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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 19:07
L'histoire dans l'histoire : le tribunal de Nanterre

21.07.10 | 13h27  •  Mis à jour le 21.07.10 | 15h45

Manifestement, les conditions de l'exercice d'une justice sereine ne sont plus réunies au tribunal de Nanterre. A ceux qui en doutaient encore, le dernier épisode de l'affaire Woerth-Bettencourt en donne une triste démonstration.

Car que comprendre de la guerre de tranchées à laquelle se livrent la présidente de chambre, Isabelle Prévost-Desprez, et le procureur de la République, Philippe Courroye ? L'audition par l'un puis par l'autre à tout juste deux semaines d'écart du même témoin clé dans cette histoire, l'ancienne comptable de Liliane Bettencourt, Claire Thibout, jette un peu plus le trouble sur la conduite de l'affaire.

Après la guerre des polices qui sévissait dans les années 1970-1980, les années 2010 vont-elles être celles de la lutte fratricide des magistrats, écartelés entre siège et parquet ?

La justice paie là en crédibilité ce qu'elle croyait gagner en efficacité. D'abord, et c'est maintenant l'évidence, l'affaire aurait dû d'emblée être dépaysée, c'est-à-dire instruite en dehors du ressort du tribunal de Nanterre. Le contenu même des écoutes clandestines, dans lequel le nom de Philippe Courroye est cité comme un protagoniste du dossier, l'imposait afin d'éviter tout soupçon de collusion pour ce magistrat dont la proximité avec le président de la République est notoire. Le conflit ouvert qui l'oppose depuis plusieurs années à Mme Prévost-Desprez jette également une ombre sur la motivation de l'une et de l'autre, avec un risque évident d'instrumentalisation de l'affaire à des fins personnelles.

Second enseignement majeur : la justice ne peut retrouver sa crédibilité qu'en confiant le dossier à un juge du siège, indépendant de tout lien hiérarchique avec le pouvoir. Car il ne suffit pas de faire profession de foi de vertu, comme l'a fait M. Courroye dans ces colonnes, en affirmant enquêter librement en dehors de toute pression - ce dont on lui donne volontiers acte.

Encore faut-il être en mesure de pouvoir échapper au soupçon, ce que son statut de parquetier ne lui permet pas. Comme le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, dans l'affaire Clearstream, il est pris au piège de la théorie judiciaire de l'apparence : fondées ou non en droit, les conclusions judiciaires qu'il tirera ne seront lues qu'au travers du filtre du soupçon.

Enfin, dernier point : la complexité du dossier imposait d'écarter le cadre procédural d'une enquête préliminaire qui n'offre aucune garantie aux personnes mises en cause. Certes, la conduite d'un dossier par un juge d'instruction est souvent plus lente. Mais ce que la justice perd en rapidité, elle le gagne en incontestabilité. Quand un juge met en examen une personne, il permet à celle-ci d'avoir accès au dossier et d'organiser sa défense en conséquence : c'est le respect d'une procédure équitable et contradictoire, conforme aux exigences de la Cour européenne des droits de l'homme. C'est pourtant ce que souhaite abolir la réforme de la justice de Nicolas Sarkozy en supprimant la fonction de juge d'instruction.


http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/07/21/l-histoire-dans-l-histoire-le-tribunal-de-nanterre_1390497_3232.html#ens_id=1373579




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