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22 août 2023 2 22 /08 /août /2023 16:58

 

 

https://www.lavoixdunord.fr/1363691/article/2023-08-19/l-ukraine-franchi-les-champs-de-mines-russes-la-82e-brigade-engagee-robotyne

 

L’Ukraine a franchi les champs de mines russes, la quatre-vingt-deuxième brigade de l’armée ukrainienne engagée à Robotyne

L’Ukraine a libéré le village d’Urozhaine et celui de Robotyne devrait suivre prochainement. La prise de ces deux villages signifierait que les ukrainiens ont enfin franchi les champs de mines. La contre-offensive entre sans doute dans une nouvelle phase.

Après plus de deux mois de contre-offensive, l’armée ukrainienne a atteint ses premiers objectifs intermédiaires. Dans le secteur de Velyka Novosilka, le village d’Urozhaine a été libéré Mercredi 16 Août 2023 après plusieurs jours de combats acharnés. Le gain peut sembler faible, mais il succède à la reprise de Storozheve, de Makarivka et de Staromaiorske. L’effort peut maintenant se porter vers la ville de Starmlynivka, nœud stratégique russe dont dépend l’approvisionnement de plusieurs secteurs de la ligne de front et qui est à trois kilomètres au sud.

Plus à l’est, dans le secteur d’Orikhiv, c’est le village de Robotyne, attaqué de toutes parts, qui est sur le point d’être reconquis par les ukrainiens. « Ce sont de petites localités, mais leur importance réside dans le fait qu’elles soient situées au cœur de la digue érigée par les troupes de Vladimir Poutine », écrit le colonel Guillaume Ancel dans son billet hebdomadaire, « cela veut dire que les ukrainiens ont atteint le cœur de la digue russe et qu’ils peuvent maintenant sérieusement espérer ouvrir cette brèche indispensable pour que cette offensive soit un succès ». L’armée ukrainienne aurait notamment réussi à franchir les immenses champs de mines russes qui lui ont donné tant de difficultés pour progresser.

Ces obstacles constituaient la première ligne de défense de l’armée russe. Il reste deux autres lignes, constituées notamment de dispositifs contre les chars et de barbelés, ce qui est presque un moindre mal pour les ukrainiens qui vont gagner en liberté de mouvement. « Au sud d’Urozhaine, nous avons observé que l’Ukraine avait exploité des espaces de manœuvre plus importants, ce qui signifierait que les larges champs de mines ont pour l’essentiel été dépassés et que l’Ukraine entamerait, peut-être, le second échelon russe avec les fortes concentrations de personnel et d’artillerie situées au sud de Staromlynivka », écrit un bloggeur ukrainien.

La question des réserves est cruciale. L’armée russe dispose-t-elle d’assez de soldats pour tenir ces deux lignes, alors que les pertes sont très élevées dans les deux camps ? « C'est désormais l'incertitude. A quel prix les russes ont-ils tenus et qu’y-a-t-il réellement derrière cette ligne avancée », demande le général Olivier Kempf.

S’appuyant sur des sources américaines, le New York Times indique que cent vingt mille soldats russes et soixante-dix mille soldats ukrainiens sont morts depuis le 24 février 2022. Il y aurait aussi environ cent soixante-dix mille soldats russes blessés et cent dix mille soldats ukrainiens blessés, soit presque cinq cent mille soldats mis hors de combat en dix-huit mois.

De nombreux observateurs estiment que l’armée russe a épuisé toutes ses réserves et qu’elle ne peut plus faire de rotations pour permettre aux troupes en première ligne de se reposer. Si c’est vrai, elle est dans une très fâcheuse posture et elle ne pourra pas tenir indéfiniment. En face, l’Ukraine a engagé cette semaine à Robotyne sa quatre-vingt-deuxième brigade d’assaut, forte de deux mille soldats équipés de chars britanniques Challenger et d’autres véhicules de combats occidentaux. « En envoyant enfin ces formations au combat, les ukrainiens pourraient augmenter considérablement leur puissance de feu le long de l'un des axes principaux de la contre-offensive », écrit le journal américain Forbes, « l’afflux de troupes d'assaut autour de Robotyne pourrait entraîner des gains rapides pour les forces de Kiev ».

Cette brigade, comme d’autres encore en réserve, doit servir à exploiter les percées pour submerger les défenseurs russes. Maintenant que les champs de mines sont franchis, s’ils le sont vraiment, la contre-offensive entre dans une nouvelle phase. L’arrivée de l’automne gênera les manœuvres motorisées et figera sans doute le front jusqu’au printemps, mais il est utile de rappeler que la libération de Kherson a eu lieu au mois de novembre 2022. L’Ukraine a encore du temps. 

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22 août 2023 2 22 /08 /août /2023 16:10

 

 

https://www.ukrainianworldcongress.org/balkan-states-adopt-declaration-in-support-of-ukraine/

 

Les états des Balkans adoptent une déclaration de soutien à l'Ukraine

Mardi 22 Août 2023

Les leaders des états des Balkans ont adopté la déclaration d’Athènes lors du sommet des Balkans pour soutenir l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Il s'agit de la Serbie, de la Moldavie, du Monténégro, de la Grèce, de la Roumanie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Macédoine du Nord, de la Bulgarie, de la Croatie et du Kosovo. A l'heure actuelle, l'Ukraine ne reconnaît pas officiellement le Kosovo.

Les pays ont exprimé leur soutien indéfectible à l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, fondées sur les valeurs de démocratie et d’état de droit contre l’agression russe.

Le document a été signé en présence de Charles Michel, président du conseil européen, et d'Ursula von der Leyen, présidente de la commission européenne.

« L’invasion russe de l’Ukraine est un moment charnière pour l’Europe, créant un nouveau niveau de conscience des principes partagés, de l’unité et de l’avenir commun de l’Union Européenne. Nous traversons une période critique pour la sécurité, la paix et la stabilité de notre continent européen », indique la déclaration.

Les pays ont souligné que « les lois et les principes qui ont contribué pendant si longtemps à un ordre de sécurité européen stable et prévisible ont été violés. Nous sommes convenus qu'il ne peut y avoir d'impunité pour les crimes de guerre et autres atrocités, comme les attaques contre des civils et la destruction d'infrastructures, et que tous les responsables doivent rendre des comptes ».

Les signataires ont également exprimé leur volonté de soutenir l'Ukraine et la Moldavie dans leur démarche d'adhésion à l'Union Européenne.

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21 août 2023 1 21 /08 /août /2023 19:18

 

 

https://www.rosalux.de/en/news/id/50812/a-new-wave-of-repression-in-russia

 

Une nouvelle vague de répression en Russie

Les fausses accusations contre Boris Kagarlitsky indiquent une répression plus large

Mardi 25 Juillet 2023, un procès a été ouvert contre l'intellectuel de gauche russe de renommée internationale Boris Kagarlitsky pour justification du terrorisme. Son arrestation a déclenché une réponse étonnamment large dans toute la Russie. Des représentants de divers horizons politiques, même au-delà de la gauche, ont réagi à son arrestation et à son inculpation. Il s'agit notamment du Mouvement Socialiste Russe, des sociaux-démocrates de Russie, de l’union des chauffeurs-livreurs et des coursiers, du portail médiatique Meduza proche d’Alexis Navalny et de la chaîne Telegram pro-Kremlin Nezygar, entre autres. Ni le parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF) ni ses alliés n'ont publié de communiqué.

L'enquête contre Boris Kagarlitsky a été ouverte par les services secrets de la république des Komis dans le nord-ouest de la Russie, connue des opposants pour le fait que ses actions constituent souvent le point de départ d'actions similaires dans tout le pays. Beaucoup craignent maintenant qu'une nouvelle vague de répression plus intense ne se prépare contre la gauche en général. Un certain nombre d'autres militants de gauche ont déjà été interrogés dans le cadre de l'enquête contre Boris Kagarlitsky. Mikhail Lobanov et Eugène Stupine, deux autres militants de gauche connus, ont déjà fait face à des accusations tout aussi discutables ces derniers mois. Ce qui unit ces trois militants, c'est leur désir de créer un large mouvement de gauche.

En tant qu'auteur, universitaire et militant, Boris Kagarlitsky s'est attaqué à la nature du système politique russe et aux défis qu'il pose aux mouvements de gauche dans le pays depuis des décennies. Il était un dissident de gauche du temps de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), ce qui lui a valu d'être condamné et emprisonné en 1982. Il a été politiquement actif pendant la perestroïka et au début des années 1990, travaillant pour des syndicats et participant à la fondation du Parti du Travail. Tout au long de cette période, il a également été actif dans l'enseignement et la recherche dans diverses institutions universitaires.

Au début des années 2000, il a joué un rôle de premier plan dans la fondation de l'Institut d'études sur la mondialisation et les mouvements sociaux (IGSO) et de la revue Levaya Politika. Plus tard, il a développé un portail internet comprenant un site internet et une chaîne Telegram appelée Rabkor, où l'érudition et l'activisme politique se chevauchent. Le nom dit tout. Il dérive du nom des personnes qui travaillaient comme correspondants ouvriers à l'époque soviétique, rabochy korrespondenty. Il était et il reste bien connecté au niveau international, comme le montrent les nombreuses réactions à son arrestation de divers mouvements internationaux de gauche.

L'étendue de ses intérêts et de ses activités explique certainement les raisons pour lesquelles son arrestation a attiré tant d'attention. Même pour les groupes qui ne partagent pas son approche marxiste, il est un point de référence important dans son opposition analytique au statu quo en Russie. L’arrestation de Boris Kagarlitsky peut donc être considérée comme un nouveau coup porté aux dernières possibilités d'identifier et d'analyser les problèmes sociaux du pays. L'action a mis en évidence le niveau de répression quotidienne auquel les opposants à la guerre, les féministes, les homosexuels et les militants de l'opposition de diverses tendances politiques sont confrontés en Russie. La solidarité avec Boris Kagarlitsky devrait donc également inclure les nombreux prisonniers politiques et réfugiés en Russie et en provenance de Russie qui ne jouissent pas du privilège d'avoir un nom célèbre.

