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Plus de mille arrestations lors d’une manifestation à Moscou, les réactions indignées se multiplient
Plus de mille personnes demandant la tenue d’élections libres dans la capitale ont été arrêtées par la police, Samedi 27 Juillet 2019.
Par Benoît Vitkine, correspondant permanent du Monde à Moscou
Une semaine après avoir laissé plus de vingt mille personnes manifester dans le centre de Moscou, les autorités russes ont haussé le ton contre la contestation qui touche la capitale, Samedi 27 Juillet 2019, en arrêtant plus d’un millier de manifestants.
La police avait été déployée dans des proportions rarement observées pour empêcher la tenue d’un rassemblement non autorisé pour des élections libres, sans parvenir à empêcher une foule compacte de plusieurs centaines de personnes de se retrouver devant la mairie, sur la rue Tverskaïa. Après de premières arrestations, les forces de l’ordre ont rapidement dispersé les manifestants pacifiques dans les rues adjacentes.
Plusieurs défilés improvisés se sont alors formés, réunissant, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, plus de trois mille cinq cent personnes. Aux cris de « liberté » ou « c'est notre ville », la foule a refusé de se disperser, se contentant de reculer face aux charges des forces antiémeutes. Fait rare en Russie, où le moindre geste de résistance peut avoir des conséquences lourdes, des heurts isolés ont opposé les manifestants aux policiers. Ceux-ci ont largement fait usage de leurs matraques contre des protestataires pacifiques, parfois simplement assis sur des bancs.
Samedi 27 Juillet 2019 en fin de soirée, plus de mille arrestations ont été annoncées par la police, mille soixante quatorze personnes selon les autorités, mille trois cent soixante treize personnes selon une Organisation Non Gouvernementale (ONG) spécialisée, qui a recensé soixante dix sept cas de personnes battues, soit un chiffre rarement atteint qui comprend de nombreux passants ou encore des retraités participant à cette mobilisation qui aura donc duré presque toute une journée.
Le calme n’est revenu que Samedi 27 Juillet 2019 dans la soirée quand les derniers manifestants, rassemblés sur une place du centre-ville, se sont dispersés ou se sont laissé arrêter sans résister.
L’ambassade des Etats-Unis en Russie a dénoncé l’usage disproportionné de la force policière. L’Union Européenne a elle aussi fustigé cette vague d’arrestations. « Ces détentions et le recours disproportionné à la force contre des manifestants pacifiques portent une fois de plus gravement atteinte aux libertés fondamentales d’expression, d’association et de réunion », selon un communiqué citant la porte-parole de la ministre des affaires étrangères de l'Union Européenne, Federica Mogherini, Dimanche 28 Juillet 2019.
L’ONG Amnesty International a dénoncé Samedi 27 Juillet 2019 un recours à la force excessif de la police russe, appelant à une libération immédiate des protestataires pacifiques.
Cette nouvelle manifestation, dont l’ampleur semble avoir pris de court les autorités, concernait ce qui s’est imposé comme le feuilleton politique de l’été en Russie, à savoir les élections à venir pour le parlement de la ville de Moscou. Au terme d’une procédure de vérification opaque, la commission électorale de Moscou a exclu de ce scrutin pourtant mineur une soixantaine de candidats, dont la quasi-totalité des opposants indépendants, pour des vices de forme ou des irrégularités.
Malgré les nombreux éléments apportés par ces candidats montrant la régularité de leur dossier, y compris des témoignages de citoyens certifiant avoir bel et bien déposé des signatures de soutien jugées fausses par la mairie, les procédures d’appel ont été expédiées en quelques heures ces derniers jours. A travers tout le pays, ce sont des centaines de candidats qui ont été interdits de s’enregistrer à ce scrutin du 8 septembre 2019, dont l’opposition, qui ne peut participer aux élections plus importantes, a fait une cible prioritaire.
Cette réaction brutale des autorités montre la volonté du pouvoir russe d’en finir avec un dossier qui lui empoisonne la vie depuis le début de l’été. Toute la semaine, les autorités ont tenté, en coulisse, de décapiter le mouvement et de décourager la mobilisation. L’armée avait été jusqu’à annoncer déployer aux abords de la manifestation des inspecteurs chargés de vérifier les exemptions de service militaire des jeunes hommes présents.
