Depuis 2001, Israël a détruit pour soixante quatorze millions de dollars de projets financés par l’Union Européenne
Par Charlotte Silver
Dimanche 5 Juin 2016
Un projet agricole de onze millions de dollars dans la vallée du Jourdain, un terrain de jeu de soixante et un mille deux cent dollars et une école primaire ouverte pour la communauté bédouine à l’est de Jérusalem, tout a été détruit par Israël.
Ce ne sont là que quelques exemples sur au moins cent cinquante structures, financées par l’Union Européenne en Cisjordanie occupée, qu’Israël a démolies au cours des trois premiers mois de 2016.
Israël a détruit plus de maisons, d’entreprises et d’infrastructures publiques dans ces mois-là que dans toute l’année 2015, selon un nouveau rapport de l’organisation à but non lucratif Euro Mediterranean Human Rights Monitor, ou Euro Med.
Chaque mois, c’est une moyenne de cent soixante cinq structures à financement privé ou international qui ont été démolies ou partiellement détruites, un total trois fois plus élevé que le précédent de cinquante démolitions par mois, entre 2012 et 2015.
Plus de neuf cent palestiniens sont devenus des sans-abri cette année, selon les statistiques de l’Organisation des Nations Unies (ONU), et des milliers d’autres ont vu leurs moyens de subsistance affectés par la vague des destructions.
D’après Euro Med, le coordinateur adjoint de l’ONU pour le processus de paix au Moyen-Orient, Robert Piper, a laissé entendre que l’augmentation du nombre de démolitions est une réponse à l’escalade dans les confrontations violentes entre les palestiniens et les forces d’occupation israéliennes, commencée en octobre 2015.
Mais, pour le politicien israélien Moti Yogev, qui a exercé une pression sur les forces d’occupation israéliennes pour que s’accélèrent les démolitions, « je n’ai aucun doute que la position ferme du gouvernement résulte en partie des mesures unilatérales prises par l’Europe », se référant à la décision de l’Union Européenne concernant l’étiquetage des produits des colonies de fin de l’année dernière.
Si tel est le cas, les démolitions peuvent s’assimiler à des agressions du « prix à payer » contre les palestiniens et leurs biens commises par les colons, comme une forme de vengeance pour des politiques qu’ils n’aiment pas.
L’inaction de l’Union Européenne
La divergence dans ces explications peut venir en partie du fait que les responsables européens ont tenté de minimiser l’ampleur des destructions par Israël des infrastructures financées par l’Union Européenne afin d’éviter tout embarras, selon Cécile Choquet, chercheure à Euro Med.
En 2012, Chris Davies, député britannique du parlement européen, et Štefan Füle, ancien commissaire européen à l’élargissement et à la politique européenne de voisinage, ont présenté une liste de projets financés par l’Union Européenne qu’Israël a détruits au cours des onze premières années de ce millénaire.
La liste, en quatre vingt deux points, s’élève à cinquante six millions de dollars de pertes.
Mais depuis, les bureaucrates de l’Union Européenne ont gardé ce genre de données classifiées, selon Euro Med qui estime que le montant total des aides européennes dilapidées depuis 2001 se monte à soixante quatorze millions de dollars. Quelque vingt six millions de dollars sur cette somme ont été détruits durant le bombardement de Gaza par Israël, en 2014.
Si les diplomates européens ont bien publié des déclarations le dénonçant, il leur reste encore à remettre en question les accords commerciaux, militaires et économiques, qui sous-tendent les relations entre l’Union Européenne et Israël.
Au mois de mai 2016, par exemple, l’Union Européenne a critiqué « la tendance regrettable, depuis le début de l’année, aux confiscations et aux démolitions, y compris de l’aide humanitaire financée par l’Europe », après la démolition par Israël des abris d’une communauté bédouine près de Jérusalem.
Mais la déclaration ne contenait aucune allusion à de quelconques mesures pour en tenir réellement Israël comme responsable.
Selon Haaretz, l’augmentation de la pression politique se porte sur la responsable des affaires étrangères de l’Union Européenne, Federica Mogherini, pour qu’elle affronte Israël sur la question des démolitions des projets financés par l’Union Européenne.
Federica Mogherini a rapporté que certains membres de l’Union Européenne demandaient de faire payer des indemnisations à Israël.
L’envoyé de l’Union Européenne en Israël, l’ambassadeur Lars Faaborg-Andersen, aurait averti les officiers supérieurs israéliens la semaine dernière que si les démolitions restaient à ce niveau, les relations entre l’Union Européenne et Israël pourraient se dégrader.
La mission de l’Union Européenne à Tel Aviv n’a pas répondu à la demande de commentaires, faite par Electronic Intifada, pour savoir quelles pourraient en être les conséquences si, le cas échéant, Israël n’arrêtait pas ses démolitions.
Une autre réunion entre des responsables de l’Union Européenne et le ministère des affaires étrangères d’Israël est prévue au plus tard pour le mois de juin 2016, afin de discuter d’un gel des démolitions des structures financées par l’Union Européenne.
Impossible de construire
Ces démolitions se produisent de façon massive dans la zone C, qui représente soixante pour cent de la Cisjordanie occupée et qui est sous le contrôle total des israéliens en vertu des conditions des accords d’Oslo de 1993.
Plus de soixante dix pour cent des palestiniens dans cette zone ne sont reliés à aucun réseau d’eau. Entre 2000 et 2014, les autorités israéliennes n’ont approuvé que deux pour cent des demandes palestiniennes pour obtenir des permis de construire dans la zone C.
Mais COGAT, la bureaucratie de l’occupation israélienne qui gère le régime militaire des palestiniens dans la zone C, a insisté sur le fait que les démolitions sont des mesures « contre les constructions illégales ».
REGAVIM, une organisation israélienne d’extrême droite, s’est emparée du langage des groupes internationaux qui critiquent les constructions de colonies d’Israël, pour qualifier les projets de l’Union Européenne en Cisjordanie de « constructions illégales dans la zone C ».
L’investissement de l’Union Européenne dans la zone C est conforme à son engagement politique qui appelle à la solution à deux états.
Dans le même esprit, l’Union Européenne est le principal donateur pour l’Autorité Palestinienne. Depuis 1994, elle a fourni pour six milliards trois cent millions de dollars d’aides à l’entité qui, théoriquement, gouverne les palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza occupées.
La plus grande partie des aides que l’Union Européenne achemine vers l’Autorité Palestinienne vise à soutenir les opérations quotidiennes et les salaires des employés et des forces de sécurité.
Entre 2007 et 2015, l’Union Européenne a attribué deux milliards huit cent millions de dollars à la gouvernance de l’Autorité Palestinienne. Depuis l’année 2000, la commission européenne, l’exécutif de l’Union Européenne, a attribué sept cent quatre vingt douze millions de dollars aux besoins humanitaires basiques de la population palestinienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza occupées.
L’Union Européenne et ses états membres, en attendant, poursuivent leurs commerces d’armes avec Israël.
La politologue française, Caroline du Plessix, a déclaré à Euro Med « qu’il n’y a pas d’état palestinien aujourd’hui. La question est la question de savoir ce que nous finançons. Sommes-nous en train d’aider Israël à maintenir son occupation, ou sommes-nous vraiment en train d’aider les palestiniens à construire leur indépendance ».