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Déconfinons la culture, l’appel des professionnels à Emmanuel Macron
Un an après les premières fermetures, une vingtaine d’acteurs du secteur lancent, en exclusivité dans nos colonnes, une lettre ouverte au chef de l'état pour la réouverture des lieux culturels.
Le 29 février 2020, l'étau se resserre depuis quelques semaines déjà. Une ombre qui plane et se rapproche. A l'issue d'un conseil des ministres exceptionnel, Olivier Véran, tout juste nommé ministre de la santé, annonce plusieurs mesures pour freiner l'épidémie de coronavirus, qui gagne du terrain. Parmi elles, il y a l'annulation des rassemblements de plus de cinq mille personnes dans les lieux fermés et, le premier mars 2020, la fermeture des cinémas et des salles de spectacle dans les premiers départements touchés.
Un an a passé. Avec le contexte que nous connaissons, c'est un bien triste anniversaire pour les professionnels du secteur, toujours à l'arrêt, mais aussi une date symbolique, qui les a motivés à se mobiliser. Ils lancent à travers une lettre ouverte, Lundi Premier Mars 2021, un appel à l'état et, plus particulièrement, à Emmanuel Macron. Le nom de ce mouvement est Rebranchons la Culture.
Ce que réclament ces signataires, une vingtaine d'organismes culturels de premier plan, c'est un calendrier et un cadre de réouverture des lieux, pas dans un mois ou deux mois, mais maintenant. Car le silence sur leur avenir devient assourdissant. « C'est un appel de bon sens et extrêmement responsable », insiste Jean-Noël Tronc, directeur général de la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique (SACEM), à l'initiative de ce message commun, « un an a passé. Nous avons désormais besoin de visibilité. Nos protocoles sanitaires sont de plus en plus au point. Nous avons suffisamment de recul pour demander un cadre clair et complet de reprise ».
Surtout, les signataires lorgnent sur ce qui se passe de l'autre côté de nos frontières. L'Espagne a rouvert ses salles de cinéma et de spectacle, selon un protocole sanitaire strict. L'Italie a rouvert des musées, ces dernières semaines, dans plusieurs régions. L'Angleterre, pays le plus endeuillé d'Europe, a annoncé un calendrier de réouverture. « On parle d'exception culturelle française, mais où est-elle », s'interroge Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération Nationale des Cinémas Français (FNCF), « il ne faudrait pas que cela devienne une exception culturelle inversée ».
« Nous sommes des professionnels de l'accueil », insiste Malika Seguineau, directrice générale du PRODISS, syndicat qui regroupe quatre cents producteurs de spectacles musicaux, d'humour et de festivals, « nous voulons dire à l’état de nous faire confiance ». Plusieurs concerts tests, à Paris et à Marseille notamment, doivent d'ailleurs être menés au mois d’avril 2021, en partenariat avec l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (APHP) et l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).
Pour eux, il s'agit aussi de stopper l'hémorragie. « La situation est catastrophique, c'est toute une économie qui est en train de sombrer », alerte Jean-Noël Tronc, « le secteur culturel est le deuxième le plus touché après le secteur aérien ». En France, la perte de chiffre d'affaires des industries culturelles et créatives s'élève à vingt-huit milliards d'euros, soit une baisse de trente-deux pour cent par rapport à 2019, selon une étude parue au mois de janvier 2021. Plus d'un million d'emplois sont menacés.
« Nous avons été dociles et compréhensifs pendant un an, mais le virus, il faut vivre avec. Il faut établir un schéma de reprise avec cette idée en tête », insiste Malika Seguineau, « si nous voulons qu'il se passe des choses dans deux ou trois mois, il faut nous le dire maintenant. L'été, c'est demain ».
