Le coronavirus s’est-il échappé d’un laboratoire de Wuhan ?
Plus d'un an après le début de la pandémie, l'origine exacte du coronavirus n'a toujours pas été déterminée. Les journalistes d'Envoyé Spécial et de France Info ont enquêté pendant plusieurs mois sur l'hypothèse d'une fuite de laboratoire.
Samedi 13 Mars 2021
Cela fait plus d'un an que la question reste sans réponse. D'où vient le coronavirus ? Au début de l'année 2020, le coupable était tout désigné, c'était un pangolin, vendu sur les étals d'un marché de Wuhan. Mais cette théorie a désormais du plomb dans l'aile. Interrogé par France Télévision, George Gao, le directeur du centre de contrôle et de prévention des maladies chinois, le reconnaît lui-même, « après un an de recherches, nous n'avons trouvé aucun animal porteur du virus sur ce marché. Donc il a sans doute été un amplificateur de l'épidémie, mais pas la source directe et le virus découvert chez les pangolins est en fait complètement différent du coronavirus ».
Il y a une seule certitude, le virus vient d'une chauve-souris. Comment est-il passé à l'homme ? Deux hypothèses sont aujourd'hui jugées crédibles par les scientifiques. La première, considérée comme la plus probable, est celle d'une zoonose, c'est-à-dire d'une infection par un animal, une chauve-souris infectée a pu contaminer un homme directement ou à travers un animal intermédiaire non identifié pour le moment. La deuxième hypothèse, beaucoup plus sensible, est celle d'une fuite de ce virus depuis un laboratoire, peut-être lors d'une erreur humaine. Longtemps assimilée à une thèse complotiste, elle est aujourd'hui jugée plausible par une partie de la communauté scientifique.
Wuhan, connue pour son activité de recherche sur les virus, abrite trois laboratoires, un laboratoire pathogène de quatrième classe de très haute sécurité, où sont étudiés des virus comme Ebola, et deux laboratoires pathogènes de troisième classe, où sont étudiés les coronavirus. Ces derniers se trouvent en centre-ville, à quelques dizaines de mètres du marché où s'est déclarée l'épidémie. Tous ces laboratoires sont soumis à des règles de sécurité drastiques. Dans les laboratoires pathogènes de troisième classe, les chercheurs doivent passer par un sas où ils enfilent une tenue de protection. Interrogé par France Télévision, Manuel Rosa-Calatrava, le codirecteur du laboratoire pathogène de troisième classe de Lyon, dit que « c’est un environnement confiné, complètement étanche. De plus, il est en sous-pression, c'est-à-dire que la pression atmosphérique à l'intérieur est inférieure à celle de l'extérieur. En conséquence, par un principe physique, il ne peut pas y avoir de fuite de l'atmosphère de l'intérieur vers l'extérieur ». Pour les laboratoires pathogènes de quatrième classe, les consignes sont encore plus strictes. Les manipulateurs doivent porter un scaphandre grâce auquel ils respirent de l'air filtré.
Malgré ces consignes drastiques, l'hypothèse d'une fuite du virus depuis un laboratoire à Wuhan reste crédible aux yeux d'Etienne Decroly, directeur de recherche du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) à l'université Aix-Marseille, « je crois que les autorités chinoises sont extrêmement rigoureuses sur les normes de sécurité, mais il faut se rappeler que ce sont des virus respiratoires et donc qu'ils persistent dans l'air un certain temps. Nous avons tous vu que, malgré le port du masque, nous pouvons quand même nous contaminer. Donc dans un laboratoire pathogène de troisième classe, où les manipulateurs n’ont pas de scaphandre, il y a des possibilités qu'il y ait des contaminations ». Dans l'histoire de la virologie, ce type de contamination s'est d'ailleurs déjà produit. En 2004, le virus responsable du Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS) s'était échappé de l'Institut de Virologie de Pékin (IVP), laboratoire pathogène de troisième classe. Cinq cadres de l’IVP, accusés d’erreurs et de manquements, avaient alors été sanctionnés par Pékin.
Dans le cas du coronavirus, une incohérence géographique pousse aussi à creuser l'hypothèse d'une intervention humaine derrière la pandémie. Monali Rahalkar, microbiologiste à l’institut de recherche Agharkar, en Inde, étudie les origines du virus depuis le début de la pandémie. Elle souligne un point fondamental, « nous savons que le virus vient d'une chauve-souris. Mais toutes ces chauves-souris vivent dans le sud de la Chine, dans le Yunnan. C'est à plus de mille kilomètres de Wuhan, là où l'épidémie a démarré ». Pendant des années, les scientifiques de Wuhan ont fait de nombreuses expéditions dans cette région du Yunnan pour collecter des coronavirus. La question se pose ainsi de savoir s'ils ont pu, ou non, rapporter le coronavirus lors de l'une de leurs expéditions.
C'est d'ailleurs dans cette région qu'a été prélevé le virus le plus proche du coronavirus. C'est Shi Zhengli, la directrice adjointe de l’Institut de Virologie de Wuhan (IVW), qui l'a découvert en 2013. Le coronavirus de la chauve souris a quatre vingt seize pour cent de ressemblances avec le coronavirus. Le coronavirus de la chauve souris a été prélevé dans une ancienne mine du Yunnan.
