journalistiques, tracts, rapports, résolutions, discours parlementaires, décisions, rien que des mots. Le parlement dégénéra en salon à bavardages (de plus en plus au fur et à mesure que le temps passait), mais dès le premier jour les partis n’étaient que de simples machines à préparer les élections. Ce n’est pas par hasard s’ils s’appelaient à l’origine « unions électorales ».

Bourgeoisie, parlementarisme, partis politiques se conditionnent mutuellement, réciproquement. L’un est nécessaire à l’autre. Aucun n’est concevable sans l’autre. Ils marquent la physionomie politique du système bourgeois, de l’époque capitaliste-bourgeoise.

La révolution de 1848 fut arrêtée dès le départ.

Mais l’idéal de l’ère bourgeoise, la république démocratique, fut érigé.

La bourgeoisie, impuissante et lâche par nature, ne fournit aucune force, ne montra aucune volonté de réaliser cet idéal dans la lutte. Elle baissa pavillon devant la couronne et la noblesse, se contenta du droit d’exploiter économiquement les masses et réduisit le parlementarisme à une parodie. Il en résulta alors pour la classe ouvrière le devoir d’envoyer des représentants au parlement. Ceux-ci reprirent les revendications démocratiques des mains perfides de la bourgeoisie. Ils en firent une propagande énergique. Ils tentèrent de les inscrire dans la législation. La social-démocratie se donna dans ce but un programme démocratique minimum. Un programme de revendications actuelles et pratiques, adaptées à l’époque bourgeoise. Son action au parlement était dominée par ce programme. Dominée par le souci d’obtenir pour la classe ouvrière elle aussi, et pour son activité politique, les avantages d’un champ de manœuvre légal, en construisant et en parachevant la démocratie formelle bourgeoise libérale. Lorsque Wilhelm Liebknecht proposa l’absentéisme, il s’agissait d’une méconnaissance de la situation historique. Si la social-démocratie voulait être efficace comme parti politique, elle devait entrer au parlement. Il n’y avait aucune autre possibilité d’agir et de se faire valoir politiquement. Lorsque les syndicalistes se détournèrent du parlementarisme et prêchèrent l’anti parlementarisme, cela faisait honneur à leur appréciation sur la vanité et la corruption croissante de la pratique parlementaire. Mais, en pratique, ils exigeaient de la social-démocratie quelque chose d’impossible. Ils exigeaient que l’on prenne une décision allant à l’encontre de la nécessité historique, que la social-démocratie renonce à elle-même. Celle-ci ne pouvait pas adopter ce point de vue. Elle devait aller au parlement car elle était un parti politique.

Le KPD lui aussi est devenu un parti politique. Un parti dans le sens historique, comme les partis bourgeois, comme le SPD et l’USPD.

Les chefs ont la parole en premier. Ils parlent, promettent, séduisent, commandent. Les masses, quand elles sont là, se trouvent devant le fait accompli. Elles ont à se mettre en rang, à marcher au pas. Elles ont à croire, à se taire, à payer. Elles ont à recevoir les ordres et les instructions et à les exécuter. Et elles ont à voter !

Leurs chefs veulent entrer au parlement. Ils sont donc à élire. Après quoi, les masses s’en tenant à une soumission muette et à une passivité dévote, ce sont les chefs qui font de la haute politique au parlement.

Le KPD lui aussi est devenu un parti politique. Le KPD lui aussi veut aller au parlement. La centrale du KPD ment lorsqu’elle dit aux masses qu’elle ne veut entrer au parlement que pour le détruire. Elle ment lorsqu’elle certifie qu’elle ne veut accomplir au parlement aucun travail positif. Elle ne détruira pas le parlement, elle ne le veut pas, elle ne le peut pas. Elle fera un « travail positif » au parlement, elle y est contrainte, et elle le veut. Elle en vit. Le KPD est devenu un parti parlementaire comme les autres partis. Un parti du compromis, de l’opportunisme, de la critique et de la joute oratoire. Un parti qui a cessé d’être révolutionnaire.

