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11 mai 2013 6 11 /05 /mai /2013 16:14

 

http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/05/10/l-enseignement-public-dans-la-rue-en-espagne_3174964_3214.html

 

L’enseignement public dans la rue en Espagne

 

Par Sandrine Morel

 

De la crèche à l'université, parents, élèves et professeurs étaient appelés à participer à la grève générale de l'enseignement, Jeudi 9 Mai 2013, en Espagne. Des milliers de personnes ont manifesté dans tout le pays contre le projet de réforme de la loi de l'enseignement que le gouvernement devait initialement présenter vendredi en conseil des ministres. Plus généralement, leur colère s'est déversée contre les mesures de rigueur et les coupes budgetaires qui ont réduit le budget de l'éducation de plus de six milliards d'euros en deux ans.

 

Selon les syndicats, la grève a été suivie par soixante dix pour cent des enseignants et quatre vingt dix pour cent des étudiants universitaires. Ces taux de participation ont été abaissés à vingt pour cent par le gouvernement. Mais dans les rues de Barcelone et de Madrid, impossible de nier le succès de l’appel lancé par les syndicats et les associations réunis dans la plate forme pour l’école publique.

 

Dans la capitale, une marée verte, la couleur des tee-shirts en faveur de « l’éducation publique pour tous », a inondé le paseo du Prado et la rue Alcala pour venir crier sa colère sous les fenêtres du ministère de l'éducation et demander la démission du ministre, José Ignacio Wert.

 

Sur les pancartes bariolées portées par des lycéens, des maîtres d'école ou des professeurs d'université, les slogans témoignaient de la crainte générale de voir l'éducation publique se dégrader ou être privatisée à son tour, après une partie de la santé publique. « Seule l'éducation publique garantit l'égalité des chances », « si nous sommes l’avenir, pourquoi vous nous traitez mal », « le pire ennemi d'un gouvernement corrompu est un peuple cultivé », pouvait-on lire sur ces pancartes.

 

Réorientation précoce des élèves en difficulté

 

Théoriquement, l'objectif de la loi organique d'amélioration de la qualité éducative (Lomce) est de résoudre un problème reconnu par tous en Espagne : celui du taux d'abandon scolaire, de 24,9 %, l'un des plus élevés de la zone euro. Pour cela, elle mise notamment sur la réorientation précoce des élèves en difficulté vers des filières professionnelles, dès quatorze ans, le développement de la compétition entre centres scolaires et l'augmentation du nombre d'examens que les élèves devront passer pour poursuivre leur cursus scolaire.

 

Des mesures « élitistes » selon les manifestants. « Cette nouvelle loi va diviser les élèves et créer des ghettos pour les enfants qui ont parfois simplement besoin de plus de temps pour acquérir les connaissances de base », critique Pilar Fernandez, enseignante à la retraite.

 

Fini le temps où la loi, celle de 1983, définissait l'éducation comme « un moyen de transmettre des valeurs, de développer la cohésion sociale, le respect des différences et l’exercice de la citoyenneté responsable, libre et critique ». La Lomce prétend « améliorer le niveau éducatif des citoyens pour leur ouvrir les portes de postes de travail hautement qualifiés, un pari pour la croissance économique et un avenir meilleur ». Le texte introduit aussi une série de changements qui risquent, selon les syndicats, de créer « un enseignement public low cost », tels que l'augmentation des heures de cours ou du nombre d'élèves par classe. Ces mesures ont déjà été introduites dans la région de Madrid, sorte de laboratoire à grande échelle pour le Parti Populaire (PP, droite, au pouvoir).

 

« On nous a imposé deux heures de cours en plus par semaine »

 

« Ces deux dernières années, le nombre d'enfants de deux et trois ans de ma classe est passé de dix huit à vingt, et ils veulent encore l’augmenter à vingt et un, alors qu'on nous a supprimé une partie du personnel de soutien », témoigne Nuria Gonzalez, 29 ans, professeur dans une crèche du privé sous contrat (les crèches sont intégrées dans le système éducatif). « On ne peut pas prendre soin correctement de si jeunes enfants dans ces conditions ». Parallèlement, le salaire de la jeune femme a été réduit de deux cent euros, passant de mille à huit cent euros mensuels et les frais d'inscription ont doublé pour les parents.

 

« On nous a imposé deux heures de cours en plus par semaine : c'est du temps en moins pour nous occuper de la bibliothèque, faire des dédoublements de classe afin d’aider les élèves en difficulté ou organiser des sorties extra scolaires », regrette Maria Luisa G., enseignante de cinquante huit ans dans une école primaire du quartier populaire de Vallecas, dans la banlieue de Madrid. « Les quinze premiers jours, les enseignants malades ou absents ne sont pas remplacés », peste de son côté Maria Varas, parent d'élève.

 

L’éducation pour la citoyenneté supprimée

 

Derrière elle, un cortège d'étudiants et de professeurs manifeste sous une banderole « contre la privatisation de l'université d'Aranjuez ». Composé de trois facultés, ce centre universitaire qui accueille près de deux mille étudiants pourrait fermer ses portes ou être privatisé si se confirment les plans dévoilés la semaine dernière par le recteur.

 

« On nous a dit que le campus n'était pas viable économiquement, mais l'éducation ne doit pas répondre à des critères de rentabilité », soutient Tomas Zarza, professeur d'audiovisuel de quarante sept ans venu manifester avec ses deux enfants de six et dix ans. « Tout ceci est notre présent, mais c'est aussi leur avenir. C'est eux qui vont en pâtir ».

 

Seul le Parti Populaire devrait soutenir la Lomce au parlement. L'opposition socialiste critique un texte qui favoriserait « la ségrégation, la privatisation et la religion ».

 

L'éducation pour la citoyenneté, une matière introduite en 2006 par le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero comme alternative aux cours de religion, devrait être en effet supprimée et remplacée par celle de « valeurs culturelles, sociales et éthiques », comme le demandait l'Eglise.

 

« Plusieurs de mes amis ont dû abandonner la fac »

 

Les partis nationalistes régionaux critiquent quant à eux la « recentralisation » à laquelle procéderait la réforme, car elle augmente le nombre de matières imposées par l'Etat au détriment de celles choisies par les régions et, surtout, parce qu'elle remet en cause le modèle « d’immersion linguistique » en vigueur en Catalogne, c'est-à-dire un enseignement complètement en catalan dans le public et le privé sous contrat. Le ministre de l'éducation, José Ignacio Wert, qui avait tenu des propos polémiques en déclarant vouloir « espagnoliser les jeunes catalans », a en effet annoncé que la Lomce garantira l'enseignement principal en castillan pour ceux qui en feront la demande.

 

Dans la soirée, le ministre de l'éducation a annoncé qu'il repoussait finalement d'une semaine la présentation de la Lomce en conseil des ministres. A-t-il été sensible aux cris venus de la rue ? Comme celui de Juan Montes, vingt deux ans, étudiant aux beaux arts, à Aranjuez. Il ne comprend pas pourquoi, alors que cinquante sept pour cent des jeunes sont au chômage, le gouvernement rend plus difficile l'accès à l'éducation : « les frais d'inscription ont doublé. Les bourses de doctorat ont été réduites. Plusieurs de mes amis ont dû abandonner la fac alors qu'il n'y a pas de travail. D'autres sont partis à l'étranger, comme mon frère, ingénieur, qui vit en Allemagne depuis deux ans ».

 

Lui aimerait rester « pour lutter. Je vais me former et j'espère que dans un futur pas trop lointain, la société me fera une place ». 

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