Depuis la pandémie de coronavirus, cette mine fascine tous ceux qui s'intéressent aux origines du virus. Plusieurs équipes de journalistes ont tenté de s'en approcher. Toutes ont été bloquées par des villageois avant d'arriver à la mine. Une journaliste chinoise, originaire de cette région montagneuse, s'y est rendue pour France Télévision et elle a réussi à interroger un caféiculteur installé à proximité, « la mine est fermée en ce moment. Je ne sais pas pourquoi. C'est le gouvernement qui l'a fermée et il a mis des caméras de vidéosurveillance partout autour du lieu. Si vous y allez, je vous préviens, il va vous filmer et vous prendre en photographie. Personne ne peut rentrer. Ils ont installé un grand barrage devant la mine et la route est barrée ». De fait, notre journaliste n'a pas pu accéder à cette mine.
Car la difficulté lorsqu'on enquête sur l'origine du virus, c'est avant tout l'attitude de la Chine, qui n'autorise l'accès ni aux lieux ni aux données sensibles. C'est d'ailleurs le problème auquel s'est heurtée l'équipe de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui comptait dix scientifiques, partie au mois de janvier 2021 à Wuhan pour étudier l'origine du virus. Ce voyage, réalisé sous haute tension diplomatique, a nécessité plusieurs mois de négociations. Il a d'abord été annulé à la dernière minute une première fois par les autorités chinoises, avant d'être finalement autorisé le 12 janvier 2021.
Avant même son départ en Chine, Fabian Leendertz, un des membres de l'équipe et médecin vétérinaire à l'Institut Robert Koch (IRK), se disait conscient du caractère quasi-impossible de cette mission, « ce n'est pas moi ou un autre membre de l'équipe qui trouverons la réponse. Ce sont nos collègues chinois, c'est clair, et cela prendra peut-être six mois, un an, cinq ans, vingt ans ou même plus. Nous verrons ».
Au mois de janvier 2021, lorsque les scientifiques ont atterri à Wuhan, ils ont d'abord été placés en quarantaine pendant deux semaines. Lorsqu'ils ont pu enfin sortir, chaque déplacement s'est fait sous haute surveillance, les experts de l'OMS étant toujours accompagnés par des scientifiques et des officiels chinois. Ils ont visité le marché de Wuhan, mais aussi le fameux IVW. La visite la plus scrutée de leur voyage, comme en témoigne le récit du responsable de la mission de l'OMS, Peter Ben Embarek, « nous devons leur poser des questions difficiles et il faut orchestrer tout cela d'une certaine manière pour pouvoir les amener à parler de sujets difficiles sans les offenser ».
Dans les faits, les experts de l'OMS n'ont eu qu'un accès limité à l’IVW et ils n'ont pas pu étudier eux-mêmes les données détaillées. C'est à la fois une question de moyens, car l'équipe de l'OMS n'a eu ni le temps, ni les ressources pour se plonger dans toutes les données de l’IVW, et une question de réticence de la Chine. La collaboration avec les chercheurs chinois n'a d'ailleurs pas toujours été simple. Au mois de février 2021, Peter Ben Embarek nous racontait depuis Wuhan que « les réunions commencent à être compliquées. Nous avons commencé à discuter des différentes hypothèses sur l'origine du virus et, bien sûr, certaines hypothèses ne sont pas très populaires ici ».
Après deux semaines sur le terrain, l'OMS finit par donner une conférence de presse le 9 février 2021 pour marquer la fin de la mission à Wuhan. Devant les caméras du monde entier, Peter Ben Embarek explique que « l'hypothèse d'une fuite de laboratoire est hautement improbable ». Cette affirmation provoque l'incompréhension de nombreux scientifiques, qui soulignent que l'équipe de l'OMS n'a pas eu un accès direct aux données essentielles, échantillons prélevés sur les premiers malades et dossiers complets des laboratoires. Les Etats-Unis, de leur côté, répondent qu'ils n'accepteront pas ces conclusions sans vérification. Dans les faits, le contenu des discours de la délégation de l'OMS a été négocié avec les scientifiques chinois, selon nos informations.
Face à ces réactions, le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, est obligé de revenir sur la déclaration. Quelques jours plus tard, il assure publiquement que, après avoir parlé avec l'équipe de la mission, « toutes les hypothèses restent ouvertes et nécessitent des études plus poussées ». Peter Ben Embarek nous confirme ainsi que, n'ayant pas fait un audit du laboratoire, l'OMS ne peut en réalité rien affirmer de définitif, « nous laissons tomber cette hypothèse, mais elle est toujours sur la table. Nous n’avons pas dit que c'était impossible ».
A la suite de ce couac diplomatique, vingt six scientifiques ont signé une lettre ouverte réclamant une nouvelle enquête approfondie et crédible, qui n'exclurait aucune piste. Ils exigent également un accès direct aux échantillons et aux dossiers pertinents pour comprendre ce qu'il s'est passé. Le saura-t-on un jour ? La réponse à la question repose sur la Chine. Si le pays ne se montre pas transparent, les scientifiques en sont conscients, il est possible que nous ne connaissions jamais la vérité.