http://www.liberation.fr/debats/2017/12/05/turquie-appel-pour-la-liberte-des-universitaires_1614618
http://solidarite-up.org/turquie-appel-pour-la-liberte-des-universitaires-liberation/
Appel pour la liberté des universitaires turcs
Les premiers procès de cent cinquante enseignants et chercheurs, accusés de propagande par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, ont commencé Mardi 5 Décembre 2017.
Ces collègues, hommes et femmes, de toutes disciplines et de toutes générations, sont poursuivis pour les mêmes motifs, leur adhésion à la pétition des universitaires pour la paix, s’alarmant du sort des populations civiles kurdes prises en otages par la guerre entre le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et les forces de sécurité de l'état turc, signée par mille cent vingt huit d’entre eux dès le 11 janvier 2016 et par plus de mille universitaires encore la semaine suivante. Très vite, le pouvoir en la personne même du président de la république, Recep Tayyip Erdogan, cible les signataires accusés d’être des « pseudo-intellectuels, une foule informe, des traîtres à la nation et des forces occultes » qui se permettent de critiquer l’état turc et qui seraient donc « des terroristes ». Le mot est lancé et les articles du code pénal sont là pour engager des poursuites contre les signataires, victimes en parallèle de mesures de rétorsion administrative, licenciements de leur université et mises à l’écart définitives de l’enseignement conduisant certains au suicide, comme Mehmet Fatih Tras, et aux grèves de la faim, comme Semih Ozakça et Nuriye Gulmen.
La répression consécutive à la tentative de coup d’état du 15 juillet 2016 qui s’abat bien au-delà des responsables directs vise particulièrement les universitaires coupables de vouloir maintenir la liberté de pensée, de recherche et d’enseignement, indispensable à une vie démocratique et à laquelle, en Turquie particulièrement, nombreux ont été celles et ceux à sacrifier leur carrière et même leur vie.
Aujourd’hui, les universitaires pour la paix, qui n’ont fait qu’exercer leur métier et les valeurs qui s’y attachent, sont traduits en justice dans des procès séparés pour déjouer la solidarité des signataires et intimider la société déjà assommée par la politique répressive du régime de Recep Tayyip Erdogan. Ces universitaires sont accusés de propagande en faveur du PKK, considéré comme une organisation terroriste, et d’atteinte à l’image de la Turquie à l’étranger, un crime passible de sept années et demi d’emprisonnement.
Les soussignés, chercheurs et enseignants des établissements français de l’enseignement supérieur et de la recherche, entendent dénoncer la caricature de justice mise en œuvre par le régime de Recep Tayyip Erdogan. Après la mise au pas de la presse qui a jeté en prison cent soixante journalistes et près de cinq cent avocats, phénomène unique parmi les grands pays se réclamant aujourd’hui de l’état de droit et de la démocratie parlementaire, après la répression implacable contre le parti démocratique des peuples (HDP), dont les principaux dirigeants et cadres sont détenus, après l’arrestation de figures éminentes de la société civile engagées pour la paix, dont Osman Kavala, les soussignés condamnent les violations multiples des libertés universitaires en Turquie qui visent à briser toute autonomie intellectuelle chez celles et ceux qui contribuent au savoir et à la capacité de jugement de la société. Les universitaires français sont nombreux à manifester leur vigilance sur la question de la liberté de pensée, de recherche et d’enseignement depuis le tournant liberticide de la Turquie que plusieurs des signataires avaient dénoncé dès 2011.
Ils saluent par cet appel le courage de leurs collègues de Turquie qui sont aujourd’hui, dans leur résistance aux violences d’un pouvoir oppressif, l’honneur de notre métier et l’honneur de la Turquie.
L’appel est aussi publié sur le site du Groupe International de Travail (GIT) sous le titre « liberté de recherche et d’enseignement en Turquie » et sur le site de solidarité avec les universitaires pour la paix et pour la défense des droits humains en Turquie.
Premiers signataires : Luc Boltanski, Michel Broué, Eric Fassin, Ahmet Insel, Edgar Morin, Véronique Nahoum-Grappe, Thomas Piketty, Emmanuel Terray