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Mort de Zineb Redouane, l'autopsie algérienne qui contredit les autorités françaises
Après nos révélations sur les conditions du décès, le 2 décembre 2018 à Marseille, de Zineb Redouane et la façon dont l'enquête a été menée, nous publions la contre autopsie réalisée à Alger, qui rend le traumatisme consécutif aux blessures causées par la police directement responsable de sa mort. Ce document balaie la version officielle, elle jette une lumière crue sur le flou de l'autopsie française et elle contredit les déclarations du ministre français de l'intérieur Christophe Castaner et du procureur de la république de Marseille.
Lundi Premier Juillet 2019, à Paris comme à Marseille, les avocats de la famille de Zineb Redouane ont reçu une visite. Celle d’un huissier, venu leur notifier la demande de dépaysement de l’enquête sur la mort de Zineb Redouane signée par Robert Gelli, le procureur général de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Cet avis doit être désormais soumis à la décision de la cour de cassation. Une routine judiciaire qui fera durer la procédure et qui fera perdre un temps précieux. Six mois déjà que Zineb Redouane est partie.
C’est un autre document qui, Lundi Premier Juillet 2019, relance pourtant spectaculairement le dossier, si besoin était, après les éléments déjà rendus publics la semaine dernière par le Média.
Après le rapatriement en Algérie du corps de Zineb Redouane, le 25 décembre 2018, le procureur de la république du tribunal de Dar al Baida à Alger, peu satisfait des retours de l’enquête en France et sollicité par la famille de Zineb Redouane, a en effet ouvert une enquête préliminaire pour rechercher les causes de sa mort. Tous les enfants de Zineb Redouane, quatre filles et deux fils, vivent en effet en Algérie et ils se sont tous constitués parties civiles dans les deux pays. Le procureur a demandé dans la foulée une nouvelle autopsie, comme l’avocat de la famille le révélait dans un entretien qu’il nous accordait Vendredi 28 Juin 2019. Nous nous la sommes procurée et nous la publions en exclusivité.
Ce document porte l’en-tête du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) d’Alger. Sur dix pages, les professeurs Rachid Belhadj et Radia Yala procèdent à un examen minutieux et détaillé de la dépouille mortelle, le jour-même de son retour sur le sol algérien, le 25 décembre 2018, et ils constatent les dégâts.
Au-delà des incisions qui témoignent du travail de leurs homologues légistes marseillais de la Timone, ils relèvent en particulier au niveau de la tête de la victime « une ecchymose sous orbitaire s’étendant à l’angle interne de l’œil gauche associée à une hémorragie sous conjonctivale homolatérale, un hématome allant de la région zygomatique droite passant par la région périorbitaire droite, l’hémiface droite et s’étendant à la pyramide nasale et aux lèvres pour se terminer au niveau de la commissure labiale gauche et une plaie linéaire, à axe horizontal, suturée, mesurant quatre centimètres de long, juste au-dessous de la pyramide nasale, avec un important hématome du versant muqueux de la lèvre supérieure qui s’étend au versant muqueux de la lèvre inférieure, associés à une fracture déplacée et comminutive du maxillaire supérieur et un hématome gingival correspondant ».
Les deux médecins légistes complètent sur plusieurs pages leur examen, notamment des cavités et des organes. Leurs conclusions se révèlent déterminantes et accablantes quant à la cause du décès. Bien loin du flou et du caractère provisoire de l’autopsie française, ils attribuent de façon certaine la mort de Zineb Redouane au traumatisme crânien qu’elle a subi, donc au tir policier.
La victime, écrivent-ils, « présentait un important traumatisme facial imputable à l’impact d’un projectile non pénétrant. L’importance de ce traumatisme est directement responsable de la mort par aggravation de l’état antérieur de la défunte, malgré les soins prodigués en urgence », affirment les deux légistes dans leur rapport daté du 25 décembre 2018.
Ce document sans ambiguïté vient contredire le travail des légistes marseillais et surtout les déclarations publiques de Xavier Tarabeux, le procureur de la république de Marseille, et de Christophe Castaner, le ministre français de l'intérieur. En effet, l’autopsie française, réalisée le 3 décembre 2018 par Marc-Antoine Devooght et Jacques Desfeux, du service de médecine légale de la Timone à Marseille, prenait un soin particulier à ne surtout pas se prononcer. Faisant preuve d’une très grande prudence, les deux médecins constataient bien dans leurs conclusions « un traumatisme facial sévère, avec fractures de l’ensemble de l’hémiface droite, et des fractures costales, ainsi qu’un œdème pulmonaire aigu, cause du décès après tentative de réanimation ».
Ils soulignaient encore les antécédents médicaux de la victime, « hypertension, obésité, diabète, coronaropathie sévère et valvulopathie cardiaque opérée », et ils bottaient en touche, en service minimum, attendant « une communication du dossier médical qui pourrait déterminer avec plus de précision les circonstances de survenue du décès ». Un mois plus tard, le 19 janvier 2019, un rapport signé par Marie-Dominique Piercecchi-Marti ne se prononçait pas plus sur les causes de la mort. L’auteur souligne encore que « les données relevées dans ce document, très technique, ne sont pleinement interprétables qu’en confrontation avec le dossier médical ».