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21 août 2023 1 21 /08 /août /2023 18:50

 

 

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/08/17/le-congres-du-tuc-doit-se-ranger-du-cote-de-lukraine/

https://ukrainesolidaritycampaign.org/2023/08/11/tuc-congress-must-side-with-ukraine/

 

Motion de l’Associated Society of Locomotive Engineers and Firemen (ASLEF) au congrès du Trade Union Congress (TUC)

Le congrès du TUC note avec une grande inquiétude l’horrible coût humain et environnemental du conflit en Ukraine. Plus de dix-sept millions d’ukrainiens ont été contraints d’abandonner leurs maisons et de fuir, tandis que de nombreux autres ukrainiens ont perdu la vie.

Le congrès note également que ceux qui souffrent le plus en temps de guerre sont les travailleurs et que le mouvement syndical doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour prévenir les conflits. Le congrès reconnaît toutefois que cela n’est pas toujours possible.

Le congrès note que, en tant que syndicalistes, nous sommes intrinsèquement anti-impérialistes et qu’il est de notre devoir de combattre l’impérialisme et la tyrannie à chaque fois que l’occasion se présente.

Le congrès reconnaît que les syndicats ukrainiens ont fait preuve d’une solidarité et d’un soutien véritable en offrant des abris et de la nourriture aux réfugiés. L’ASLEF a travaillé en étroite collaboration avec les syndicats des chemins de fer ukrainiens et a pu constater l’énorme travail qu’ils ont accompli pour soutenir les travailleurs en ces temps de conflit.

Le congrès note que la reconstruction de l’Ukraine doit être centrée sur les valeurs syndicales et du travail.

Le congrès demande au conseil général de soutenir le peuple ukrainien par tous les moyens disponibles jusqu’à ce que tous les ukrainiens puissent rentrer chez eux en toute sécurité.

Le congrès demande au conseil général de soutenir la reconstruction et le développement de l’Ukraine après la guerre, en travaillant avec les syndicats ukrainiens des deux centrales syndicales de la FPU et de la KVPU, afin de s’engager auprès d’un large éventail de membres et d’idées syndicales.

Le congrès demande au conseil général d’envoyer notre solidarité à tous les syndicalistes ukrainiens qui luttent chaque jour pour les droits des travailleurs et contre l’impérialisme.

Amendements du National Union Mineworkers (NUM) à la motion de l’ASLEF

Nous condamnons l’invasion agressive de l’Ukraine par la Russie et nous appelons à la paix par l’autodétermination du peuple ukrainien.

Notre travail consiste à combattre l’impérialisme et la tyrannie à chaque occasion ; Nous reconnaissons qu’une victoire de Vladimir Poutine en Ukraine serait négative et qu’elle serait un succès pour les politiques autoritaires réactionnaires dans le monde entier.

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21 août 2023 1 21 /08 /août /2023 18:36

 

 

https://www.mediabask.eus/eu/info_mbsk/20230817/fraichement-elue-francina-armengol-autorise-l-usage-des-langues-regionales-au-congres

 

Fraîchement élue, Francina Armengol autorise l'usage des langues régionales au congrès

La candidate du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE), Francina Armengol, a été élue présidente du congrès des députés de l’état espagnol, Jeudi 17 Août 2023. Elle a annoncé dans la foulée dans son discours d'investiture qu’elle permettra l’usage de langues régionales dans l'hémicycle.

La socialiste Francina Armengol a été élue à la majorité absolue Jeudi 17 Août 2023, présidente du congrès des députés de l’état espagnol. L'ancienne présidente de la Communauté Autonome des Îles Baléares (CAIB) a obtenu cent soixante-dix-huit voix sur trois cent cinquante voix, soit deux voix de plus que la majorité absolue. Pour sa part, la candidate du Parti Populaire, Cuca Gamarra, a obtenu cent trente-neuf voix. Ignacio Gil Lázaro, le candidat du parti de l’extrême droite Vox, a obtenu trente-trois voix.

La candidate du PSOE a reçu les soutiens cruciaux des députés du PSOE, de Sumar, d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), d’Euskal Herria Bildu (EHB), du Partido Nacionalista Vasco (PNV) et du Bloc Nationaliste de Galice (BNG), mais c’est un accord de dernière heure entre le PSOE et Junts per Catalunya, le parti dirigé par le leader indépendantiste en exil Carles Puigdemont, qui a fait pencher la balance.

Cet accord a permis à Francina Armengol d'obtenir les voix des sept députés de Junts per Catalunya et d’obtenir cent soixante-dix-huit voix. Sans quoi le PSOE et ses alliés ne disposaient que de cent soixante et onze voix, soit potentiellement une voix de moins que le bloc du Parti Populaire et de Vox.

Ce vote pour la présidence du congrès des députés était très attendu car son résultat donne une indication claire sur la possibilité pour le premier ministre actuel, Pedro Sánchez, d'être reconduit. C’est donc une victoire politique pour le leader du PSOE, à quelques semaines du vote d’investiture devant le parlement.

Quelques minutes après son investiture, Francina Armengol a annoncé dans son discours aux députés du congrès qu’elle permettra l’usage du castillan, du catalan, du galicien et du basque au congrès, « pour avancer sur cette voie, je voudrais exprimer mon engagement envers le castillan, le catalan, le basque et le galicien et la richesse linguistique qu’ils représentent et je voudrais vous annoncer que cette présidence permettra leur utilisation dans toutes les sessions ».

Francina Armengol parle couramment le catalan en raison de la proximité géographique des Îles Baléares avec la Catalogne et elle s'est montrée par le passé comme un ardent défenseur des langues régionales. La majorquine est aussi connue pour avoir tissé des liens étroits avec Carles Puigdemont et Ximo Puig, l'ancien président du gouvernement valencien.

Enfin, Mercredi 16 Août 2023, Pedro Sánchez s’est engagé à utiliser la présidence tournante du Conseil de l’Union Européenne, que l’état espagnol occupe jusqu’à la fin de l’année 2023, pour tenter d’obtenir que le catalan, le basque et le galicien, soient utilisés dans les institutions européennes au même titre que l’espagnol. La Commission Européenne examinera la question le 19 septembre 2023. 

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21 août 2023 1 21 /08 /août /2023 18:18

 

 

https://fpif.org/ukraine-and-the-world-order/

 

L'Ukraine et l'ordre mondial

La guerre en Ukraine n'est pas seulement une question de territoire. Il s'agit de l'avenir de la gouvernance mondiale.

Par John Feffer

Mercredi 26 Juillet 2023

Alors que la guerre froide commençait à décliner, le multipolarisme est devenu un cri de ralliement pour tous ceux qui en avaient assez de la politique des superpuissances, des impasses nucléaires et du bipolarisme banal de la désinformation soviétique et de la propagande américaine.

Cette ascension du reste a été préfigurée par le Mouvement des Non Alignés (MNA) en 1961, par le nouvel ordre économique international de l’Organisation des Nations Unies (ONU) dans les années 1970, par la puissance économique de l’Asie de l'Est et du marché unique européen dans les années 1980 et par la coopération entre les pays du sud dans les années 1990. Au début des années 2000, après quelques articles de Morgan Stanley, entre tous, le groupe du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud (BRICS), a été baptisé puis institutionnalisé.

En 2008, Fareed Zakaria a publié le Post-American World, qui était moins une épitaphe de l'hégémonie américaine qu'un hymne à toutes les autres puissances montantes qui façonnaient de plus en plus la géopolitique. Il était difficile de réfuter sa thèse centrale. Le monde bipolaire avait disparu, le monde unipolaire de la suprématie américaine n'était plus tenable et le monde multipolaire émergeait comme une sorte de phénix, même si l'ancien monde n'était pas encore réduit en cendres et que l'oiseau nouveau n'en était qu'à ses balbutiements. Puis quelque chose d'étrange s'est produit.

La multipolarité a commencé à prendre une forme très différente après la première intervention de la Russie en Ukraine en 2014. Ce qui avait autrefois été un antidote à l'arrogance de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et aux prétentions du nord global est devenu une couverture pour des attaques contre les valeurs universelles. Au lieu que de nouvelles puissances obtiennent un siège à la table pour aider à établir des règles mondiales, le multipolarisme servait de couverture pour la défense du nationalisme et du particularisme.

Ceux qui veulent minimiser l’importance de la guerre actuelle en Ukraine la décrivent comme un conflit régional sur le sort de certains russophones pris entre deux états. En revanche, ceux qui veulent élever l'importance de la guerre la présentent comme une confrontation entre l'est et l’ouest.

En fait, l'Ukraine est au centre de quelque chose d'encore plus vaste. La guerre y est devenue un moment décisif dans la quête d'un nouvel ordre mondial.

Une division séculaire de la pensée russe a opposé les occidentalistes aux slavophiles. Une version mise à jour de cette impasse a redéfini les sceptiques de l’occident dans le rôle de ceux qui croient que les valeurs universelles, autrement connues sous le nom de valeurs libérales ou culture mondialisée, provoqueront une transformation négative de la Russie.

L’illibéralisme du président russe Vladimir Poutine vise une série de mouvements progressistes, le féminisme, l’homosexualité et la laïcité. Vladimir Poutine et ses slavophiles des temps modernes veulent revenir à un monde pré-mondialisé d’états souverains qui ont une compétence exclusive sur ce qui se passe à l'intérieur de leurs frontières. Ce que cela signifie concrètement a été révélé récemment lorsque le gouvernement russe a effectivement interdit les personnes transgenres.

« L'arrangement mondial multipolaire est devenu l'un des aspects les plus importants du soft power de la Russie sur la scène mondiale et un instrument important pour conserver son influence internationale depuis l'effondrement de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) », écrivait Elena Chebankova en 2017 dans Post-Soviet Affairs, « la Russie déploie les idées de particularité civilisationnelle pour défendre son intégrité territoriale et politique et pour tenter de freiner l'avancée de la démocratisation mondiale et les intérêts économiques qui en découlent ».

Cette multipolarité plaît aux leaders illibéraux comme Viktor Orbán en Hongrie, contre l’unipolarité de l'Union Européenne. D'autres militants de l'extrême droite européenne, qui souhaitent que leur propre pays s'éloigne du consensus européen sur les droits et les responsabilités, gravitent également autour de la rhétorique multipolaire de la Russie.