Plusieurs jours durant, les candidats refusés ont été la cible de différentes manœuvres d’intimidation, une dizaine d’entre eux ainsi que certains de leurs proches ayant fait l’objet de perquisitions, Mercredi 24 Juillet 2019, ce qui est contraire aux règles de la police. D’autres ont été convoqués à des interrogatoires ou font l’objet de poursuites pour entrave au travail de la commission électorale lors d’un précédent rassemblement pacifique.
Les services de sécurité (FSB) ont par ailleurs annoncé se joindre à l’enquête pour vérifier d’éventuels contacts entre les opposants et des structures étrangères.
Samedi 27 Juillet 2019 dans la matinée, d’autres perquisitions et interpellations avaient été menées de façon préventive, avant le début du rassemblement, particulièrement chez des partisans du dirigeant de l’opposition Alexeï Navalny.
Alexeï Navalny lui-même, plutôt en retrait dans le dossier, a de son côté été condamné Jeudi 25 Juillet 2019 à trente jours de prison. L’une de ses adjointes, la juriste Lioubov Sobol, elle-même candidate, a déclaré débuter une grève de la faim dans les locaux de la commission électorale locale.
Dès l’origine, le dossier des élections locales moscovites s’est imposé comme une épine dans le pied du Kremlin. Signe de l’inconfort des autorités, aucun candidat ne s’est enregistré sous l’étiquette du parti au pouvoir, Russie Unie, devenue un repoussoir. Formellement indépendants, les candidats de la mairie ont bénéficié d’un soutien en sous-main.
De l’avis des observateurs, le pouvoir comptait tenir l’opposition à l’écart grâce à la nouvelle règle sur les signatures, qui exige que les candidats indépendants obtiennent le soutien de trois pour cent des électeurs de la circonscription dans laquelle ils entendent se présenter. La réussite des candidats indépendants à réunir ces signatures a pris de court la mairie, qui n’a ensuite pas su comment gérer efficacement le dossier.
Selon le site d’information Meduza, les tergiversations du maire, Sergueï Sobianine, ont duré jusqu’à la semaine passée, avant que le Kremlin décide de prendre le relais et de tenter de clore le dossier par la manière forte. Entre-temps, une manifestation avait été autorisée, Samedi 20 Juillet 2019, qui a rassemblé plus de vingt mille personnes, soit la mobilisation politique la plus importante depuis le mouvement de protestations de 2011 et de 2012 contre les fraudes aux élections et le retour de Vladimir Poutine à la présidence.
Reste que la décision de tenir ces élections dans la capitale à huis clos, sans préserver une compétition même de façade, émeut une partie des Russes. Nombre d’observateurs y voient un recul démocratique inédit, mais aussi un geste de faiblesse du pouvoir.
Ces derniers mois, plusieurs candidats du parti de Vladimir Poutine ont été désavoués lors d’élections régionales au profit des communistes et des nationalistes, qui jouent le rôle d’une opposition acceptable, et chaque scrutin s’apparente de plus en plus à un mauvais moment à passer.
Plus grave, ce refus de laisser les candidats indépendants tenter de contester le monopole du pouvoir laisse entrevoir une radicalisation des deux côtés. « Il ne pourra désormais plus y avoir de leaders de l’opposition prêts à adopter une position conciliante vis-à-vis du pouvoir et à se mettre d’accord avec lui », écrivait, Jeudi 25 Juillet 2019, après une nouvelle nuit de perquisitions, le vieux routier de l’opposition libérale Leonid Gozman.
Comme en écho, un responsable de l’opposition, Dmitri Goudkov, vu précisément comme l’un de ces membres de la jeune garde prête au compromis avec le pouvoir, écrivait de son côté que « sous Vladimir Poutine, les élections et les commissions électorales sont mortes comme institutions. La dernière possibilité qui restait de participer de manière légale à la vie politique a disparu ».