Regardez-le ! Il revient au parlement. Il reconnaît les syndicats. Il s’incline devant la constitution démocratique. Il fait la paix avec le pouvoir régnant. Il se place sur le terrain des rapports de force réels. Il prend part à l’œuvre de restauration nationale et capitaliste. Qu’est ce qui le différencie de l’USPD ? Il critique au lieu de nier. Il fait de l’opposition au lieu de faire la révolution. Il marchande au lieu d’agir. Il bavarde au lieu de lutter. C’est pourquoi il cesse d’être une organisation révolutionnaire. Il devient un parti social-démocrate. Il ne se distingue des Scheidemann et des Daümig que par des nuances. C’est l’avatar de l’USPD. Il deviendra bientôt un parti de gouvernement, avec celui de Scheidemann et celui de Daümig. Et ce sera sa fin !

Il reste une consolation aux masses : il y a toujours une opposition ! Cette opposition refuse tout accommodement avec le camp de la contre-révolution. Que pouvait-elle faire ? Qu’a-t-elle fait ? Elle s’est rassemblée et s’est unie en une organisation politique. Cela était-il nécessaire ?

Les éléments les plus mûrs politiquement, les plus décidés et les plus actifs d’un point de vue révolutionnaire ont le devoir de former la phalange de la révolution. Ils ne pouvaient accomplir ce devoir que sous forme de phalange, c’est-à-dire de formation fermée. Ils sont l’élite du prolétariat révolutionnaire. Par le caractère fermé de leur organisation, ils gagnent en force et acquièrent une profondeur de jugement toujours plus grande. Ils se manifestent en tant qu’avant-garde du prolétariat, comme volonté d’action vis-à-vis des individus hésitants et confus. Au moment décisif, ils forment le centre magnétique de toute activité. Ils sont une organisation politique.

Mais pas un parti politique. Pas un parti au sens traditionnel.

Le sigle de parti communiste ouvrier (KAPD) est le dernier vestige extérieur, bientôt superflu, d’une tradition qu’un simple coup d’éponge ne suffit pas malheureusement à effacer d’une idéologie politique de masse, hier encore vivante, mais aujourd’hui dépassée. Mais ce vestige lui aussi sera effacé.

L’organisation des premières lignes communistes de la révolution ne doit pas être un parti habituel, sous peine de mort, sous peine de reproduire le sort qui échoit au KPD. L’époque des fondations de partis est passée, parce qu’est passée l’époque des partis politiques en général. Le KPD est le dernier parti. Sa banqueroute est la plus honteuse, sa fin est la plus dépourvue de dignité et de gloire. Mais qu’advient-il de l’opposition ? Qu’advient-il de la révolution ? La révolution n’est pas une affaire de parti. Les trois partis sociaux-démocrates ont la folie de considérer la révolution comme leur propre affaire de parti et de proclamer la victoire de la révolution comme leur but de parti. La révolution est l’affaire politique et économique de la totalité de la classe prolétarienne.

Seul le prolétariat en tant que classe peut mener la révolution à la victoire. Tout le reste est superstition, démagogie, charlatanerie politique. Ce dont il s’agit, c’est de concevoir le prolétariat comme classe et de déclencher son activité pour la lutte révolutionnaire. Sur la base la plus large, dans le cadre le plus vaste. C’est pourquoi tous les prolétaires prêts au combat révolutionnaire, sans se soucier de la provenance ni de la base sur laquelle ils se recrutent, doivent être rassemblés dans les ateliers et les entreprises en organisations révolutionnaires d’entreprises, et être réunis dans le cadre de l’union générale ouvrière (AAUD). L’union générale ouvrière, ce n’est pas « n’importe qui », ce n’est pas une salade, ni une formation fortuite. C’est le regroupement de tous les éléments prolétariens prêts à une activité révolutionnaire, qui se déclarent pour la lutte de classe, pour le système des conseils et pour la dictature. C’est l’armée révolutionnaire du prolétariat. Cette union générale ouvrière prend racine dans les entreprises, et s’édifie d’après les branches d’industries, de bas en haut, fédérativement à la base et organisée au sommet par le système des hommes de confiance révolutionnaires. Elle pousse du bas vers le haut, à partir des masses ouvrières.

Elle s’élève en conformité avec elles : c’est la chair et le sang du prolétariat ; la force qui la pousse, c’est l’action des masses ; son âme, c’est le souffle brûlant de la révolution. Elle n’est pas une création de chefs. Ce n’est pas une construction subtilement agencée. Pas un parti politique avec bavardage parlementaire et bonzes payés. Pas non plus un syndicat. C’est le prolétariat révolutionnaire.