Mais le déploiement stratégique du multipolarisme par Vladimir Poutine vise principalement les pays du sud. La Russie s'appuie sur le vieil héritage soviétique de soutien aux luttes anticoloniales et aux mouvements anti-occidentaux. L'ancienne rhétorique de l'autodétermination a maintenant fusionné avec le nouvel accent mis sur la souveraineté. La Russie ne se soucie pas de ce qu'un autre pays fait à l'intérieur de ses frontières tant qu'il s'avère être un allié géopolitique utile, un client ou un partenaire commercial. Le Kremlin revêt en outre ces arguments d'un langage civilisationnel, la Russie, la Chine et l'Inde, ne sont pas seulement de grandes puissances, mais de puissantes civilisations qui remontent à des siècles, voire des millénaires, comme pour donner une grandeur historique à des nationalistes mesquins, misogynes, homophobes et transphobes.

Cet accent mis sur les sphères d'influence civilisationnelles fonctionne très bien pour la Chine de Xi Jinping, l'Inde de Narendra Modi, la Syrie de Bachar al Assad, l’Afrique du Sud de Cyril Ramaphosa, le Brésil de Jair Bolsonaro et le Nicaragua de Daniel Ortega. C'est ainsi que l'URSS a fonctionné, malgré les écarts par rapport à la théorie marxiste. Les États-Unis, eux aussi, se sont fortement appuyés sur cette doctrine des sphères d'influence, en particulier à l'ère de la realpolitik avant que la défense des droits humains ne complique le tableau.

« La multipolarité est devenue la clé de voûte du langage commun des fascismes et des autoritarismes mondiaux », affirme Kavita Krishnan, militante indienne marxiste féministe et écrivaine, « c’est un cri de ralliement pour les despotes, qui sert à déguiser leur guerre contre la démocratie en guerre contre l'impérialisme. Le déploiement de la multipolarité pour déguiser et légitimer le despotisme est incommensurablement rendu possible par l'approbation retentissante par la gauche mondiale de la multipolarité en tant qu'expression bienvenue de la démocratisation anti-impérialiste des relations internationales ».

Découvrez le nouveau multipolarisme, c’est un endroit idéal pour les extrémistes de droite et de gauche pour partager et papoter.

J'avais l'habitude de me moquer de la vieille théorie libérale selon laquelle le spectre politique s'incurvait aux extrémités de telle manière que l'extrême gauche se confondait avec l'extrême droite. J'ai plutôt insisté sur le fait que le monde idéologique était plat et que ceux qui couraient aux extrêmes tombaient de leurs bords respectifs dans leur propre abîme séparé. Maintenant, je ne suis pas si sûr.

Au cours de la dernière décennie, il y a eu une augmentation inquiétante des alliances entre les rouges et les bruns, comme le mouvement Five Star se joignant à la Ligue du Nord en Italie ou le mouvement allemand contre les migrants Aufstehen qui a rompu avec die Linke.

Aux États-Unis, douze pour cent des électeurs de Bernie Sanders aux élections primaires démocrates de 2016 ont voté pour Donald Trump lors des élections générales. Cela pourrait être rejeté comme une idiosyncrasie du système bipartite américain et le manque frustrant d'alternatives.

D’étranges alliances ont continué à émerger à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Le rassemblement Rage Against the War Machine à Washington a protesté contre le soutien des États-Unis à l'Ukraine et a réuni le libertaire réactionnaire Ron Paul, le pilier du parti vert américain Jill Stein et le parti populaire présumé de gauche, un événement promu avec enthousiasme par Tucker Carlson. Ensuite, il y a Max Blumenthal, qui dirige le site de blog soi-disant de gauche Grey Zone, témoignant au conseil de sécurité de l'ONU à l'invitation de la mission russe à New York. Ce n’est pas étonnant que ce journaliste se soit contenté de répéter la propagande russe dans son discours.

C’est le multipolarisme qui s'avère être un terrain de rencontre encore plus utile pour la gauche et la droite. Les progressistes saluent depuis longtemps une redistribution du pouvoir au niveau géopolitique, mais il y a une tendance malheureuse de certains militants de gauche à excuser l'autoritarisme tant qu'il est anti-américain et l'anti-occidentalisme s'enfile désormais dans ce nouveau multipolarisme sous couvert d'une vigoureuse défense de la souveraineté, de l'illibéralisme et de l'altermondialisme.

Cette souche du tiers-mondisme peut être vue dans le travail de Vijay Prashad et de l'Institut Tricontinental, avec son amplification des récits officiels russes et chinois, ou le dernier livre d'absurdités de Fadi Lama dont le titre est « pourquoi l’occident ne peut pas gagner », avec son éloge de la notion de monde équitable souverain mise en avant par la Russie, la Chine et l'Iran contre les prédations de l’empire.

Il est étonnant de voir les acrobaties intellectuelles auxquelles ces critiques de l'impérialisme recourent pour expliquer l'impérialisme russe, sa violation évidente de la souveraineté de l'Ukraine et son utilisation du multipolarisme comme moyen de consolidation de son propre pouvoir. À des époques antérieures, certains militants de gauche se livraient à des jeux idéologiques similaires pour excuser les invasions soviétiques en Hongrie, en Tchécoslovaquie et en Afghanistan, ou les efforts chinois pour diriger le Tibet. Au moins, la Chine et l'URSS étaient des régimes présumés de gauche et ces défenses étaient compréhensibles, même si elles étaient odieuses.

La Russie de Vladimir Poutine est ce qui se rapproche le plus du fascisme que ce pays pauvre et aveugle ait subi au cours du vingtième siècle. Dans sa fuite du libéralisme, l'extrême gauche s'est en effet alliée à des acteurs de l'autre côté du spectre. Ces anti-impérialistes à œillères pourraient bien rationaliser leurs alliances comme purement tactiques, mais il y a ici une histoire beaucoup plus longue de badinages avec les dictateurs, Joseph Staline, Mao Zedong, Robert Mugabe et Fidel Castro. Qu'il s'agisse d'un tweet flatteur soutenant le faux isolationnisme de Donald Trump ou d'une tentative tendue d'excuser l'invasion de l'Ukraine par Vladimir Poutine comme une réponse raisonnable à l'expansion de l'OTAN, la gauche doit tenir compte de son incapacité à être impartiale dans son anti-impérialisme.

La guerre en Ukraine sonne la mort du multipolarisme, disent ceux qui croient que la guerre a marginalisé la Russie, affaibli l'Europe et marginalisé davantage le sud tout en renforçant les États-Unis et la Chine. Washington et Pékin en ont en effet profité aux dépens de leurs clients, le premier fournissant du gaz à l'Europe et le second achetant de l'énergie à prix réduit à la Russie. Dans le monde de 2023, il semble que ce sont les États-Unis et la Chine qui décident. Le bipolarisme est mort, vive le bipolarisme.

Un argument tout aussi solide peut être avancé que la guerre a accéléré l'inévitabilité du multipolarisme. La capacité des États-Unis et de la Chine à déterminer les résultats au-delà de leurs frontières s'est gravement érodée. La guerre en Ukraine se poursuit. L'Europe a trouvé des alternatives à l'énergie russe, grâce à Washington et à Doha, et elle a pris l'initiative de tracer un avenir sans carbone. Le sud global a refusé de soutenir l’est ou l’ouest dans ce conflit. La géopolitique est devenue de plus en plus imprévisible. Les États-Unis pourraient vouloir revenir au bon vieux temps de l'unipolarisme, comme le soutient Stephen Walt, mais ils ne le peuvent pas.

Le multipolarisme est-il croissant ou décroissant ? Tout dépend de l'Ukraine. Si l'Ukraine ne réussit pas à expulser les envahisseurs russes, cela créera un précédent inquiétant pour le droit international. Un transgresseur qui reste impuni est un symbole puissant pour tous les contrevenants actuels et potentiels. Il ne s'agit pas seulement d'interventions transfrontalières illégales, mais aussi de violations des droits humains et même de non-respect des objectifs de réduction des émissions de carbone, et l'Ukraine elle-même, entravée économiquement et aux frontières floues, aura beaucoup plus de mal à rejoindre l'Union Européenne et à fonctionner sur la scène internationale.

Si l'Ukraine gagne, en revanche, elle portera un coup puissant à un espace européen en expansion contre les prédateurs de Vladimir Poutine. De plus, si la Russie évolue d'un état pétrolier autoritaire vers quelque chose qui se rapproche d'une démocratie avec un engagement envers l'énergie propre, ce sera un exemple puissant pour les mouvements qui luttent contre les dictateurs de l'énergie sale à travers le monde.

Bien que la Chine et les États-Unis soient actuellement les acteurs géopolitiques les plus importants sur la scène mondiale, il ne s'agit probablement que d'un moment de transition. L'Inde est désormais le pays le plus peuplé du monde et elle devrait devenir la troisième plus grande économie d'ici la fin de la décennie. L'Union Européenne est en train d'établir la norme d'une nouvelle économie sobre en carbone. Les pays du sud disposent d'une grande partie des richesses en ressources nécessaires à une transition vers une énergie propre, qu'ils peuvent potentiellement exploiter pour une plus grande puissance mondiale.

Les enjeux sont élevés en Ukraine. Le risque n'est pas seulement l'intégrité territoriale ou environ trente mille milles carrés de terres occupées. La bataille porte sur la trajectoire de la gouvernance internationale. C'est, en fin de compte, un choix entre le chaos mondial et la communauté mondiale.

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20 août 2023 7 20 /08 /août /2023 17:33

 

 

https://www.lejdd.fr/politique/ukraine-julien-bayou-eelv-accuse-nicolas-sarkozy-detre-achete-par-les-russes-137773

 

Julien Bayou accuse Nicolas Sarkozy d’être acheté par les russes

Pour le député d’Europe Ecologie Les Verts (EELV), l’ancien président doit être considéré comme un influenceur russe. Il pointe notamment les liens entre Nicolas Sarkozy et une société d’assurance basée en Russie

Après les propos controversés de Nicolas Sarkozy sur la guerre en Ukraine, Julien Bayou estime que l’ancien président est sous influence russe. Interrogé par La Chaîne Info (LCI), Jeudi 17 Août 2023, le député écologiste de Paris a jugé que l’interview accordé au Figaro par Nicolas Sarkozy, Mercredi 16 Août 2023, était lunaire et honteux.

