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21 mars 2010 7 21 /03 /mars /2010 20:54

http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/03/18/famille-russe-cherche-influence_1321045_3236.html


Famille russe cherche influence

LE MONDE | 18.03.10 | 17h52  •  Mis à jour le 18.03.10 | 17h52

La famille, les collègues, les amis, sont là, mais aussi des ministres, des anciens ministres, des capitaines d'industrie au visage familier. Ce mercredi 17 mars, dans la salle des fêtes de l'Elysée, a lieu une cérémonie solennelle : Nicolas Sarkozy remet la Légion d'honneur à quelques récipiendaires triés sur le volet.

Un jeune homme se tient à l'écart de la foule endimanchée. Il n'a pas de famille en France et ses collègues sont ses subordonnés. Alexandre Pougatchev, 25 ans, est le propriétaire de France-Soir. La directrice de publication de son journal, Christiane Vulvert, reçoit les insignes de chevalier de la Légion d'honneur, et Nicolas Sarkozy "rend hommage" à cette quasi inconnue dans le monde de la presse, "une grande journaliste", "une femme de conviction, "une femme d'action".

"Pure coïncidence", assure Christiane Vulvert, ce 17 mars est aussi le jour du lancement de la nouvelle formule du quotidien. Le matin même, 500 000 exemplaires ont été tirés, alors que la diffusion était jusque là de 26 000 exemplaires.

Alexandre Pougatchev avait déjà mis "des dizaines de millions d'euros" dans France-Soir. Un investissement aléatoire, mais une "paille" pour son père. Sergueï Pougatchev, dont la fortune est estimée à 2,4 milliards de dollars, figure au 42e rang sur la liste des Russes les plus riches dans le dernier classement de la revue moscovite Finans. L'oligarque a-t-il trouvé là le moyen d'améliorer son image ? De faire des affaires en France ? De s'attirer les bonnes grâces des milieux politiques ?

Avec cette formule, ce sont "20 millions d'euros", dit le jeune PDG, que les Pougatchev remettent au pot. "Plus qu'une nouvelle formule, c'est un nouveau journal", explique la directrice de la publication dans son immense bureau à l'angle de la rue de Berri et des Champs-Elysées, où le journal s'est installé à l'été 2009. A elle, la grande baie vitrée avec vue sur "les Champs". Au "président", comme elle l'appelle, un bureau trois fois plus petit, au bout du couloir.

Le PDG est arrivé en France à la fin de l'année 2008, le temps, d'abord, d'obtenir la nationalité française, il faut un passeport de l'Union européenne pour posséder un journal en France. Depuis deux ans, son père avait déjà près de 20 % de France-Soir. Le précédent propriétaire, Jean-Pierre Brunois, était venu rendre visite aux Pougatchev dans l'une de leurs villas de la Côte d'Azur. Il cherchait des investisseurs et leur avait vanté "la marque".

"Je n'avais jamais entendu parler de ce journal avant", raconte l'enfant de la perestroïka. Il ne cherchait pas à investir dans la presse, "ce sont les circonstances" qui l'ont amené là. A-t-il pour ambition de développer des affaires en France ? "Aujourd'hui, c'est si facile de faire des affaires partout. Je suis jeune, j'aime bien voyager, si demain il y a une opportunité à Rome, j'irai." Sa femme et ses deux enfants vivent à Vienne, en Autriche, il y va le week-end.

Alexandre Pougatchev est né à Saint-Pétersbourg en 1985, deux mois avant l'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev. Il a grandi à Moscou puis, à 15 ans, est parti pour Monaco faire des études dans une école américaine, l'International University of Monaco. Il passera ensuite quelques années à Moscou sur une énorme opération immobilière menée avec l'architecte français Jean-Michel Wilmotte.

Le voilà maintenant à la tête de 85 % des parts d'un journal français, via la société Sablon International. A Moscou, les professionnels de la presse sourient. "Il y a peu de chance que l'achat de France-Soir soit guidé par des intérêts économiques, note le patron de la Komsomolskaïa Pravda, Vladimir Soungorkine. En cette période de bonnes relations avec la France de Nicolas Sarkozy, peut-être s'agit-il d'un geste de soutien envers la presse française ?" A Paris, Intelligence Online, une lettre professionnelle très connue dans le monde du renseignement, va plus loin : "A deux ans de la prochaine élection présidentielle, ce journal pourrait devenir un relais de l'Elysée."

"On n'est pas côté gauche, côté droit, on est du côté du peuple", assure le PDG, en définissant en toute innocence la ligne du journal : "On défend certaines valeurs, celles de la France qui travaille." Le jeune homme était bien sûr invité à la soirée organisée récemment à l'Elysée en l'honneur du président russe Dmitri Medvedev. A la question de savoir s'il connaît le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, il répond : "Je l'ai croisé, mais je n'ai pas son portable."

Ses connaissances parisiennes, il les doit à sa directrice de publication, qui a en échange les pleins pouvoirs. Christiane Vulvert était secrétaire générale du Centre national du cinéma avant d'arriver à France-Soir, il y a quatre ans. Elle a survécu aux crises, éliminant l'une après l'autre les équipes appelées à forger de nouvelles formules. Douze journalistes, "licenciés de manière illicite" selon leurs avocats, ont engagé une action aux prud'hommes contre la direction depuis la fin avril 2009. Me Emmanuel Asmar défend la moitié d'entre eux. "La personne qui cristallise les reproches, dit-il, c'est Christiane Vulvert."