Le dernier cadre, proposé par le ministère de la culture, pour la tenue des festivals de l'été 2021, avec des jauges maximales de cinq mille personnes, distanciées et assises, ce n’est pas satisfaisant, selon eux, « le modèle qu'on nous propose est d'être gentiment assis sur une chaise en silence. On aseptise tout. Les personnes se désintéresseront, ce n'est pas cela un concert », insiste le PRODISS.
Le producteur Olivier Darbois, son président, prévient que « la musique est générationnelle. On construit son identité avec elle, c'est ultra-important. Si les jeunes ne s'émancipent plus par la musique et les concerts, nous allons voir fleurir des événements totalement sauvages, bien plus dangereux, parce que la révolte, nous la sentons, elle est là ».
C'est donc un secteur à genou qui appelle au secours et qui a besoin d'un signal fort. « La non-réouverture des salles le 15 décembre 2020 a été un gros traumatisme », assure Bertrand Thamin, président du Syndicat National du Théâtre Privé (SNTP), « nous avions tellement bossé pour ouvrir. Grâce aux aides, nous sommes plutôt bien lotis, mais ce que nous voulons, c'est pouvoir exercer notre métier et le débat sur le non-essentiel a été très mal ressenti ».
Car pour eux, la culture n'est pas un bien de consommation comme les autres. « Le spectacle vivant, le cinéma, c'est le plaisir de vivre ensemble », dit Marc-Olivier Sebbag, « cette fermeture, c'est une amputation d'une partie de la vie des personnes et une émotion partagée qui n'existe plus. Nous ne pouvons pas être seulement des consommateurs et des travailleurs. Sans la culture, il y a un déséquilibre. Nous voyons bien la flambée des maladies psychiatriques ».
« Le pire, pour moi, c'est que nous sommes fermés pour des mauvaises raisons, pas pour des raisons sanitaires, mais pour des raisons d'exemplarité, pour que les restaurateurs ne soient pas tous seuls », dit Bertrand Thamin, « j’insiste, il n'y a jamais eu de clusters chez nous ».
APPEL DES PROFESSIONNELS DE LA CULTURE
Un an sans public, la culture sacrifiée
Les professionnels de la culture se mobilisent à l'approche d'un bien triste anniversaire.
Le 29 février 2020, à l'issue d'un conseil des ministres exceptionnel, le ministre de la santé annonçait plusieurs mesures pour éradiquer l'épidémie de coronavirus, dont l'annulation des rassemblements de plus de cinq mille personnes dans les lieux fermés, très rapidement suivie par la fermeture des cinémas et des lieux de spectacle dans les premiers départements concernés. Premier secteur confiné, la culture est l'un des derniers à le rester. A l'approche du 29 février 2021, date qui n'existe pas au calendrier, les acteurs culturels tiennent à rappeler à tous ce triste anniversaire, avant que leurs métiers n'existent plus.
Depuis un an, la culture est soumise à un stop and go répétitif et imprévisible, musées, théâtres, cinémas, salles de spectacles ou lieux d'expositions ont dû fermer, puis rouvrir, et fermer à nouveau. Elle n'a jamais pu bénéficier de visibilité sur son calendrier de reprise, alors que de nombreux centres commerciaux et commerces non essentiels ont pu rouvrir dès le 28 novembre 2020. Cette discrimination semble d'autant plus injustifiée que le président de la république lui-même avait salué, au mois de novembre 2020, le rôle majeur de la culture pour accompagner les français dans cette période éprouvante, « la culture est essentielle à notre vie de citoyens libres ».
Un an de confinement pour la culture, cela signifie concrètement que de très nombreux artistes, auteurs et créateurs, ne peuvent plus pratiquer leur métier, ni vivre de leur art. L'interdépendance de leurs activités entraîne un effet domino préjudiciable pour l'ensemble des secteurs créatifs.
L'impact économique de la crise sanitaire sera durable pour la culture avec des chutes de revenus massives observées au niveau européen, soixante-seize pour cent pour la musique et quatre-vingt-dix pour cent pour le spectacle vivant. Cinquante-six pour cent des artistes des arts visuels ont perdu plus de cinquante pour cent de leurs revenus et nous observons une baisse de soixante-dix pour cent de fréquentation des salles de cinéma français.