Dans cette interview, Nicolas Sarkozy plaide pour une Ukraine neutre, il affirme qu’il est contre l’entrée de l’Ukraine dans l’Union Européenne et il prône un référendum pour entériner l’annexion de la Crimée. « Un ancien président ne devrait pas dire cela », a dit Julien Bayou.

« Nous le comprenons mieux quand nous savons qu’il est acheté par les russes », affirme l’ancien secrétaire national d’EELV. Celui-ci rappelle les liens de Nicolas Sarkozy avec une compagnie russe d’assurance, faisant l’objet depuis 2021 d’une enquête du Parquet National Financier (PNF) pour trafic d’influence et pour blanchiment de crime ou délit. D’après Mediapart, l’ancien chef de l’état aurait touché trois millions d’euros de cette société en 2019 pour un contrat de conseil.

Julien Bayou dit que « le successeur de Jacques Chirac prend le contrepied de la position française sur l’annexion de la Crimée, il balaye les crimes de guerre dont sont accusés les russes et Vladimir Poutine et il commet une faute terrible. Nicolas Sarkozy ne doit plus être considéré comme un ancien président de la république, mais comme un influenceur russe ». Le parlementaire pointe également les liens entre Moscou et le Rassemblement National, qui a bénéficié d’un prêt d’une banque russe en 2014. Il dénonce une emprise des élites par la Russie, qui est un poison pour notre démocratie.

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20 août 2023 7 20 /08 /août /2023 17:15

 

 

https://jacobin.com/2023/08/azat-miftakhov-russian-left-persecution-putin-repression-ukraine-war-political-prisoners

 

La persécution d'Azat Miftakhov vise à réduire au silence la gauche russe

Par Kirill Medvedev

Mercredi 2 Août 2023

L'anarchiste russe Azat Miftakhov passe sa cinquième année en prison pour hooliganisme et il risque maintenant d'être accusé de terrorisme. Sa persécution s'inscrit dans le cadre de la campagne de l’état russe pour intimider la gauche et pour réduire au silence l'opposition à la guerre.

Le 12 juillet 2023, nous apprenions que le prisonnier politique russe Azat Miftakhov, mathématicien et anarchiste, avait été transféré dans une cellule d'isolement punitif. La raison est son refus de rédiger une note explicative sur l'écart entre le contenu de ses effets personnels et l'inventaire fourni. Au mois de juin 2023, sa prétendue infraction avait été de garder du déodorant sur sa table de nuit. Dans la cellule d'isolement, il était obligé de s'asseoir sur un banc sans dossier toute la journée, jusqu'à l'heure du coucher. Cela lui a causé une douleur considérable, mais il a ensuite été condamné à un mois d'isolement pour avoir enfreint la règle interdisant de s'allonger pendant la journée. Kirill Medvedev nous explique pourquoi Azat Miftakhov est maintenu en prison pour une cinquième année et comment cela est lié à la guerre et à la dictature de Vladimir Poutine.

Il semble qu'une nouvelle affaire soit en train d'être montée contre la jeunesse de gauche en Russie, l'affaire de la soi-disant cellule moscovite de l'organisation Network. Pendant cinq ans, l'affaire contre les supposées cellules de l’organisation Network à Penza et à Saint-Pétersbourg a été l'affaire la plus médiatisée utilisée pour intimider les antifascistes en Russie. Elle s'inscrit dans le cadre d'une campagne d'intimidation de la société russe contre la guerre.

Malgré l’accusation, il n'y a pas de jeunes militants de gauche dans cette cellule et cette cellule n'existe d'ailleurs pas du tout. Les rapports officiels ne mentionnent que le nom d'Azat Miftakhov.

Azat Miftakhov est un mathématicien et anarchiste russe d'origine tatare âgé de trente ans. Il est diplômé de la faculté de mécanique et de mathématiques de l'université d’état de Moscou. Il s'est engagé dans la science, il a pris part à des actions politiques et il a participé à des campagnes anarchistes contre les employeurs sans scrupules et les entreprises qui chassent les locataires de leurs appartements et de leurs dortoirs. Lauréat de l’olympiade russe de mathématiques, il était sur le point de soutenir sa thèse de doctorat au moment de son arrestation.

Dans la nuit du 30 janvier 2018, des inconnus ont brisé une fenêtre du siège du district de Moscou du parti Russie Unie, en jetant une bombe fumigène à l'intérieur. Il n'y avait personne dans le siège et, par conséquent, personne n'a été blessé. Il s'agissait d'une action de protestation contre la simulation de l'élection présidentielle. Les anarchistes ont assumé la responsabilité de l'action.

Azat Miftakhov sera traduit devant les tribunaux un an plus tard. En dehors de cette affaire, douze personnes ont été arrêtées le premier février 2018, le FSB les reliant au mouvement anarchiste Autodéfense du Peuple. Azat Miftakhov en faisait partie. Le premier février 2018, tous, sauf lui, ont été relâchés. Refusant de témoigner contre lui-même et les autres, les forces de sécurité ont rouvert l'ancienne affaire et elles lui ont imputé le bris de verre du siège de Russie Unie. Sur la base de témoignages anonymes fabriqués de toutes pièces, Azat Miftakhov a été condamné à six ans de prison. La peine a été réduite en raison des deux années passées dans le centre de détention, une année passée à l'intérieur compte pour dix-huit mois de prison.

Nous soupçonnons fortement les forces de sécurité de ne pas vouloir libérer Azat Miftakhov à l'issue de sa peine. Le FSB tente apparemment de prouver qu’Azat Miftakhov appartient à la cellule moscovite de la communauté terroriste Network. En 2020, sur la base d'aveux obtenus par des officiers à force de coups et d'utilisation de tasers, un tribunal a condamné dix antifascistes de Penza et de Saint-Pétersbourg à des peines allant de trois ans à dix-huit ans de prison. Les siloviki, ou services spéciaux, estiment que le réseau préparait des attaques terroristes avant l'élection présidentielle russe et la coupe du monde de football 2018, afin de déstabiliser le pays et de prendre le pouvoir par les armes.

Les forces de l'ordre ont récemment décidé d'ajouter un nouveau chapitre à l'affaire de la soi-disant organisation terroriste, l'affaire montée de toutes pièces de la cellule de Moscou. Le risque est grand que sa figure de proue soit présentée comme étant Azat Miftakhov. Cela peut être dû aux vieux comptes à régler avec lui, qui n'a pas conclu d'accord avec les enquêteurs, mais peut-être est-il tout simplement plus facile d'accuser un criminel déjà connu que d'en chercher un nouveau.

Le témoignage contre Azat Miftakhov qui pourrait constituer la base d'une nouvelle affaire a été donné par Igor Shishkin, l'un des accusés dans l'affaire Network. Après sa libération et l'obtention de l'asile politique en France, Igor Shishkin a raconté comment le FSB l'avait forcé à témoigner contre ses camarades en recourant à de terribles tortures. En outre, selon l'agence de presse officielle TASS, certaines des personnes condamnées dans l'affaire Network ont désigné Azat Miftakhov comme l'un des membres de la cellule moscovite. Si Azat Miftakhov est condamné, il risque encore de nombreuses années de prison.

La campagne de défense d'Azat Miftakhov a été soutenue dès le départ par le groupe d'initiative de l'université d’état de Moscou, dont fait partie l'activiste socialiste et politicien Mikhaïl Lobanov, le magazine étudiant DOXA et des mathématiciens russes.

Au mois de décembre 2020, des mathématiciens des États-Unis, du Canada et d'Europe, ont soutenu Azat Miftakhov, exhortant leurs collègues à ne pas participer au congrès international des mathématiciens à Saint-Pétersbourg.

La persécution et la condamnation d’Azat Miftakhov ont été condamnées par Human Rights Watch (HRW), la London Mathematical Society et l'Union Mathématique Internationale. Parmi les intellectuels et les hommes politiques qui se sont élevés contre la persécution d’Azat Miftakhov ces dernières années, il y a Slavoj Zizek, Noam Chomsky, Jean-Luc Mélenchon, le regretté David Graeber et bien d'autres.

Il existe un groupe de soutien Free Azat Miftakhov en Russie. Sa branche internationale Solidarité Free Azat Miftakhov recueille actuellement des signatures en sa faveur.

L’affaire d’Azat Miftakhov est l'un des nombreux montages juridiques actuels contre la jeunesse d'opposition, de gauche et antifasciste dans la Fédération de Russie.

De jeunes antifascistes de la ville de Tioumen ont été torturés pour obtenir leur témoignage. Ils ont été battus, étranglés avec un sac, électrocutés et menacés de viol avec une serpillière. Ils ont été accusés d'avoir créé une association terroriste, d'avoir préparé un acte terroriste et d'avoir eu l'intention de faire exploser des postes militaires et de police et de saboter les voies ferrées qui acheminent des trains de matériel militaire russe vers l'Ukraine. Ils risquent de quinze à trente ans de prison ou la réclusion à perpétuité.

Des adolescents de la ville de Kansk ont été arrêtés en 2020 pour avoir affiché des tracts en faveur d’Azat Miftakhov. Ils ont été accusés de préparer des attaques terroristes. Nikita Uvarov, âgé de seize ans, a été condamné à cinq ans de colonie éducative.

Deux anarchistes de Tcheliabinsk ont été condamnés à un an et neuf mois de colonie pénitentiaire pour avoir accroché à la clôture du bâtiment du FSB une banderole portant l'inscription que le FSB est le principal terroriste.

La répression pour cause de terrorisme supposé frappe non seulement les jeunes anarchistes et antifascistes, mais aussi les communistes. Dmitry Chuvilin, député du parlement du Bashkortostan et ancien militant du parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF), a été accusé avec ses camarades d'organisation terroriste simplement pour avoir participé à un groupe de lecture marxiste. En fait, les forces de l'ordre locales réagissaient à leur participation active à des manifestations écologiques, contre les promoteurs immobiliers et à d'autres manifestations locales.

