https://aplutsoc.org/2022/04/03/a-bas-lunion-sacree-pour-desarmer-les-ukrainiens-des-armes-pour-la-resistance-ukrainienne/
A bas l’union sacrée pour désarmer les ukrainiens, des armes pour la résistance ukrainienne
Par Vincent Presumey
Dimanche 3 Avril 2022
Cinq semaines après le déclenchement de la guerre impérialiste russe de destruction de l’Ukraine, les armées de Vladimir Poutine ont subi une profonde défaite politique, militaire et morale.
Alors que le président russe croyait que l’Ukraine tomberait comme un fruit mur, c’est une guerre populaire de libération nationale qui s’est déclenchée, dans laquelle toute la population participe directement ou indirectement au combat. Tout partisan conscient de l’émancipation humaine et de la révolution sociale devrait comprendre qu’elle passe par là et que l’initiative populaire massive, dans la lutte contre un envahisseur impérialiste supérieur techniquement, a une portée révolutionnaire.
Les soldats russes connaissent un taux de perte énorme et de très nombreuses désertions, allant jusqu’au passage dans les rangs ukrainiens. A Tchernobyl, privés de toute information sur les dangers du lieu, les soldats russes ont remué terre, métal et bois, pendant trois semaines et ils sont maintenant hospitalisés en masse en Biélorussie.
Cependant, les structures russes de commandement utilisent la désorientation morale et psychologique des jeunes soldats pour les pousser au crime. Pillage, massacre, avec la pratique de la zatchistka, le nettoyage né dans la seconde guerre de Tchétchénie, consistant à laisser les civils tués devant leurs maisons, viols massifs et fosses communes.
C'est le tableau honteux que découvre la libération des campagnes et des petites villes autour de Kiev et de Kharkiv, en même temps que des bombardements de destruction se poursuivent un peu partout, ciblant les civils et les infrastructures et n’épargnant pas le patrimoine historique sauf, pour le moment, à Kiev, car détruire la mère de la Sainte Russie poserait un problème politique. La famine est également, très clairement, une arme de guerre à Marioupol, à Izioum et dans plusieurs villes du Donbass.
Les prisonnières ukrainiennes libérées dans le cadre d’un échange de prisonniers ont été tondues, mais elles sont fières, ce qui est la première défaite des brutes coloniales grandes russes, qui en annonce d’autres, mais à quel prix ?
Les troupes russes se réorientent contre le Donbass et le Sud de l’Ukraine, préparant clairement une opération massive de purification ethnique avec les crimes de masse et les déportations qui vont l’accompagner. Cette guerre impérialiste est réactionnaire sur toute la ligne et il s’agit de la guerre impérialiste russe.
La responsabilité du mouvement ouvrier mondial et de l’internationalisme est d’appeler à armer la résistance ukrainienne et d’exiger de nos gouvernements l’envoi d’armes, défensives et offensives, en toute transparence et sans leur accorder le moindre blanc-seing, ni le moindre soutien politique. L’opposition des bureaucrates de toutes les organisations, sectes révolutionnaires comprises, souvent en première ligne, est flagrante. Elle pose tous les problèmes de la réorganisation et du réarmement de l'internationalisme, au sens pratique comme au sens théorique.
En partie sous la pression des opinions publiques et en partie pour tenir le gouvernement ukrainien et pour mener leur politique propre de pression coupant l’impérialisme russe du marché mondial, les Etats-Unis, les puissances européennes et la Turquie qui craint une hégémonie russe dans la Mer Noire, fournissent quelques armes, dans des conditions non transparentes. On notera le refus d’Israël de fournir des armes. Un tiers environ des véhicules de combat russes acheminés sur le terrain ayant été capturés par les ukrainiens, l’armement ukrainien est renouvelé par ce biais beaucoup plus que par l’aide venant de pays de l’Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN).
