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Amnesty International dénonce l’usage de la loi comme une arme de répression des manifestants pacifiques en France
L’organisation dénonce les mesures inquiétantes de l'arsenal législatif français, notamment le recours aux procédures judiciaires spécifiques à l'hexagone.
C’est la face cachée des opérations de maintien de l’ordre, celle qui ne fait pas l’objet de dizaines de vidéos spectaculaires, mais qui recèle en elle une violence loin de n’être que symbolique. En parallèle de l’usage de la force sur le terrain, la gestion des manifestations, notamment durant le mouvement des Gilets Jaunes, s’est appuyée sur la réinterprétation du cadre légal, entre autres pour empêcher certaines personnes de prendre part aux manifestations, même quand celles-ci n’avaient commis aucune infraction.
Dans un rapport publié Mardi 29 Septembre 2020, Amnesty International décortique cet usage extensif de la loi, qualifié d'arme de répression des manifestants pacifiques en France.
Un document de soixante-trois pages dans lequel l’organisation de défense des droits fondamentaux se penche sur « trois principaux domaines dans lesquels les autorités françaises ont restreint de manière disproportionnée le droit à la liberté de réunion pacifique entre 2018 et 2020 », l’utilisation des lois sur l’interdiction de la dissimulation du visage et sur l’outrage aux personnes dépositaires de l’autorité publique pour appréhender des manifestants, le détournement du délit de participation à un groupement en vue de la préparation de violences volontaires, une loi à la formulation vague, qui permet toutes les interprétations, et enfin le recours massif à des obligations de contrôle judiciaire, qui reviennent dans les faits à priver la personne de son droit de manifester pendant plusieurs mois.
Le travail de l’Organisation Non Gouvernementale (ONG) internationale, coordonné par le chercheur Marco Perolini, se fonde sur soixante six entretiens avec des « personnes dont le droit à la liberté de réunion pacifique a été restreint de manière illégitime », cinq visites en France, des rencontres avec le procureur de Paris, le ministère de la justice et le défenseur des droits, et des conclusions détaillées envoyées aux autorités, seule l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) a répondu.
Pour Marco Perolini, si « l’année 2019 a été marquée par un usage excessif de la force lors de manifestations organisées dans plusieurs pays européens, par exemple lors des mobilisations d’Extinction Rebellion pour le climat en Autriche ou au Royaume-Uni », la situation en France est encore plus alarmante, « il existe, dans l’arsenal législatif français, plusieurs mesures inquiétantes, tant dans leur contenu que dans l’usage abusif qui en est fait ». Le fait de recourir de plus en plus massivement à des procédures judiciaires pour répondre à des situations de tensions lors des manifestations est « assez spécifique à la France et entraîne d’importantes restrictions du droit à la liberté de manifester », note le chercheur.
Concrètement, entre le mois de décembre 2018 et le mois de juillet 2019, le rapport, qui se base sur les chiffres du ministère de la justice, dénombre onze mille deux cent trois interpellations puis des placements en garde à vue au cours des manifestations. Parmi celles-ci, cinq mille deux cent quarante et une ont été suivies de poursuites et trois mille deux cent quatre ont abouti à des condamnations. A l’inverse, deux mille deux cent soixante affaires ont été classées sans suite.
D’après l’étude d’Amnesty International, l’usage de ce cadre légal flou et la multiplication des procédures judiciaires ne visent pas que les manifestants. L'ONG dénonce également la mise en œuvre des mêmes stratégies contre les observateurs et les journalistes, présents au sein des cortèges pour documenter d’éventuelles violences policières, et contre les street medics, des bénévoles qui prodiguent les premiers soins en cas de blessures.
Dans son rapport, l’organisation internationale s’inquiète des dernières orientations stratégiques annoncées par le ministère de l’intérieur. Rendu public au mois de septembre 2020, le nouveau Schéma National du Maintien de l'Ordre (SNMO) est venu entériner les orientations développées par les autorités au moment de la crise des Gilets Jaunes.
Les forces de l’ordre, via la mobilisation d’unités mobiles, sont incitées à interpeller massivement les manifestants qui représenteraient un trouble à l’ordre public. « Globalement, cette stratégie ne répond pas aux principales préoccupations qu’Amnesty International a soulevées », note l’ONG.
A travers différents témoignages, Amnesty International dénonce les conséquences néfastes qui ont découlé de cette judiciarisation du maintien de l’ordre. « Parmi les personnes interrogées, certaines ont été traumatisées d’être placées en garde à vue seulement pour avoir porté des lunettes de piscine », rapporte Marco Perolini. « La conséquence est qu’un certain nombre de manifestants indiquent ne plus vouloir retourner dans la rue ou en tout cas y réfléchir à deux fois », poursuit le chercheur, « c’est contre les personnes qui manifestaient pour la première fois que cet effet dissuasif est le plus évident ».
Le rapport formule trois recommandations principales. Il appelle les autorités à ne réduire le droit de manifester que de manière strictement nécessaire et proportionnée dans le cadre de la crise sanitaire, en principe toute interdiction générale des manifestations doit être exclue. Le rapport prône l’abrogation des dispositions pénales qui limite la liberté de réunion pacifique, à commencer par l’interdiction de se couvrir le visage, l’obligation de déclaration d’une manifestation et l’outrage d’une personne dépositaire de l’autorité publique. Enfin, il demande aux forces de l’ordre et aux autorités judiciaires de cesser de recourir au délit de participation à un groupement en vue de commettre des violences, qui permet les arrestations préventives.