Kirill Ukraintsev, un leader du syndicat des livreurs Courier, a passé un an en prison. L'un des chefs d'accusation était la publication sur les réseaux sociaux d'un appel à assister au procès d’Azat Miftakhov. Cette action a été qualifiée d’organisation d'un rassemblement en dehors du tribunal.

Les rédacteurs du magazine étudiant DOXA, qui est devenu le principal porte-parole des protestations des étudiants radicaux, ont passé un an en résidence surveillée et ils ont été reconnus coupables et condamnés au travail obligatoire pour avoir appelé des mineurs à participer à des rassemblements. Au mois d’avril 2023, Darya Trepova, une militante féministe âgée de vingt-six ans, a été arrêtée pour son implication présumée dans le meurtre du propagandiste d'extrême droite Vladlen Tatarsky. Dans ce contexte, une nouvelle campagne contre les militantes féministes a été lancée. Une loi assimilant le féminisme à une idéologie extrémiste a été sérieusement discutée au parlement fédéral.

Le 25 juillet 2023, Boris Kagarlitsky, sociologue et théoricien marxiste de renommée mondiale, a été arrêté à Moscou. Il est accusé de justifier le terrorisme pour ses déclarations contre l'agression de Vladimir Poutine en Ukraine et il risque jusqu'à sept ans de prison.

Depuis l'invasion de l'Ukraine, le rôle des combattants non étatiques en Russie s'est accru, à la fois dans les opérations militaires et dans le renforcement de la terreur à l'intérieur du pays. L'extrémisme fictif, dont la société civile est accusée, a été remplacé par l'extrémisme réel d'hommes masqués, parmi lesquels il est de plus en plus difficile de faire la distinction entre les agents de sécurité de l’état et les paramilitaires.

La récente prévention du simulacre de coup d’état d’Eugène Prigojine et le démantèlement partiel de sa Société Militaire Privée (SMP) connue pour ses exécutions brutales de déserteurs ne signifient pas que les structures de pouvoir dominantes reviennent dans le cadre de la loi et de la transparence. Au contraire, elles sont encore plus susceptibles de prendre des mesures démontrant leur propre extrémisme, qui devient de plus en plus légitime.

La concurrence entre les groupes d'extrême droite, liés d'une manière ou d'une autre au gouvernement et au FSB, s'accroît également. Certains comptent encore sur l'apathie de la population, tandis que d'autres espèrent une mobilisation politisée de type fasciste, seul moyen, selon eux, d'assurer la victoire de la Russie dans la guerre.

Plus cette compétition sera féroce, plus la demande d'un programme populaire démocratique contre la guerre, y compris de gauche, sera forte. Les militants de gauche, les antifascistes, les féministes, les militants de groupes socialistes et les sympathisants du KPRF constituent en grande partie les cadres actuels de la protestation de la société civile et ils forment un grand nombre de liens visibles et invisibles. En même temps, ils n'ont pas la visibilité caractéristique de nombreux politiciens libéraux. « La demande massive d'une alternative démocratique de gauche dans la société se combine avec la prédominance des militants de droite parmi les orateurs de l'opposition », a commenté Mikhaïl Lobanov dans une interview.

Mikhail Lobanov, politicien socialiste démocratique et professeur à l’université d’état de Moscou, a de nouveau vu son domicile perquisitionné par les forces de l'ordre le 18 mai 2023 dans le cadre d'une autre affaire montée de toutes pièces. Après de nouvelles menaces et la privation de facto de son droit d'enseigner en Russie, Mikhail Lobanov est parti au mois de juillet 2023 pour ce qu'il appelle un voyage d'affaires à long terme à l'étranger. Il considère que son objectif est de participer à la formation d'une force politique de masse axée sur la participation directe à la transformation du régime russe et sur le soutien aux mouvements sociaux à l'intérieur du pays. Pour lui, cela signifie également travailler avec des forces politiques progressistes dans d'autres pays pour former un ensemble de propositions et de garanties pour les personnes ordinaires en Russie et en Ukraine.

Malheureusement, l'opinion publique mondiale continue de s'appuyer sur le stéréotype selon lequel seule l'opposition libérale en Russie lutte contre Vladimir Poutine. Cette perception est souvent partagée par les propres opposants et sympathisants de Vladimir Poutine au niveau international, y compris les militants de gauche qui croient que Vladimir Poutine construit un monde multipolaire et qu’il est donc une sorte d'allié tactique de la gauche. La multipolarité de Vladimir Poutine signifie, entre autres, le droit de déclarer l'homophobie au nom des soi-disant valeurs russes traditionnelles. Imposer ces valeurs d'en haut est l'un des outils d'un contrôle répressif brutal.

Elena Gorban, l'épouse d’Azat Miftakhov, a récemment révélé que ce dernier s'était vu attribuer un statut inférieur dans la hiérarchie informelle des prisonniers en raison de sa bisexualité, après que le FSB eut distribué à d'autres détenus d'anciennes photographies de lui datant d'avant son incarcération. Elena Gorban pense que, par cette action, les responsables du FSB ont voulu faire pression contre Azat Miftakhov.

Azat Miftakhov est déjà connu comme un prisonnier politique et un mathématicien soutenu par de nombreuses personnes dans le monde entier, nous avons donc une réelle chance d'obtenir sa libération. C'est pourquoi nous devons nous concentrer sur son cas, car en défendant Azat Miftakhov, nous défendons également d'autres camarades moins connus. Mais le soutien aux militants susmentionnés n'a pas seulement une signification humanitaire ou de droits humains. Comme le disait Vladimir Lénine il y a un siècle, la Russie est maintenant le maillon faible du capitalisme mondial. Les militants de gauche en Russie se battent et risquent leur vie pour un projet qui remet en question non seulement les autorités actuelles en Russie, mais aussi l'ensemble de l'ordre néolibéral. Plus ils recevront de soutien et de publicité, plus il est probable que leur projet de réorganisation de la Russie sera en tête de l'ordre du jour après l'effondrement de l'administration actuelle.

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20 août 2023 7 20 /08 /août /2023 16:29

 

 

MIKHAIL LOBANOV EN EXIL

Dimanche 20 Août 2023

Vous trouverez ci-dessous la traduction française de la deuxième et dernière partie d’une récente interview de Mikhail Lobanov. L’interview est disponible en totalité en anglais à l’adresse ci-dessous.

Bernard Fischer

 

https://lefteast.org/interview-with-mikhail-lobanov-soon-the-moment-will-come-when-we-will-change-everything/

Interview de Mikhail Lobanov

Question. En ce qui concerne votre déclaration avant votre départ, ai-je bien compris que vous alliez réunir l'opposition de gauche contre la guerre qui est maintenant en exil afin de former une sorte d'agenda positif et un ensemble de revendications ? Comment imaginez-vous la structure de cette association, un forum, une plateforme, un parti politique ou bien une autre forme d’organisation ?

Réponse. Ce que nous envisageons n'est pas une unification de l'opposition politique de gauche qui est partie, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'une unification de militants qui ont été impliqués dans la politique ou de petits groupes de gauche. Une telle tentative ne nous permettra pas de réaliser une percée qualitative. Nous cherchons à créer une nouvelle structure organisationnelle afin que des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes proches de nous dans leurs opinions y trouvent leur place. Dans l'article auquel vous avez fait référence, j'ai dit qu'une telle structure n'existe pas, parce qu'il y a un problème de non-représentation dans la politique publique en raison d'une certaine inertie historique au sein de la société russe dans son ensemble et en particulier dans sa partie la plus active qui s'est rapidement tournée vers la gauche ces dernières années. Dans ces conditions, la responsabilité de proposer des solutions à ce problème incombe aux nombreux politiciens et intellectuels publics russes de gauche, car ce sont eux qui peuvent créer des points de convergence autour desquels la cristallisation commencera et le processus d'auto-organisation se manifestera dans une structure. C'est ce que je veux dire. La deuxième direction du travail que nous envisageons est la négociation avec les forces politiques progressistes internationales de la partie gauche de l'échiquier politique, dans le but de former un certain nombre de propositions positives destinées aux personnes ordinaires en Russie, en Ukraine et dans d'autres pays. Il s'agit d'une sorte d'issue positive à la catastrophe actuelle, pour que les personnes sentent que tout n'est pas décidé au sommet, pour que les élites occidentales ne pensent pas uniquement à la manière dont elles peuvent conclure un accord avec une poignée de personnes au Kremlin ou avec une autre poignée de personnes très riches, puissantes et violentes qui peuvent les remplacer et pour qu'il y ait des forces dans le monde qui offrent une issue au niveau international dans l'intérêt de tous, pas seulement des très riches et des très célèbres, mais des personnes ordinaires qui se demandent ce qui va se passer ensuite, qui sont effrayées par le fait qu'ils veulent diviser la Russie en plusieurs parties et que nous allons tous payer des réparations pendant des décennies, et ainsi de suite. Il est nécessaire que certaines choses qui concernent à la fois les russes et les ukrainiens soient exprimées et garanties à partir d'une telle plateforme internationale. Ce dialogue au niveau international ne devrait pas porter uniquement sur les livraisons d'armes, car de cette manière nous ne pourrons pas construire un monde sans guerre ni dictature.

Question. Je voudrais plutôt savoir comment vous voyez les choses sur le plan organisationnel. Ou bien la réalisation concrète dépendra-t-elle des circonstances ?

Réponse. Au début, il s'agira d'un ensemble de projets spécifiques, qui ne pourront être réalisés que par quelques dizaines de personnes ayant certaines compétences, des activités spécifiques, dans certains cas pour des centaines ou des milliers de participants à la fois. Lorsque nous disposerons des développements nécessaires, nous les lancerons, nous essaierons de les réaliser et, si certains d'entre eux décollent, ils deviendront une base concrète sur laquelle nous pourrons construire une structure plus massive. Les personnes ont peur du mot parti, alors nous le considérerons comme un mouvement. Le mouvement est organisé après tout.

Question. Il s'agit donc d'une Vy Dvizhenie l'échelle internationale, n'est-ce pas ?

