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13 juin 2012 3 13 /06 /juin /2012 18:57

 

http://www.liberation.fr/economie/2012/06/11/guerre-de-succession-chez-les-confederes_825547

 

Guerre de succession chez les confédérés

 

Lundi 11 Juin 2012

 

Depuis janvier 2011, la CGT est fragilisée par un violent conflit interne, ne parvenant pas à choisir le remplaçant de Bernard Thibault

 

Par Luc Peillon

 

Un SMS, reçu quelques minutes après avoir raccroché : «Surtout ne citez pas cette phrase, sinon je serai reconnu, la chasse aux sorcières a commencé.» On doit rassurer, comme avec les autres interlocuteurs. Aucun nom, aucune allusion qui permettrait de l’identifier ne figurera dans l’article. Aucune citation trop précise que le camp d’en face se ferait une joie d’exploiter. Pas une seule phrase, même banale, versée en «on» dans le papier. Tout est «off», dans cette lutte de fantômes où chacun débine l’autre dans le secret des sources.

 

Bienvenue à la CGT. A feu et à sang depuis plusieurs semaines, la principale organisation syndicale de France vit l’un des pires conflits internes de son histoire centenaire. Incapable de trouver un successeur à son actuel secrétaire général, Bernard Thibault, dont le quatrième, et en principe dernier mandat, s’achève dans neuf mois, l’organisation s’enfonce, jour après jour, dans une lutte fratricide pour le pouvoir. Une guerre de coulisses, nourrie de haine et de paranoïa, et façonnée par les rebondissements ou les coups de billard à trois bandes. Au point d’inquiéter le gouvernement. Et de sidérer les adhérents.

 

« Méthode ». Aujourd’hui encore, une commission exécutive (CE, direction élargie de cinquante membres), doit tenter de définir un processus permettant de sortir la centrale de l’impasse. Echaudé par ses précédents échecs, Bernard Thibault ne devrait proposer aucun candidat. Seulement «une méthode et un calendrier». Retour à la case départ, donc, six mois après l’ouverture de sa succession… sauf surprise. Car depuis le début, cette guérilla de couloirs est ponctuée de coups de théâtre, que certains interprètent comme autant de soubresauts dans l’apprentissage maladroit et non assumé d’un début de démocratie interne.

 

Latente pendant le conflit des retraites, la sourde lutte débute en janvier 2011, par un article du Parisien. Selon le quotidien, Bernard Thibault aurait confié à ses proches, un mois plus tôt, son souhait de quitter la tête de la confédération fin 2011, sans achever son mandat, qui court jusqu’en mars 2013. L’information est démentie par l’intéressé, mais confirmée, par la suite, par certains destinataires (anonymes) de ces confessions.

 

Qui a fait fuiter l’info, et dans quel but ? Bernard Thibault lui-même, pour tester les réactions ? Un candidat-homme à sa succession, afin de le fragiliser, au moment où il exprime son souhait de se faire remplacer par une femme - peut-être Nadine Prigent, membre du bureau confédéral et responsable des relations intersyndicales, qu’il met de plus en plus en avant ?

 

Au même moment, un autre prétendant émerge. Eric Aubin, secrétaire général de la fédération de la construction, sort de plusieurs mois d’exposition médiatique en tant que «monsieur retraites» de la confédération. Considéré comme «un type sympa et ouvert, cherchant à chaque fois à préserver l’unité syndicale», selon le négociateur retraites d’une autre organisation, l’homme est aussi très à l’aise avec les médias. Il tranche avec une Nadine Prigent plutôt rugueuse, et à la langue de bois taillée dans la plus pure tradition CGT. Tout en incarnant, au-delà du style, une ligne plus ouverte à la négociation.

 

Les mois passent, Eric Aubin s’installe discrètement, en interne, dans la peau du successeur potentiel. Ou plutôt se rend «disponible», selon la terminologie cégétiste. Car à la CGT, pas question de faire montre d’ambition, dans un système où «c’est le secrétaire général sortant qui propose un nom», rappelle un connaisseur de l’organisation.

 

Arrive la fin de l’année. Thibault, subitement, paraît changer d’avis. Il aurait tâté le terrain pour savoir si, in fine, il ne pourrait pas rempiler pour un cinquième mandat. Sa proposition accueillie froidement, il n’insiste pas. Après treize ans passés à la tête de la confédération, l’ancien responsable de la fédération des cheminots, star du mouvement de 1995 contre les réformes Juppé, annonce officiellement, le 24 janvier, son départ de l’organisation, fixé au congrès de mars 2013 à Toulouse. Commence alors un processus «inédit» de consultation interne, par écrit, auprès des responsables de fédérations professionnelles et d’unions départementales, ceux-là même qui composent le comité confédéral national (CCN), le parlement de l’organisation, chargé, sur suggestion de la CE, de valider la candidature à proposer au prochain congrès.

 

« Trompé ». Problème : sa favorite, Nadine Prigent, est loin d’arriver en tête. Eric Aubin serait même sorti favori de cette consultation. Pas question, cependant, pour Thibault, de proposer son nom le 17 avril, date à laquelle il doit soumettre une candidature à la commission exécutive. Outre le fait qu’officiellement il souhaite une femme pour le remplacer, il met un point d’honneur à barrer la route au responsable de la fédération de la construction. «Bernard s’est senti trompé. Alors même qu’il n’avait pas encore annoncé, début 2012, qu’il renonçait à un cinquième mandat, il a réalisé qu’Aubin pensait déjà à lui succéder», analyse un dirigeant confédéral. «La démarche d’Aubin est une démarche structurée qui vient de loin, confirme un autre, et cela, Thibault ne l’a pas supporté.» Or, quand «Thibault est déçu par quelqu’un, impossible de le faire revenir en arrière», glisse une troisième source. D’autant qu’Eric Aubin ne ménage pas ses critiques contre l’organisation interne de la CGT. Il veut donner plus de pouvoirs au bureau confédéral - la direction resserrée de huit membres -, au détriment d’une commission exécutive de cinquante personnes aux responsabilités diluées.