En France, un million trois cent mille emplois portés par les industries culturelles et créatives sont directement menacés et l'impact de la crise sanitaire a fait chuter son chiffre d'affaires de quatre-vingt-onze milliards d'euros à soixante-deux milliards d'euros, soit une perte de trente-deux pour cent.
Comme le redoutent de nombreux professionnels de la culture depuis plusieurs mois, la France risque tout simplement de créer une génération sacrifiée d'artistes et d'acteurs culturels. Nombre d'entre eux vont devoir renoncer à leur métier, faute de pouvoir en vivre, et de très nombreux talents en devenir ne pourront jamais éclore. C'est une véritable urgence nationale, qui met en cause l'avenir de notre modèle culturel.
Le confinement de la culture n'est en rien une fatalité, mais au contraire un choix politique qui doit être débattu. Pourquoi la France ne s'inspire pas de l'exemple de certains de ses voisins européens, qui ont déconfiné avec succès leurs lieux culturels alors qu'ils se trouvent dans un contexte sanitaire équivalent au nôtre, voire plus grave ? C'est le cas par exemple de l'Espagne, dont les spectacles et les cinémas ont repris depuis l'été dernier, avec un protocole sanitaire strict, ou de l'Italie, qui a rouvert le 18 janvier 2021 ses institutions culturelles dans les six régions les moins exposées au coronavirus.
Pays d'Europe le plus endeuillé, l'Angleterre a annoncé récemment sa stratégie de déconfinement de la culture avec une réouverture des salles de spectacles et de cinéma dès le 17 mai 2021 suivie de la réouverture des salles de concerts le 21 juin 2021. Outre-Atlantique, les cinémas vont rouvrir dès le 5 mars 2021 à New York.
Nous saluons les expérimentations dans certains secteurs du spectacle vivant récemment annoncées par les professionnels visant à sécuriser un modèle permettant la réouverture de ces lieux de spectacle, qui n'ont jamais pu rouvrir en 2020, dans le contexte d'épidémie de coronavirus.
Nous appelons l’état à déconfiner la culture, dans des conditions compatibles avec le fonctionnement et le modèle économique de chacun. Concrètement, cela suppose un changement de méthode.
Il faut poursuivre les négociations menées pour la réouverture progressive des établissements culturels et donner une véritable visibilité aux professionnels sur leur calendrier de reprise, étape par étape, afin qu'ils puissent les anticiper et s'y préparer au mieux. Un festival, une exposition ou la sortie d'un film, cela peut être des mois de préparation.
Il faut accélérer la mise en œuvre des aides prévues par le plan de relance, développer des mesures complémentaires pour accompagner les artistes, les auteurs, les créateurs et l'ensemble des professionnels de nos secteurs, et répondre à certains besoins auxquels il n'a pas encore été répondu, par exemple la mise en place de financements pérennes pour certains équipements des salles dans le respect des contraintes sanitaires.
Nous, acteurs de la culture, prendrons toute notre part à l'indispensable renforcement du dialogue avec l’état pour préparer cette reprise. Il est temps de déconfiner la culture. Ensemble, relevons ce défi.
Premiers signataires
Fédération Nationale des Cinémas Français (FNCF), Fédération des Ensembles Vocaux Instrumentaux Spécialisés (FEVIS), Fédération des Réseaux et des Associations d’Artistes Plasticiens (FRAAP), Société des Auteurs, des Compositeurs et des Editeurs de Musique (SACEM), Société Civile des Auteurs Multimédias (SCAM), Syndicat des Musiques Actuelles (SMA), Syndicat National des Scènes Publiques (SNSP), Syndicat des Organisateurs Culturels Libres et Engagés (SOCLE), Société des Réalisateurs de Films (SRF)