Réponse. La Vy Dvizhenie résout d'autres tâches, comme je l'ai déjà suggéré, spécifiques à un projet et concrètes, à long terme et à l'intérieur de la Russie. Nous allons maintenant prendre une autre direction, qui ne peut être réalisée en Russie et il ne s'agit donc pas d'un transfert du projet à partir de ce pays. Il est clair que, d'un point de vue stratégique, ces initiatives se chevauchent, mais il n'y a pas de lien direct entre elles. Seulement une partie de notre équipe qui a quitté la Russie participera aux activités internationales.

Question. Vous évoquez également la nécessité de constituer une force politique de masse, mais comment cette force politique de masse peut-elle être créée dans les conditions de dépolitisation de masse que le régime de Vladimir Poutine a cultivées pendant toute la durée de son existence ?

Réponse. Le facteur de dépolitisation est vraiment important, mais nous avons un pourcentage notable de personnes politiquement actives dans la société. Je ne parle même pas des dizaines de millions de personnes qui ne sont pas représentées, mais qui ressentent une insatisfaction générale à l'égard de leur vie et de la situation actuelle et qui ne voient pas comment l'influencer. Dans un premier temps, il s'agit de réunir des personnes déjà politisées qui ont exprimé une demande de participation. Elles ont dû partir, mais elles n'ont pas rompu leurs liens avec la Russie, elles suivent ce qui s'y passe, elles vivent cette tragédie, la plus grande tragédie commune dans la vie de nos générations, et elles veulent faire quelque chose. Elles sont nombreuses. Les personnes qui sont parties étaient pour la plupart d'âge moyen ou même jeunes. Ce sont statistiquement les âges les plus politisés en Russie, même avant la guerre. Parmi ceux qui sont partis, le pourcentage de politisés est même légèrement supérieur à la moyenne de ces tranches d'âge. Par conséquent, nous chercherons des formules qui leur permettront de montrer leur participation politique avec d'autres personnes, en s'appuyant sur leurs points de vue et sur leurs idées et en leur offrant du renfort.

Question. Nous parlons donc d'abord de la possibilité de participer à la vie politique pour ceux qui sont déjà politisés et actifs, puis, dans un deuxième temps, nous prévoyons d'atteindre un public plus large en Russie ?

Réponse. Oui, car ce qui se passe à l'extérieur comme à l'intérieur de la Russie, c'est que l'appel politique enflamme d'abord ceux qui sont plus proches. Une certaine équipe émerge, puis, lorsque tout a fonctionné, nous pouvons commencer à mobiliser des personnes qui n'ont aucune expérience de la participation. Ils voient qu'il se passe déjà quelque chose, qu'il y a des personnes sérieuses, qu'il y a de l'espoir et que cela a du sens. Je l'ai constaté à maintes reprises, à différents niveaux, de l'université aux campagnes électorales fédérales. Si les personnes voient que le travail est déjà fait et que ceux qui le font croient en ce qu'ils font, il est beaucoup plus facile pour elles de se connecter et de s'intégrer.

Question. Si nous abordons maintenant la deuxième partie de votre projet, à savoir la coopération avec des organisations politiques internationales, avec quelles forces envisagez-vous de coopérer et allez-vous vous limiter à l'Europe ou avez-vous l'intention d'établir des liens avec des militants de gauche d'autres parties du monde ?

Réponse. Nous serons en contact avec toutes les forces qui sont idéologiquement proches de nous, en particulier celles qui, comme nous, veulent parler non seulement de l'armement, mais aussi du monde d'après-guerre et des changements dont il a besoin. Il y a de telles personnes et organisations dans de nombreux pays, de l'Espagne au Brésil en passant par la France.

Question. Divers mouvements décoloniaux gagnent en popularité au sein même de la Russie. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Réponse. Il est certain que le peuple russe a besoin d'une plus grande indépendance culturelle et administrative mais, en même temps, le discours sur la décolonisation est de plus en plus utilisé par les autorités pour faire craindre à la population tout changement et pour dire qu’il vaut mieux laisser les choses en l'état, car la situation ne peut qu'évoluer de façon négative. Il faut contrer ce message.

Question. Vous écrivez qu'il est nécessaire de formuler un ensemble de propositions et de garanties pour les personnes ordinaires en Russie et en Ukraine, afin de montrer une issue à la guerre qui soit attrayante pour tous les peuples touchés par celle-ci. Comment voyez-vous l'image de cet avenir et sur quoi se fonde cette vision ?

Réponse. Tout d'abord, ce ne sont pas les russes ordinaires qui devraient payer pour la destruction et le chagrin provoqués par cette guerre déclenchée par le Kremlin, mais les personnes et les sociétés très riches qui ont été les principaux bénéficiaires du régime pendant toutes ces années et sur lesquelles il s'est principalement appuyé. Nombre d'entre elles ont la citoyenneté russe et relèvent de la juridiction russe. Nombre d'entre elles relèvent de la juridiction et de la citoyenneté d'autres pays. Ces personnes et ces entreprises ont réalisé de très gros profits au cours des vingt à trente dernières années grâce à des privatisations injustes en Russie et en Ukraine et à l'exploitation de la population russe et ukrainienne. Elles ont acheté des sociétés d’état, elles les ont revendues en faisant des profits, elles ont payé des impôts à des taux injustement bas et elles ont transféré des capitaux à l'étranger. Il devrait s'agir d'une sorte d'impôt mondial après des calculs appropriés. L'argent reçu devrait être utilisé pour reconstruire l'infrastructure de l'Ukraine, pour reconstruire l'infrastructure de la partie de la Russie qui est également détruite et pour reconstruire la sphère sociale des deux pays qui a souffert au cours des trente dernières années. Telle peut et doit être la solution pour que, dans n'importe quel pays, les grands hommes d'affaires, les oligarques et les fonctionnaires comprennent que la prochaine fois qu'ils décideront de déclencher une guerre, ce ne seront pas leurs concitoyens les plus pauvres qui en paieront le prix, qu’ils n’iront pas dans quelques îles, dans leurs manoirs et leurs villas, et qu'ils paieront eux-mêmes avec ce qu'ils se seront appropriés. Ce sera un bon moyen de dissuasion, un excellent précédent, en plus de permettre la restauration des infrastructures. Bien sûr, personne ne peut ramener les morts, mais il faut penser aux centaines de millions de personnes qui vivent et continueront à vivre sur cette terre.

Question. Notre dernière question recoupe votre réponse à la précédente. Comment voyez-vous le rétablissement des relations entre la Russie et l'Ukraine après ce que l’état russe a fait à l'Ukraine ? Vous avez mentionné des programmes qui ont permis au moins de réparer les dommages causés aux infrastructures et peut-être d'aider à réduire les dommages causés à l'environnement mais, ce qui reste, ce sont des destins malmenés et une douleur incommensurable.

Réponse. C'est une chose difficile, qui ne se fera pas rapidement. Je pense que l'une des façons d'y parvenir est de réaliser progressivement, j'espère que cela se produira, que les problèmes et les processus qui se sont déroulés en Russie au cours des trente dernières années ont largement affecté l'Ukraine également. Les problèmes des personnes avant et pendant la guerre dans les deux pays ont une nature et une cause commune. Le régime de Vladimir Poutine et la guerre qu'il a déclenchée ont la même nature, les salaires bas et injustes en Ukraine au cours des trente dernières années sont le résultat des mêmes processus qui ont conduit à une énorme stratification sociale en Ukraine et en Russie. Les populations de Russie et d'Ukraine ont été victimes, tout au long de ces trente années, des mêmes tendances, conséquences de la transformation de nos pays en sanctuaires de pratiques dites néolibérales. Je fais référence à des pratiques de gestion basées sur la pénétration d'instruments de marché là où ils ne devraient pas pénétrer et là où ils entraînent une véritable destruction, une pénétration généralisée du marché et une précarisation généralisée de la majorité des travailleurs. Les problèmes que nous avons rencontrés avant le 24 février 2022 découlent précisément de cette situation et le 24 février 2022 lui-même était le résultat de ces mêmes processus. Les habitants de l'Ukraine ont doublement souffert de cette situation. Tout d'abord, comme les habitants de la Russie, ils ont souffert des processus liés à la privatisation et à la structure injuste de l'économie, puis ils ont souffert du régime de Vladimir Poutine et de la destruction militaire qu'il leur a infligée. En Russie, il n'y a eu que la première partie, la guerre n'a pas encore eu lieu. Mais si cette compréhension émerge, si une telle optique et une vision démocratique de gauche du monde gagne en popularité, cela contribuera à ce que plus loin, plus nombreux seront ceux qui, dans nos pays, verront et sentiront que le problème n'est pas que quelque chose ne va pas chez les russes, mais que le problème réside dans le système économique mondial, qui donne naissance à de tels régimes et que ce n'est pas seulement le cas en Russie, mais dans des dizaines d'autres pays. J'espère que le fait de comprendre cela nous aidera à nous rapprocher et à aller de l'avant ensemble.

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20 août 2023 7 20 /08 /août /2023 15:43

 

 

https://fpif.org/cuba-1962-and-ukraine-2022/

 

Cuba 1962 et Ukraine 2022

La confrontation entre les États-Unis et l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) en 1962 contient des leçons importantes pour faire face au potentiel d'escalade nucléaire en Ukraine.

Par Samuel Farber

Lundi 14 Août 2023

Au mois d’octobre 2022, dans une interview pour un documentaire de la télévision de l’état russe sur la crise des missiles de 1962, le ministre russe des affaires étrangères Serge Lavrov a souligné qu'il y avait des similitudes entre la crise des missiles du mois d’octobre 1962 à Cuba et la situation à laquelle la Russie a été confrontée en 2022. Selon Serge Lavrov, la Russie était menacée par les mêmes armes occidentales en Ukraine. Avec ces mots, Serge Lavrov a ignoré que son pays avait nié le droit à l'autodétermination de l'Ukraine comme les États-Unis le font à Cuba depuis 1959.

Pourtant, Serge Lavrov a raison sur un point, il y a effectivement des similitudes entre la situation de Cuba en 1962 et la situation de l’Ukraine en 2022, mais pas pour les raisons indiquées par le ministre russe des affaires étrangères.