D'Alexandre Pougatchev, pour lequel il a travaillé pendant quelques mois en 2009 avant de voir son équipe remerciée, le journaliste Georges-Marc Benamou garde le souvenir d'"un garçon très doué, charmant, qui a parfois des choix étonnants". Gilles Bornais, éphémère directeur de la rédaction, est plus direct : "Je crois qu'il m'a viré parce que je lui disais des gros mots : journalisme, travail, humilité. Il écoute beaucoup ceux qui lui racontent de belles histoires."

Christiane Vulvert offre aussi de belles rencontres à son patron. Elle le promène dans les événements culturo-mondains, au Festival de Cannes, aux Globes de cristal, à l'Elysée ce 17 mars, grâce à cette Légion d'honneur. "C'est Patrick Buisson qui suit le dossier (France-Soir)" pour la présidence, affirmait la lettre Intelligence Online du 11 mars. Le conseiller de M. Sarkozy est-il intervenu pour que Mme Vulvert obtienne cette Légion d'honneur et se la voit remettre à l'Elysée ? Au téléphone, M. Buisson répond d'emblée qu'il n'a "aucun rapport avec France-Soir" et qu'il "ne parle pas aux journalistes".

"Mais vous connaissez Mme Vulvert ?

- Je connais Mme Vulvert. Et je connais M. Pougatchev, ajoute de lui-même le patron de la chaîne Histoire. Mais n'écrivez rien de ce que je vous dis."

M. Pougatchev père n'aime pas davantage la presse indépendante. Il a poursuivi en diffamation L'Express et la criminologue du CNRS Hélène Blanc, interviewée en 2004 dans l'hebdomadaire. Trois ans plus tard, il a été condamné en appel à verser 8 000 euros de dédommagements plus les frais de justice à la politologue, mais elle les attend toujours, assure-t-elle.

En Russie, cet homme de 47 ans se distingue des autres oligarques par ses relations avec l'Eglise orthodoxe. Dès les années 1980, il s'était lié avec le futur patriarche Alexis II, aujourd'hui décédé, et l'influent Père Tikhon, que la rumeur publique présente comme le confesseur de Vladimir Poutine. Au début des années 1990, Sergueï Pougatchev gérera les affaires de l'Eglise, après avoir fondé la Mejprombank. Il fait alors la connaissance d'un certain Vladimir Poutine, puis de la "Famille" - l'entourage du président Boris Eltsine.

Officiellement, "le banquier orthodoxe" s'est retiré des activités bancaires. Il le fallait pour pouvoir devenir, en 2001, sénateur de la lointaine république russe de Touva, poste qu'il occupe toujours et qui lui apporte l'immunité parlementaire.

C'est justement en 2001 que la justice française commence à s'intéresser à lui. Propriétaire sur la Côte d'Azur de plusieurs biens immobiliers et d'une société de location de voitures de luxe, Star Limousine, Sergueï Pougatchev fait alors l'objet d'une enquête préliminaire ouverte par le parquet de Nice, suite à la transmission, par l'organisme antiblanchiment français Tracfin, de soupçons sur des fonds circulant entre Monaco et la France. Le dossier sera transmis au parquet de Marseille, puis aux autorités monégasques, qui l'ont classé en 2006.

Avant de s'intéresser à France-Soir, Sergueï Pougatchev avait pris des participations dans la chaîne Luxe TV, basée à Luxembourg, et racheté l'épicerie fine Hédiard en 2007. Ces derniers mois, la presse britannique s'est régalée avec le dernier spot publicitaire de la marque, celui où une épouse de chef d'Etat, une jeune femme blonde sophistiquée, descend d'un jet, traverse Paris en limousine, et s'arrête dans une boutique Hédiard alors qu'elle est attendue en haut lieu.

Cette femme, c'est la comtesse Alexandra Tolstoï, une Britannique présentatrice à la BBC, raconte le Sunday Times, et c'est aussi la future épouse de Sergueï Pougatchev, dont elle attend un deuxième enfant. Sur la photo illustrant l'article, le Sergueï Pougatchev aux allures de pope des années 1990 s'est métamorphosé : torse nu sur un bateau, le milliardaire tient la jeune femme par l'épaule.

Ses affaires se sont beaucoup diversifiées dans les années 2000. Il les a regroupées dans une holding, OPK (Corporation industrielle unifiée), présente dans la banque, le secteur minier, l'immobilier, les médias, la compagnie pharmaceutique américaine Biopure, et les chantiers navals, à Saint-Pétersbourg, avec Baltiski Zavod (L'usine de la Baltique) et Severnaïa Verf (Le chantier du Nord).

"Severnaïa Verf est le chantier naval le plus moderne du pays, celui qui a la meilleure réputation", assure Rouslan Poukhov, directeur du Centre d'analyse des stratégies et des technologies à Moscou. Pour cet expert, "il y a de fortes chances" que ce chantier soit choisi pour l'assemblage de deux des quatre porte-hélicoptères Mistral que la France envisage de vendre à la Russie.

A cette aune, les 20 millions d'euros réinjectés dans "France-Soir" sont peu de chose. Un ancien du quotidien ironise : "Paris vaut bien une messe, et un Mistral vaut bien France-Soir."

Marie-Pierre Subtil avec Alexandre Billette (à Moscou)
Article paru dans l'édition du 19.03.10




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