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La gauche au risque du déshonneur
Par Clémentine Autain, porte parole d'Ensemble, Roland Merieux, Olivier Mollaz et Francis Sitel, membres de l'équipe nationale d'animation d'Ensemble
Vendredi 26 Février 2016
Cette tribune collective de membres d'Ensemble vise à interpeller la gauche sur la situation dramatique en Syrie.
Soutenir le peuple syrien, aujourd'hui massacré par le régime de Bachar al Assad et les bombardements russes, est une impérieuse et urgente nécessité.
Il est un pays dont le peuple est assassiné, sans que secours lui soit porté, plus de deux cent cinquante mille morts, des dizaines de milliers d’emprisonnés et torturés et des millions de déplacés et d’exilés. Ce pays s’appelle la Syrie. Ce peuple est le peuple syrien. Un peuple qui, dans le grand élan des révolutions arabes, après des décennies de dictature s’est soulevé pour imposer justice et liberté. Les forces nées de cette révolution sont sauvagement combattues par deux contre-révolutions, celle du régime en place et celle de l'Etat Islamique. L’armée du régime reçoit le renfort des milices iraniennes, des milices chiites irakiennes et du Hezbollah, et est appuyée par les bombardements meurtriers de l’aviation russe qui cible prioritairement, d’une part, les positions de l’Armée Syrienne Libre (ASL) et des forces rebelles et, d’autre part, les hôpitaux, les écoles et les marchés, avec l’objectif de contraindre les civils à fuir.
La Syrie est devenue le théâtre de plusieurs guerres et de multiples interventions étrangères. Qui peut encore prétendre que la situation se réduit à un face-à-face entre le régime et les djihadistes ? Cet argument traduit ignorance et désintérêt, voire soutien plus ou moins assumé au régime de Bachar al Assad.
La situation actuelle à Alep doit lever tout doute ou incompréhension. Le régime veut reconquérir militairement tout le pays, quitte à raser les villes et à expulser une majorité de la population. Pour ce sale travail, il dispose du soutien direct et massif de l’Iran et de la Russie. Il peut compter sur l’impuissance complice des Etats-Unis et de ses alliés, dont la France. Car, derrière les arguments humanitaires et diplomatiques, tous sont guidés par leurs propres raisons de grandes puissances et de contrôle géopolitique et de ventes d’armes à l’Arabie Saoudite et au Qatar. Les livraisons au compte-gouttes d'armes aux insurgés ne peuvent occulter le fait que la coalition laisse faire la Russie et le régime syrien.
Aujourd’hui, à Alep, se joue un tournant décisif pour l’avenir de la Syrie. Alors qu’on prétend négocier à Genève une prétendue « solution de paix », l’offensive militaire en cours vise à assiéger la ville et à affamer la population qui en restera prisonnière, comme cela se fait dans d’autres cités syriennes. Des dizaines de milliers de réfugiés, dans le plus grand dénuement et à grands risques, fuient vers une frontière turque qui leur reste fermée. C’est toute la région qui peut s’embraser davantage, compte tenu des attaques de l’armée turque contre les kurdes et de la montée des tensions entre la Turquie et la Russie.
Face à cette tragédie et à l’extension de la confrontation qui menace, les puissances occidentales laissent faire et l'Organisation des Nations Unies (ONU) affiche sa totale passivité. Et la gauche française reste impuissante sinon muette. N’a-t-elle rien à dire, ne peut-elle rien faire ? Ne serait-ce que pour prouver qu’elle n’est pas indifférente ?
Lorsque des civils meurent en masse sous les bombardements, se trouvent soumis à la famine, privés de tout, et jetés sur les routes par dizaine de milliers, nous ne pouvons être indifférents du point de vue humanitaire et des droits humains. Lorsque pour sauvegarder son pouvoir, un régime livre une véritable guerre contre son peuple, utilisation d'armes chimiques à l'appui, et se voit taxé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, accusation étayée par le « dossier César » et par plusieurs commissions d'enquête internationales, dont une de l'ONU, nous avons le devoir de donner de la voix. Lorsque des moyens militaires de grande ampleur sont mis en œuvre pour détruire un peuple et tuer tout espoir de liberté en ce pays, nous devons prendre un parti pris politique.
L’écrasement complet de la révolution syrienne n’irait pas sans terribles conséquences pour tous les peuples et cela bien au-delà du Moyen-Orient. A gauche, nous devons dire que le soutien au peuple syrien implique de dénoncer l'Etat Islamique et le régime de Bachar al Assad. Elle doit expliquer qu’il n’y aura pas d’avenir digne pour l’Europe, ni de réponse au défi que représentent les mouvements de migration et de défense face au terrorisme, si le peuple syrien et les forces démocratiques qu’il porte sont, en ces heures décisives, abandonnés.
Un silence maintenu vaudrait déshonneur au regard de ce que sont les valeurs et les responsabilités dont la gauche se revendique.