Cuba a été une colonie espagnole pendant plus de quatre siècles mais, lorsque l’indépendance de Cuba a été officiellement déclarée en 1902, elle a été fatalement sapée par l'amendement du sénateur américain Orville Platt qui a donné aux États-Unis le droit d'intervenir dans les affaires intérieures de la république indépendante mal nommée. L'amendement d’Orville Platt a été aboli en 1934, peu de temps après la révolution frustrée de 1933, mais il a été remplacé par une relation néocoloniale de facto, qui a subordonné Cuba aux États-Unis, notamment en matière économique.

La dictature du général Fulgencio Batista a été renversée le premier janvier 1959 par une révolution initialement libératrice et démocratique. Motivé d'une part par l'idéologie favorable à l’URSS de plusieurs de ses principaux leaders, notamment Raúl Castro et Ernesto Guevara, devenu critique de l'URSS deux ans plus tard, et, d'autre part, par les efforts américains pour renverser le gouvernement cubain, la direction révolutionnaire cubaine a renoncé à ses promesses démocratiques. Profitant de son immense popularité de ses premières années en raison de ses mesures révolutionnaires, comme la réforme agraire et la réforme urbaine, le gouvernement de Fidel Castro a procédé à des mesures clairement répressives et antidémocratiques. Parmi les plus importantes figuraient le remplacement antidémocratique de la plupart des leaders syndicaux démocratiquement élus après la victoire de la révolution, la fermeture de tous les organes de presse indépendants au milieu des années 1960 et l'élimination de toutes les organisations indépendantes de la société civile, y compris les organisations noires et les organisations féminines indépendantes. Pendant ce temps, le gouvernement cubain a créé un système à parti unique basé sur le modèle soviétique.

Le gouvernement révolutionnaire cubain comptait également sur un soutien populaire considérable, qui n'avait pas encore diminué de manière significative. Au mois d’octobre 1962, il n'y avait plus rien de démocratique dans le régime au pouvoir à Cuba, mais cela ne signifiait pas qu'il ne partageait pas, avec le reste du peuple cubain, le droit à l'autodétermination nationale par rapport à l'empire américain qui tentait de rétablir son contrôle sur l'île.

Après une brève période d'indépendance à la suite de la révolution russe de 1917, l'Ukraine a été convertie de force en une colonie interne de l'URSS et soumise à des crimes inimaginables comme la famine désastreuse que Joseph Staline a délibérément provoquée en 1932 dans le cadre d'une campagne brutale de collectivisation de l’agriculture de l'URSS. Après l'effondrement de l'URSS, des élections ont eu lieu en 1991 pour déterminer l'avenir politique de l'Ukraine, avec un taux de participation de quatre-vingt-quatre pour cent des électeurs éligibles. L'indépendance ukrainienne a été soutenue par quatre-vingt-dix pour cent des électeurs et il y avait seulement huit pour cent des voix contre l'indépendance. Le vote en faveur de l'indépendance de l'Ukraine comprenait plus de quatre-vingt pour cent des électeurs dans les districts de l'est occupés plus tard par les troupes russes et cinquante-quatre pour cent des électeurs dans la péninsule de Crimée, dans laquelle une grande partie de la population était d'origine ethnique russe. Dans le contexte ukrainien, l'utilisation de la langue russe n'indique pas nécessairement une identification avec Moscou, tout comme l'utilisation de l'espagnol en Amérique Latine n'impliquait pas une identification nationale avec l'Espagne au dix-neuvième siècle.

Un rapport de Freedom House de 2022 a classé l'Ukraine comme n'étant que partiellement libre à soixante pour cent. Bien qu'il y ait eu des améliorations depuis le renversement de Victor Ianoukovitch à la tête de l’état en 2014, le rapport note que la corruption continuait d'être endémique et que les initiatives gouvernementales pour lutter contre cette corruption connaissaient des revers. Le rapport indique en outre que les attaques contre les journalistes, les militants de la société civile et les membres des groupes minoritaires, étaient fréquentes, alors que la réponse de la police à ces attaques était généralement inadéquate. Les oligarques ukrainiens continuaient de détenir beaucoup de pouvoir. Malheureusement, l'administration de Volodymyr Zelensky a profité de la situation critique du pays pour imposer des politiques économiques néolibérales qui portent atteinte aux droits du travail des travailleurs ukrainiens.

Comme dans le cas de ​ Cuba en 1962, aucun des défauts incontestables du système politique ukrainien ne justifiait l'invasion russe qui a commencé le 24 février 2022. Vladimir Poutine a déclaré que le fascisme devait être éliminé en Ukraine. Certes, un groupe d'extrémistes de droite a tenté de détourner le mouvement démocratique de la Place Maidan en 2014 et certains soldats ukrainiens ont ajouté des symboles nazis à leurs uniformes, mais cette même extrême droite a obtenu un très petit nombre de voix lors des élections ultérieures qui ont eu lieu dans ce pays. En fait, c'est Vladimir Poutine qui a eu une association très notable avec la politique de droite en Fédération de Russie ainsi qu'à l'étranger. En ce qui concerne son règne chez lui, Vladimir Poutine a été influencé par des idéologues russes de droite, comme par exemple Lev Goumilev et Alexandre Douguine, tandis qu'il s'est associé à l'étranger avec Marine Le Pen en France et d'autres personnalités européennes de droite.

Vladimir Poutine a même récemment envoyé à Cuba des organisations comme l'Institut Piotr Stolypine, nommé en l'honneur du ministre de l'intérieur réactionnaire et premier ministre de la Russie tsariste de 1906 à 1911. Vladimir Poutine a également critiqué Vladimir Lénine en raison de l'internationalisme du leader bolchevique, que Vladimir Poutine accuse d'avoir légitimé le droit des ukrainiens à l'autodétermination nationale. Dans le même temps, Vladimir Poutine a fait l'éloge de Joseph Staline pour son nationalisme et son patriotisme russe. Surtout, Vladimir Poutine a démontré ses prédilections impérialistes en intervenant politiquement et/ou militairement dans des pays comme la Biélorussie, la Tchétchénie, la Géorgie, le Kazakhstan, la Moldavie, la Syrie et la Libye. Vladimir Poutine affirme même qu'il n'y a aucun fondement à l'existence de l'Ukraine en tant que pays indépendant, affirmant peu de temps avant l'invasion que l'Ukraine partageait l'histoire, la culture et l'espace culturel de la Russie.

Vladimir Poutine a raison de dire que l'expansion provocatrice de l'Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a isolé la Russie, malgré les promesses de plusieurs leaders occidentaux à Mikhaïl Gorbatchev à la fin des années 1980 que ces pays ne profiteraient pas de leur victoire dans la guerre froide pour étendre l'OTAN au-delà de ses limites existantes. Après la fin de l'URSS, le but explicite de l'OTAN a disparu, donc la chose logique aurait été de dissoudre l'OTAN.

Néanmoins, la proposition d'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN n'était qu'une possibilité lointaine en 2022. Même si l'Ukraine était sur le point de demander son adhésion à l'OTAN en 2022, cela aurait-il justifié une invasion russe ? Si Cuba avait rejoint le Pacte de Varsovie dans les années 1960, cela aurait-il justifié une invasion américaine de Cuba ? D'un point de vue pratique, l'invasion russe de l'Ukraine a eu le résultat inverse de l'objectif de Vladimir Poutine d'affaiblir l'OTAN lorsqu'elle a conduit des pays ayant une longue histoire de neutralité, comme la Finlande et la Suède, à demander l'adhésion à l'OTAN après l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine.

Les affirmations de Vladimir Poutine d'une prétendue identité partagée entre la Russie et l'Ukraine, ainsi que ses interventions en Tchétchénie, en Géorgie et dans d'autres pays, sont liées à la théorie des sphères d'influence. C'est la principale raison pour laquelle Vladimir Poutine n'est pas satisfait de l'expansion de l'OTAN. Des pays comme la Finlande, avec qui la Russie partage une longue frontière, sont encore plus tombés sous l'influence des États-Unis et de leurs alliés. La théorie des sphères d'influence, également soutenue par de nombreux politiciens et universitaires qui sont loin d'être favorables à Vladimir Poutine, est une théorie essentiellement impérialiste, car elle établit la proximité géographique comme une source légitime d'expansion et de domination politique.

C'est pourquoi le principe d'autodétermination nationale est indispensable. Il est anti-impérialiste par nature et il réaffirme le concept démocratique selon lequel les habitants d'une nation doivent résoudre ses problèmes et prendre en main leur destin. Cela ne signifie pas que les peuples du monde entier ne peuvent pas et ne doivent pas aider ceux qui vivent dans d'autres pays, en particulier ceux qui sont opprimés par les dictatures et les oligarchies, mais cela devrait être fait par les organisations indépendantes de la société civile comme les syndicats, les églises et les organisations indépendantes des droits humains, plutôt que par les organisations gouvernementales des pays impérialistes qui ont des intérêts contraires à l'autodétermination de ceux qu'ils prétendent aider.

Le 17 avril 1961, mille quatre cent cubains exilés organisés et armés par la Central Intelligence Agency (CIA) et d’autres agences américaines ont débarqué dans la Baie des Cochons sur la côte centre-sud de Cuba.

Les envahisseurs ont été vaincus en quelques jours et des centaines d'entre eux ont été emprisonnés par le gouvernement cubain et finalement échangés contre du matériel agricole et d'autres biens fournis par Washington.

Anticipant l'invasion, Fidel Castro a proclamé le caractère socialiste de la révolution cubaine le 16 avril 1961. Après la catastrophe de la Baie des Cochons, le gouvernement américain a redoublé d'efforts à la fin du mois de novembre 1961 en inaugurant un programme d'attentats terroristes et d'opérations clandestines contre Cuba nommé Mangouste.