L’infériorité ukrainienne en matière d’artillerie et au plan aérien est décisive. Si elle était surmontée, la défaite russe totale serait très rapide sur tout le territoire, y compris le Donbass, et l’effondrement du pouvoir de Vladimir Poutine serait facilité. Le seul domaine où l’on peut supposer que l’aide de l’OTAN est décisive est celui du renseignement, voire de la cybersécurité, encore que, en la matière, les hackers ukrainiens, entrainés depuis des années contre la pression russe, sont parmi les meilleurs du monde. Nous savons maintenant que la colonne géante de chars qui, au début de la guerre, devait écraser Kiev comme un marteau-pilon, a largement été défaite par les raids éclairs d’une trentaine de jeunes se déplaçant en quads, maîtrisant informatique et drones, et dont le financement a reposé sur des réseaux participatifs, leur permettant notamment de se procurer des modems et des caméras thermiques, qui font partie du matériel de solidarité demandé d’urgence par les responsables de la fédération des syndicats ukrainiens (FPU) et de la confédération des syndicats libres ukrainiens (KVPU), avec des gilets pare-balles corrects et des fusils. Cette structure coopérative armée, dont le rôle a été décisif, est dénommée Aerorozvidka.
Dans cette situation, à quel jeu jouent certains courants et certaines organisations qui peuplent encore notre mouvement ouvrier ?
A l’aéroport de Pise, en Italie, l’Union Syndicale de Base (USB) a affirmé avoir découvert des armes dissimulées dans des avions d’aide humanitaire devant se rendre en Pologne. Convaincus qu’il s’agissait d'armes pour l’Ukraine, les responsables du syndicat et de plusieurs formations staliniennes, pacifistes ou d'extrême-gauche, ont rassemblé, Lundi 14 Mars 2022, plusieurs centaines de manifestants et ils ont obtenu la promesse des autorités aéroportuaires de ne plus recommencer. Notons qu’il est fort possible que ces armes aient été destinées aux bases polonaises de l’OTAN plutôt qu’à la résistance ukrainienne, mais passons. Les médias officiels russes étaient là pour filmer le petit rassemblement.
Le mouvement italien contre la guerre est en fait, très largement, un mouvement pour que les ukrainiens n’aient pas d’armes. Ce n’est donc pas un mouvement contre la guerre, mais un mouvement pour aider Vladimir Poutine à massacrer les ukrainiens, un mouvement pro-impérialiste, quelles que soient les illusions et les bons sentiments de ses participants.
A Gènes, les mêmes forces politiques staliniennes d'extrême-gauche se sont retrouvées quelques jours plus tard, aux côtés de l’archevêque catholique de Gènes et de l’évêque de Savone, autour de l'impérieuse exigence de la paix et donc pas d’armes, surtout pas d’armes, pour l’Ukraine.
La coalition Potere al Popolo de la gauche antilibérale et ses élus lancent un appel à un mouvement européen contre la guerre dont les deux premiers mots-d’ordre sont pas de sanctions contre la Russie, pas d’armes pour l’Ukraine, accueil de tous les réfugiés et un monde sans armes nucléaires, appel suivi d’effets, nous allons le voir un peu plus loin.
Il faut bien comprendre que cette orientation affaiblit directement la lutte de classe des travailleurs italiens. Les syndicats de base avaient commencé à briser l’union nationale contre le coronavirus derrière Mario Draghi cet automne et nous en avions rendu compte. Mais ils associent maintenant de plus en plus systématiquement l’opposition à l’austérité gouvernementale et à l’armement des ukrainiens, ils disent « non au gouvernement de la guerre et de la vie chère », alors que ce second point est pleinement partagé par la direction de la principale confédération, accusée jusque là à juste titre par les syndicats de base de cogestion avec Mario Draghi, la Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL). Plus encore, l’essentiel de la droite et de l’extrême-droite italienne, avec la Ligue du Nord et le Mouvement Cinq Etoiles (MCE), version droitière du populisme en Europe occidentale, dont les deux autres versions de gauche sont le Mouvement de la France Insoumise (MFI) en France et Podemos en Espagne, organisations dont les leaders sont également mobilisés contre l’aide à la résistance ukrainienne, sont aussi sur cette position, de même, nous l'avons vu au passage, que les dignitaires du clergé catholique.