Ce rapport ne répondait toujours pas aux questions majeures suivantes. Zineb Redouane a-t-elle été victime du ou des tirs reçus en plein visage ? Est-elle morte des conséquences et des complications de ses blessures ? Ou a-t-elle été victime de problèmes médicaux, indépendamment des blessures occasionnées par le ou les projectiles qui l’ont percutée ?
À la différence de l’autopsie réalisée à Alger, l’autopsie française reste évasive. À notre connaissance, à ce jour, aucune démarche n’a été engagée auprès du médecin marseillais de Zineb Redouane, pour permettre enfin de lever les doutes. Et les conseils de la famille de Zineb Redouane n’en ont en tout cas pas connaissance. Nous avons tenté de joindre en vain les deux légistes marseillais, mais ils n’étaient pas disponibles pour répondre à nos questions, Lundi Premier Juillet 2019 dans l'après midi.
Nous avons pu également consulter une série de photographies de Zineb Redouane à l’hôpital avant et après son décès. Certaines ont été réalisées à Marseille et d’autres ont été réalisées à Alger. Elles sont terribles. On y voit la vieille dame portant les traces évidentes de traumatismes infligés par les projectiles utilisés par les forces de l’ordre le premier décembre 2018, alors qu’elle se trouvait dans son appartement.
Nous avons interrogé plusieurs médecins et nous leur avons montré les photographies. Le nez et la mâchoire supérieure fracturés pourraient ne pas être le résultat d’un tir de grenade de désencerclement ou de grenade lacrymogène.
Ces grenades sont en effet à fragmentation. Elles sont formées de rangées de plots de caoutchouc dur et elles renvoient de multiples projectiles de façon circulaire et incontrôlée. Certaines, et c’était visiblement le cas à Marseille, envoient aussi du gaz lacrymogène. L’autopsie algérienne et les photographies ne révèlent aucun de ces micro-impacts.
Par contre, les photos montrent, en plus de la fracture du nez, une trace d’impact rougeoyante et circulaire sur la poitrine de la victime. Cette marque ressemble étrangement à une marque de Lanceur de Balle de Défense (LBD).
L’hypothèse selon laquelle Zineb Redouane a été visée par un ou des tireurs armés de LBD n’est donc plus à exclure.
En dépit des manques de l’autopsie française, pointés en creux par le rapport des légistes algériens, le procureur de la république de Marseille et le ministre français de l'intérieur ne s’étaient pas gênés, juste après la mort de Zineb Redouane, pour s’autoriser plusieurs sorties médiatiques dans ce dossier. Le 3 décembre 2018, le procureur Xavier Tarabeux affirmait ainsi à l’Agence France Presse (AFP) que la victime était morte « d’un choc opératoire et d'un arrêt cardiaque sur la table d’opération ».
C'est exact mais c'est incomplet et orienté quand le même ajoutait qu’on ne pouvait à ce stade, établir de lien de cause à effet entre la blessure et le décès et, de façon encore plus affirmative, que l’autopsie démontrait que le choc facial n’était pas la cause du décès. Le même procureur, s’il concédait que la défunte avait bien reçu un projectile au visage, estimait encore dans les colonnes du Monde, le 20 juin 2019, que « la question est de savoir si son décès a pour origine l’intervention chirurgicale, compte tenu de ses antécédents médicaux lourds ».
Le 19 mars 2019, Christophe Castaner était lui au micro de France Inter, « je ne voudrais pas qu’on laisse penser que les forces de l’ordre ont tué Zineb Redouane. Parce que c’est faux », s’était ainsi indigné le ministre de la police. Avant, tout de même, de nuancer légèrement, « elle est morte d’un choc opératoire après effectivement avoir, semble-t-il, reçu une bombe lacrymogène qui avait été envoyée et qui est arrivée sur son balcon ».
Le patron de la police française et celui du parquet de Marseille, qui, comme nous l’avons annoncé la semaine dernière, avait envoyé le jour de la manifestation en observateur le vice-procureur de la république de Marseille, André Ribes, n’ont jamais communiqué sur la présence du magistrat sur place. Ce dernier ne s’est pas manifesté publiquement et encore moins auprès de Mathilde Bloch, la magistrate chargée de l’instruction du dossier. Ils n’ont eu de cesse de peser sur l’environnement de ce dossier pour signifier à chacun de quel côté il fallait regarder, ou plus exactement où il ne fallait surtout pas regarder. Alors qu’une instruction est en principe en cours pour déterminer les causes de la mort de Zineb Redouane, des éléments importants ont été dissimulés le jour de sa mort et au cours de l’enquête.
Au regard de la faiblesse de l’autopsie officielle, à écouter en complément de nos révélations, il y a un document sonore d'un des avocats de la famille, Brice Grazzini, et des conclusions de celle réalisées à Alger, nous ne pouvons qu’éprouver un profond malaise. Malgré nos relances, ni les légistes qui ont œuvré à Marseille, du service médical légal de la Timone, ni le procureur Xavier Tarabeux n’ont jugé nécessaire de répondre à nos sollicitations.