Au début de l’année 1962, Fidel Castro a eu un entretien secret avec Nikita Khrouchtchev dans lequel il a accepté d'installer secrètement des missiles à ogives nucléaires capables d'atteindre les États-Unis. Selon le lieutenant coronel Rubén Jiménez Gómez, fondateur et chef des troupes cubaines impliquées dans la gestion des missiles, Moscou a envoyé un groupement de troupes soviétiques à Cuba du mois de juillet 1962 au mois de novembre 1962 pour mettre en œuvre la décision de transporter des armes nucléaires et d'autres types à Cuba. Cette initiative soviétique impliquait cinquante-trois mille soldats, dont divers secteurs des forces armées soviétiques, qui ont été transportés à Cuba dans quatre-vingt-cinq bateaux du ministère de la marine marchande soviétique en cent quatre-vingt-cinq voyages. Comme l'explique Jiménez Gómez, l'expédition soviétique de missiles moyens et intermédiaires était destinée à dissuader une invasion américaine de Cuba, tandis que les armes nucléaires tactiques seraient utilisées en cas d'invasion américaine. En d'autres termes, les armes nucléaires tactiques n'ont pas été conçues pour la dissuasion mais pour le combat. En fait, Jiménez Gómez souligne que, si les troupes soviétiques devaient défendre les missiles stratégiques et se défendre contre une invasion, elles auraient probablement utilisé l'une de leurs armes.

Bien que cette intervention soviétique massive n'aurait pas eu lieu sans le consentement de Fidel Castro et du gouvernement cubain, le gouvernement soviétique n'était pas sûr que les cubains autoriseraient les soviétiques à continuer. Fidel Castro insistera plus tard pour accepter les propositions soviétiques bien au-delà de ce qui était dans l'intérêt de Cuba afin de renforcer le camp socialiste. En fait, selon le maréchal Serge Biriouzov, l'un des chefs de la commission soviétique arrivée à Cuba le 29 mai 1962 pour obtenir l'autorisation de Cuba pour les livraisons d'armes, les leaders cubains se considéraient plus comme des bienfaiteurs de l'URSS que comme bénéficiant de sa protection.

Néanmoins, bien que le gouvernement cubain ait évidemment coopéré à la mise en œuvre de l'accord soviétique dans tout ce qui relevait de son pouvoir militaire et logistique, il n'a en aucun cas participé aux décisions militaires et politiques de l'opération. Par exemple, la décision extrêmement importante d'abattre l'un des nombreux avions américains survolant Cuba pour photographier les installations soviétiques, qui a entraîné la mort du pilote américain Rudolf Anderson le 27 octobre 1962, a été prise par les autorités soviétiques sans même consulter les autorités et les chefs militaires cubains avant d'adopter une ligne de conduite aux conséquences potentiellement très graves.

Contrairement à Cuba au mois d’octobre 1962, le gouvernement ukrainien n'accueille aucune troupe étrangère, à l'exception de quelques petits groupes soutenant les ukrainiens en tant que volontaires, dont beaucoup sont de droite, et contrairement aux mercenaires russes du groupe Wagner qui comptent dans leurs rangs de nombreux anciens prisonniers russes de droit commun. Jusqu'à présent, il ne semble pas y avoir d'armes nucléaires de part et d'autre du conflit. Dans le même temps, l'Ukraine dépend dans une très large mesure de l'aide militaire et économique des pays de l'OTAN, en particulier des États-Unis. Bien que la direction militaire et les décisions tactiques au front soient entre les mains d'officiers ukrainiens, cette fourniture extérieure d'armes, de munitions, d'entraînement, de renseignement, de stratégie militaire et d'assistance économique générale, est indispensable.

Selon le New York Times, par exemple, trente-six mille soldats ukrainiens ont été entraînés à l'étranger. Même ainsi, les États-Unis et leurs alliés ont retardé autant que possible l'envoi d'avions et de chars de technologie de pointe. Au moins pour le moment, les défenseurs de l'Ukraine en occident veulent éviter un conflit militaire beaucoup plus large avec la Russie.

La sous-estimation du contrôle politique et militaire ukrainien dans le conflit actuel, qui est souvent présenté comme un conflit entre la Russie et l’occident, dans lequel les ukrainiens sont utilisés comme de la chair à canon, serait beaucoup plus applicable à Cuba en 1962 qu'à l'Ukraine en 2022. Il existe également une grande différence de stratégie entre l'Ukraine et ses défenseurs de l'OTAN, du moins en termes de résolution du conflit. L'Ukraine se bat pour le rétablissement de son intégrité territoriale, qui comprend les territoires occupés par la Russie dans les parties orientales et méridionales du pays et en particulier en Crimée, éventuellement soumis à un vote lors de plébiscites organisés dans ces zones récupérées. Bien que les États-Unis et leurs alliés européens de l'OTAN veuillent vaincre Vladimir Poutine, ils seraient probablement satisfaits si Vladimir Poutine acceptait le statu quo avant l'invasion de 2022, ce qui n'est certainement pas l'objectif du gouvernement ukrainien. En fait, diverses publications américaines importantes, par exemple Foreign Affairs ont fait valoir que, après la conclusion de l'offensive estivale tant attendue, l'Ukraine doit commencer à négocier avec la Russie pour parvenir à un accord qui n'inclurait presque certainement pas la satisfaction de toutes les revendications ukrainiennes. En revanche, au mois d’octobre 1962, la rivalité de pouvoir avec Washington était beaucoup plus importante pour les leaders soviétiques que la préservation de la souveraineté et de l'intégrité nationale de Cuba, comme l'a démontré le fait que le Kremlin ait ignoré la demande cubaine que les États-Unis se retirent de la base navale de Guantanamo.

Plus grave encore est ce qui s'est passé avec les négociations entre Washington et Moscou pour résoudre la crise des missiles de Cuba, qui a mis en danger non seulement la paix mondiale, mais même la survie d'une grande partie de la planète en 1962. Moscou a accepté de retirer les missiles de Cuba en échange de la promesse que Washington n’envahirait pas Cuba et de la promesse secrète que Washington retirerait les missiles Jupiter de moyenne portée installés en Turquie. Nikita Khrouchtchev et John Kennedy ont tous deux ignoré les revendications de Fidel Castro de fermer Guantanamo et de mettre fin au blocus économique de Cuba. Fidel Castro furieux a dénoncé l'accord entre les deux superpuissances et il a refusé de permettre toute sorte d'inspections étrangères du retrait des missiles sur le territoire cubain. Pour cette raison, l'armée de l'air américaine a effectué les inspections en haute mer avec la coopération des navires de la marine soviétique.

Un large secteur de la gauche internationale a fait écho aux vives critiques de Fidel Castro contre les leaders soviétiques tout en ignorant que Fidel Castro ait consenti au contrôle total soviétique sur ses opérations militaires sur l'île. Plus grave encore, la plupart de cette gauche, ainsi que le gouvernement cubain, ont adopté une version de ce que le sociologue américain radical Wright Mills a qualifié de réalisme fou, lorsqu'ils ont approuvé l'envoi d'armes nucléaires soviétiques à Cuba. Ces armes nucléaires stratégiques à moyenne et longue portée, ainsi que les armes tactiques à utiliser sur le champ de bataille, ont considérablement augmenté la possibilité d'affrontements nucléaires avec les États-Unis, dont les conséquences destructrices sont ressenties de manière disproportionnée par le peuple cubain. Seule une minorité de gauche, des groupes radicaux socialistes opposés à la fois à Washington et à Moscou, a condamné le caractère nucléaire de cette rivalité entre superpuissances.

Fidel Castro a également accompagné son réalisme fou de ce que nous pourrions appeler un culte de la mort. Dans une lettre du 26 octobre 1962, Fidel Castro exhorte Nikita Khrouchtchev à aller aux extrêmes en représailles contre une éventuelle invasion américaine de Cuba, « parce que je crois que l'agressivité des impérialistes les rend extrêmement dangereux et que, s'ils parviennent à mener une invasion de Cuba, un acte brutal en violation de la loi universelle et morale, alors ce serait le moment d'éliminer ce danger pour toujours, en un acte de légitime défense des plus légitimes. Aussi dure et terrible que soit la solution, il n'y en aurait pas d'autre ».

En réponse à une future invasion, Fidel Castro proposait une attaque nucléaire soviétique contre les États-Unis, qui aurait éliminé non seulement les leaders, les capitalistes et les impérialistes, mais aussi les travailleurs, les enfants et de nombreux innocents. Une telle attaque contre les États-Unis aurait également eu un impact très négatif sur la santé et le bien-être du peuple cubain lui-même. Lors d'une conférence qui a eu lieu à La Havane le jour du quarantième anniversaire de la crise, au mois d’octobre 2002, Fidel Castro a déclaré qu'il aurait préféré une invasion américaine à l'humiliation du retrait soudain des missiles, ajoutant que « Cuba pourrait être éliminé mais jamais vaincu, si nous étions tous morts, il n'y aurait pas eu de défaite ».

Dans leurs attitudes face à la mort, Fidel Castro et ses alliés se sont certainement inspirés de l'histoire des mambises qui ont combattu le colonialisme espagnol pendant trente ans dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, qui étaient disposés et qui étaient prêts à sacrifier leur vie pour la cause. Mais lorsque les mambises se sont battus avec leurs machettes contre les soldats espagnols armés de leurs Mausers, et plus tard lorsque Fidel Castro et d'autres se sont battus contre Fulgencio Batista et d'autres dictateurs, ils risquaient leur vie et celle de leurs camarades de lutte, mais ils ne risquaient pas la vie de millions de personnes loin du conflit.

Les opposants de Fidel Castro critiquent depuis longtemps cet aspect de l'idéologie dirigeante du gouvernement et ils défendent leur slogan, « la patria y la vida », contre le slogan du gouvernement, « la patria o la muerte ».

Aucune de ces considérations ne doit conduire à la conclusion selon laquelle il est nécessaire ou souhaitable d'étendre le conflit au-delà des frontières ukrainiennes, ce qui impliquerait la très grave possibilité de transformer une lutte principalement pour l'autodétermination nationale en un conflit largement inter-impérialiste. Un tel type de conflit transformerait l'Ukraine en une simple excuse de guerre impériale. L'Ukraine a parfaitement le droit de lutter pour son autodétermination nationale, y compris la défense de son intégrité territoriale, et d'obtenir l'aide nécessaire partout où elle peut se la procurer. Il est de notre devoir de la soutenir inconditionnellement dans ces efforts, mais sans fermer les yeux sur la réalité ni abandonner notre sens critique, pour l'exercice duquel il ne devrait pas y avoir d'exception.

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