Ainsi est perdu le début d’indépendance de classe de l'automne 2021 et il ne faut pas s’étonner que les plus larges masses n’entrent pas dans ce type de mobilisations qui, sous couvert de fausse radicalité contre l’OTAN, sont en fait les véritables manifestations de l’union sacrée pour protéger Vladimir Poutine, pour couvrir les impérialismes occidentaux, en faisant croire qu’ils aident massivement l’Ukraine alors que ceci est faux, et avec les secteurs de la bureaucratie de la CGIL, du patronat, de l'église, de la droite et de l’extrême-droite, qui veulent une Italie non alignée et indépendante agissant pour la paix.
L’initiative italienne cherche à faire école. En Grèce, le parti néo-stalinien KKE et ses réseaux syndicaux font croire que les impérialismes s’affrontent en Ukraine, ignorant l’existence des ukrainiens ou les présentant comme les valets de l’OTAN voire pire, ils appellent, bien entendu, à la paix et, pour cela, le syndicat des cheminots qu’ils contrôlent appelle à bloquer les armements de l’OTAN, c’est-à-dire en réalité à tout faire pour que les ukrainiens désarmés se fassent tuer, tout en faisant croire que l’OTAN les aide. En France, le congrès de la Fédération Nationale des Industries Chimiques (FNIC) de la Confédération Générale du Travail (CGT), à rebours et contre le travail internationaliste réel de la commission internationale de la CGT, apporte son plein soutien à l’action de Pise érigée en modèle.
A partir de l’épicentre italien, une réunion européenne est annoncée Dimanche 3 Avril 2022 contre la guerre, sans un mot contre Vladimir Poutine. Ces partisans annoncés du désarmement des ukrainiens massacrés sont le Parti de la Refondation Communiste (PRC), Potere al Popolo, Podemos, Unidas Podemos, le Parti Communiste Français (PCF), le Mouvement de la France Insoumise (MFI), le Parti du Travail de Belgique (PTB), le parti démocratique des peuples (HDP), le Parti Communiste d'Autriche, die Linke et, en guest star, la ministre contre l'OTAN du gouvernement de la monarchie espagnole membre de l’OTAN, Ione Belarra, secrétaire générale de Podemos et ministre des droits sociaux à Madrid. Ils appellent à agir contre la guerre, contre l’envoi d’armes, contre les sanctions, pour la paix et pour une solution diplomatique du conflit. Comment ne pas voir qu'ils sont des partisans de l’union sacrée de leur propre impérialisme, y compris en tant que participant de l’OTAN, avec l’impérialisme russe, pour le désarmement et le massacre du peuple ukrainien ?
Ce sont des pro-impérialistes d’union sacrée. De même que Vladimir Poutine prostitue les mots, appelle dénazification les méthodes du fascisme, viols de masse et purification ethnique, ces nostalgiques du vingtième siècle parasitant les combats nécessaires du vingt et unième siècle, ruissellements du stalinisme sous toutes leurs formes, des libéraux droitiers, otaniens, européistes, gouvernementaux d’Italie aux rouges parfois bruns anti-impérialistes, communiant à nouveau sous le mot de paix, le prostituent au service de la vraie cause de la guerre.
Les seuls anti-impérialistes, y compris par rapport aux puissances impérialistes membres de l’OTAN, sont ceux qui militent pour armer la résistance ukrainienne. Dans toute l’Europe, sont ou vont être lancés des appels à manifester Samedi 23 Avril et Dimanche 24 Avril 2022 contre Vladimir Poutine, contre la guerre et pour le soutien à la résistance ukrainienne y compris en armes. Il n’y a pas de conciliation possible entre les deux lignes, d'une part, celle de la lutte internationaliste et anti-impérialiste et, d'autre part, celle de l’union sacrée avec Vladimir Poutine pour le non-alignement des capitalismes européens. Elles doivent et vont s’affronter, en même temps que les peuples ukrainiens, russes, biélorusses et kazakhs, doivent affronter directement Vladimir Poutine. Bien sûr que nous devons aider en nourriture et en médicaments le peuple ukrainien et nos camarades de la KVPU, de la FPU, du Mouvement Social, de la Ligue Socialiste, les anarchistes, les féministes, les homosexuels et les unités de la défense territoriale, mais la question des questions est celle des armes. Combattre l’union sacrée, c’est combattre pour armer les ukrainiens et le terrain de ce combat, c’est la lutte des classes et le mouvement ouvrier mondial.