 

Refusant de proposer Aubin, mais craignant un rejet de Prigent, Thibault se rabat alors sur un troisième nom. Et finit par choisir, début avril, Agnès Naton, retraitée de France Télécom, membre du bureau confédéral et responsable de la Nouvelle Vie ouvrière, l’hebdomadaire de la CGT. «Prigent l’a très mal pris, explique un responsable confédéral. Elle a mené une campagne interne pour faire invalider ce choix, en mettant une pression énorme sur Thibault.» Avec succès. Car dix jours plus tard, Bernard Thibault revient sur sa décision, et remet Nadine Prigent dans le jeu. Le 16 avril au soir, la direction l’assure : un nom sera proposé le lendemain à la commission exécutive, et tout le monde attend celui de Prigent.

 

Sauf que le jour J, coup de théâtre : Thibault, craignant que celle-ci soit rejetée lors du scrutin, renonce à avancer une candidature. Furax, il évoque, dans sa déclaration devant la CE, «les coups tordus qui viennent de notre propre camp», dans «une sorte de primaire qui ne dirait pas son nom». Et dénonce «des camarades [qui] se sont organisés depuis plusieurs mois pour imposer leur réponse, quoi qu’en pense le reste de la CGT». Une allusion à peine voilée à Eric Aubin. Bernard Thibault dément avoir voulu briguer un nouveau mandat et, surtout, affirme que parmi les responsables qui se sont exprimés, aucun nom ne s’est détaché du lot.

 

Sécher. Le choix est renvoyé au 25 mai. Le boss de Montreuil, bien décidé à convaincre les cadres locaux, entame alors une série de réunions interrégionales. Cette succession l’absorbe tellement qu’elle le conduit même à sécher l’investiture de François Hollande, le 15 mai, préférant une réunion à Lyon avec des cadres régionaux.

 

Peine perdue : le 25 mai, un nouveau rebondissement va encore aggraver la crise. Alors qu’il soumet enfin la candidature de Nadine Prigent à sa commission exécutive, celle-ci est repoussée, par vingt et une voix contre vingt.

 

«Il a fait une vraie erreur lors de ces consultations, relève un membre de la CE. Lors des premières réunions, il n’évoquait pas de nom, donc les gens n’exprimaient pas forcément leur désapprobation, ce qui l’a trompé sur le rapport de force.» Ce nouveau processus de consultations a aussi «libéré la parole, et distillé un début de démocratie dont les gens se sont saisis», explique ce responsable. Mais alors que ce revers aurait dû alerter Thibault, celui-ci va s’entêter.

 

Cinq jours plus tard, le comité confédéral national, qui se tient sur quarante-huit heures, et auquel la direction aurait dû soumettre un candidat, décide de mandater la commission exécutive pour un nouveau nom le lendemain. Réunie dans la nuit, la commission vote alors sur trois candidatures. Le scrutin est très serré : Agnès Naton sort majoritaire avec dix sept voix, suivie de Nadine Prigent (seize voix), et d’Eric Aubin (quinze voix). Un deuxième tour est organisé sur les deux premiers noms. Les partisans d’Aubin vont alors opérer un choix tactique. Ils choisissent de voter massivement pour Prigent, leur ennemie préférée, éliminant ainsi Naton, qu’ils savent plus dangereuse pour eux. Bien vu. Car le lendemain, le nom de Prigent est soumis au vote des cent trente membres du CCN, qui la repoussent par trois cent quatre mandats contre deux cent cinquante cinq.

 

« Crédibilité ». En moins d’une semaine, c’est un nouveau désaveu pour Thibault. Et un cran supplémentaire est franchi dans une crise dont plus personne ne sait, aujourd’hui, comment sortir. «L’ambiance est devenue détestable au sein du bureau confédéral, témoigne un de ses membres. Tenir encore neuf mois, jusqu’au prochain congrès, va être très difficile.» Même difficulté à la commission exécutive, coupée en trois tiers à peu près équivalents, et dont «la crédibilité est clairement remise en cause», insiste une de ses membres.

 

Cette gestion calamiteuse de la succession interroge aussi le cas Thibault, que la longue carrière syndicale aurait dû prémunir contre de telles erreurs. «Il est conseillé par des types qui ne connaissent plus la CGT, tente d’expliquer un responsable national. Des gens coupés de la base qui le poussent à l’erreur, notamment par rejet, parfois irrationnel, d’Aubin.» Une allusion à un trio de proches du secrétaire général, que sont Jean-Christophe Le Duigou, ancien bras droit de Thibault, aujourd’hui son conseiller spécial ; Michel Donnedu, trésorier, ou encore Joël Decaillon, ancien responsable national, désormais secrétaire général adjoint de la confédération européenne des syndicats.

 

Pour l’opposition, la raison de cette crise est ailleurs. Seul à se livrer ouvertement, Jean-Pierre Delannoy, candidat contre Bernard Thibault au dernier congrès, estime que «si personne n’émerge pour l’instant, c’est que les véritables questions de fond ne sont pas soulevées, et que les candidats annoncés, ou autoproclamés, sont sur la même ligne». Et de considérer que le débat sur cette succession ne peut se limiter à des «questions de sexe ou de profil de telle ou telle personne». Delannoy, un candidat de plus ?

 

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