Que va donc faire le KAPD ? Il créera des organisations révolutionnaires d’entreprise. Il propagera l’union générale ouvrière. Favorisant les relations d’entreprises à entreprises, de branches industrielles à branches industrielles, il formera les cadres des masses révolutionnaires. Il les formera pour l’assaut, il les raffermira et leur donnera des forces pour le combat décisif, jusqu’à ce que toute résistance de la part du capitalisme en train de s’écrouler puisse être vaincue. Il insufflera aux masses combattantes la confiance en leur propre force, garantie de toute victoire dans la mesure où cette confiance les libérera des chefs ambitieux et traîtres. Et à partir de l’union générale ouvrière, enracinée dans les entreprises, s’étendant sur les régions économiques, et finalement sur tout le pays, se cristallisera le mouvement communiste. Le nouveau « parti » communiste, qui n’est plus un parti. Mais qui est, pour la première fois, communiste ! Cœur et tête de la révolution !

Représentons-nous le processus de manière concrète. Il y a deux cent hommes dans une entreprise. Une partie d’entre eux appartiennent à l’AAUD et fait de la propagande pour elle, tout d’abord sans succès. Mais le premier combat, dans lequel les syndicats, naturellement, flanchent, rompt les anciens liens. Bientôt, cent hommes sont passés à l’union. Il y a parmi eux vingt communistes, le reste étant composé de gens de l’USPD, de syndicalistes et d’inorganisés. Au début, l’USPD inspire la plus grande confiance. Sa politique domine la tactique des combats qui sont menés dans l’entreprise.

 Cependant, lentement mais sûrement, la politique de l’USPD s’avère fausse, non révolutionnaire. La confiance que les travailleurs ont pour l’USPD s’atténue. La politique des communistes s’affirme. Les vingt communistes deviennent cinquante, puis cent et plus, bientôt le groupe communiste domine politiquement la totalité de l’entreprise, détermine la tactique de l’union, domine dans les combats pour le but révolutionnaire. Il en est ainsi en petit comme en grand. La politique communiste s’implante d’entreprise à entreprise, de région économique à région économique. Elle se réalise, gagne le commandement, devient le corps, la tête et l’idée directrice.

C’est à partir des cellules des groupes communistes dans les entreprises, à partir des secteurs de masse communistes dans les régions économiques que se constitue, dans l’édification du système des conseils, le nouveau mouvement communiste. Donc : une « révolutionnarisation » des syndicats, une « restructuration » ? Et combien de temps durera ce processus ? Des années ? Des dizaines d’années ? Jusqu’à 1926 par hasard ? En aucun cas. Le but ne saurait être de démolir d’anéantir le colosse d’argile des centrales syndicales avec leurs sept millions de membres, pour les reconstruire après sous une autre forme. Le but, c’est de s’emparer des leviers de commande dans les entreprises prépondérantes pour l’industrie, pour le processus de production social, et par là d’emporter la décision dans le combat révolutionnaire. De s’emparer du levier qui peut mettre en l’air le capitalisme dans des branches et des régions industrielles entières. C’est là que la disponibilité résolue à l’action d’une organisation unique peut, le cas échéant, l’emporter en efficacité sur toute une grève générale. C’est là que le David de l’entreprise abat le Goliath de la bureaucratie syndicale.

Le KPD a cessé d’être l’incarnation du mouvement communiste en Allemagne. Il a beau se réclamer bruyamment de Marx, de Lénine, de Radek ! Il ne forme que le dernier membre du front unique de la contre-révolution. Bientôt il se présentera en bonne entente avec le SPD et l’USPD, dans le cadre d’un front unique pour un gouvernement ouvrier « purement socialiste ». Son assurance d’une « opposition loyale » envers les partis meurtriers qui ont trahi les ouvriers en est une étape. Renoncer à exterminer de façon révolutionnaire les Ebert et les Kautsky (voir Die Rote Fahne du 21 mars 1920), c’est déjà s’allier tacitement avec eux.

Ebert Kautsky Levi. Le dernier stade du capitalisme sur sa fin. Le dernier « secours politique » de la bourgeoisie allemande. La fin. La fin des partis eux aussi, de la politique de parti, de la supercherie des partis, de la trahison des partis. C’est le nouveau début du mouvement communiste. Le parti communiste ouvrier. Les organisations d’entreprise révolutionnaires, regroupées dans l’union générale ouvrière. Les conseils révolutionnaires. Le congrès des conseils révolutionnaires. Le gouvernement des conseils révolutionnaires. La dictature communiste des conseils.

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