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actualité politique nationale et internationale

VIE ET MORT DE PODEMOS

 

 

VIE ET MORT DE PODEMOS

Mercredi 9 Septembre 2020

Vous trouverez ci-dessous les deux derniers paragraphes d'un très long message de Manuel Gari, membre d'Anticapitalistas et du conseil de rédaction de Viento Sur, relatif à Podemos. Le message est disponible en totalité en français à l'adresse ci-dessous.

Bernard Fischer

 

https://vientosur.info/fulgor-y-ocaso-de-podemos-razones-de-un-adios/

https://alencontre.org/europe/espagne/splendeur-et-crepuscule-de-podemos-les-raisons-dun-adieu.html

Le résultat de la confrontation entre les réformistes et les révolutionnaires, à l'intérieur de Podemos, n’était pas déterminé à l’avance mais, tout en comprenant les difficultés qu’il y avait de mener une politique anticapitaliste à l’intérieur et à partir de Podemos, il existait de réelles possibilités de le faire. Cela exigeait de sortir de la zone de confort dans laquelle sont installés tant de petits groupes et sectes de la gauche radicale qui limitent leur activité à l’auto-construction, à la dénonciation, à la mise en demeure des autres agents politiques et au propagandisme, sans avoir la volonté ni la capacité de concevoir des projets politiques pour l’action des masses et en relation avec elles. Anticapitalistas osa ce pari fort, eut de l’audace et déploya son potentiel programmatique et tactique.

La tâche était herculéenne, créer de rien un parti de masse dans une situation de crise sociale, mais avec peu de culture et de traditions de militantisme organisé. Ceci dans un contexte de crise du régime politique, compte tenu de la désaffection de la jeunesse et de l’ampleur du conflit catalan avec l'état central, mais avec les appareils d'état post-franquistes indemnes et sans fissures, avec une crise du bipartisme qui provoquait une situation d’ingouvernabilité, mais avec un Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) stabilisateur qui conservait la confiance, certes diminuée mais toujours majoritaire, du peuple de gauche. Dans ces conditions, la construction de l’alternative était une mission difficile. Les facteurs qui expliquent l’existence de l’espace qui s’ouvrait pour la construction de Podemos pouvaient en être en même temps le talon d’Achille, des années de destruction et de régression de la conscience du mouvement ouvrier par exemple et l’effondrement de la gauche politique réformiste et révolutionnaire, mais surtout le fait que la crise organique ne s’était pas encore produite. Tout cela a objectivement rendu difficile que le projet d’Anticapitalistas de faire de Podemos un levier pour l’émancipation remporte le succès attendu.

Cependant, il est nécessaire de mettre en évidence certaines erreurs et faiblesses qui, outre les difficultés objectives, ont pesé sur Anticapitalistas. Une première erreur a été d’accepter de facto le cadre étroit que la clique de Pablo Iglesias a imposé par la légalisation de manière secrète et manœuvrière de statuts antidémocratiques et hiérarchiques qui accordaient la légalité juridique du parti à l’équipe de Pablo Iglesias. De cette manière, cette équipe cherchait à sortir Anticapitalistas de la scène comme sujet politique fondateur et de présenter ses militants comme des conspirateurs extérieurs, entristes et ennemis du projet qu’ils avaient eux-mêmes créé. Que le lecteur se souvienne de la photographie du rassemblement où interviennent Vladimir Lénine et Léon Trotsky, photographie qui a été censurée et modifiée par la magie photographique de Joseph Staline pour effacer la mémoire et devenir le propriétaire de la révolution. Quelque chose comme cela s’est passé à Podemos. Comment qualifier l’attitude d’Anticapitalistas? Il n’y a qu’un seul adjectif, une naïve confiance irresponsable.

Il y a eu une surestimation volontariste de la capacité d’action de nos modestes forces militantes organisées, non pas tant pour vertébrer l’arrivée initiale, spontanée et massive de militants, mais pour faire face à l’hyper leadership construit dans les médias et au lien plébiscitaire existant et fomenté entre le leader charismatique et les masses dans une situation où il n’y a pas de processus de politisation profonde, de formation de cadres, de structuration systématique du militantisme et de relations organiques avec de larges secteurs de la population de gauche. Et cela alors même qu’il existe cependant un profond sentiment de besoin de changement, de nouvelles directions et de nouveaux représentants. Ce facteur a été déterminant pour permettre le niveau d’autonomie atteint par Pablo Iglesias dans sa figure de secrétaire général, qui se fait élire en dehors du reste de la direction, de manière plébiscitaire, et pour imposer sa dynamique à Podemos, acculer toute proposition de structuration démocratique et justifier tout type de zigzags politiques en fonction de ses intérêts à chaque moment.

C’était le temps où Podemos mit en place, comme l’appela Santiago Alba Rico, essayiste et philosophe marxiste, le commandement médiatique qui, pendant une courte période, a effectivement révolutionné la communication politique tant sur les réseaux sociaux que dans sa relation avec les médias audiovisuels. Ce dispositif de parti fut approprié exclusivement par le tandem de Pablo Iglesias et d'Inigo Errejón. Face à cela, Anticapitalistas, étant donné que l’accès aux ressources de Podemos lui était fermé par le veto de la clique bureaucratique, n’a pas organisé, même à l’état embryonnaire, un système de communication, aussi modeste soit-il, lui permettant d’exprimer ses positions dans les médias et les réseaux, de manière autonome. Cela a constitué pendant longtemps l’une des entraves les plus lourdes qui ont pesé sur son activité.

Le néocaudillisme dans l'état espagnol a été inspiré idéologiquement, politiquement et organisationnellement, par les expériences populistes latino-américaines, aujourd’hui en déclin, mais la direction de Podemos a défendu sa nécessité conjoncturelle et instrumentale, feignant de le faire malgré elle, avec le mantra de sa convenance et de son opportunité devant la logique électorale et communicationnelle dans la société du vingt et unième siècle.

Le problème suivant, lié au précédent et qu'Anticapitalistas n’a pas détecté à temps, c’est que ce caudillisme se connectait très bien avec des secteurs issus d’expériences post staliniennes et des secteurs les plus dépolitisés qui acceptaient volontiers la hiérarchisation de l’organisation dans laquelle beaucoup d’entre eux ont commencé à s’auto désigner eux-mêmes comme soldats.

Ce processus rapide de bureaucratisation a pu être favorisé par le fait que certains secteurs d’activistes de gauche des mouvements sociaux, manquant d’une conscience politique adéquate, ont d’abord méprisé Podemos et le secteur anticapitaliste n’a pas pu compter sur leur aide à un moment crucial. Après le succès électoral du nouveau parti, ils s’en sont rapprochés aveuglés comme des moustiques par la lumière, un peu tard pour modifier sur le plan démocratique l’organisation. Sans direction politique, certains se sont installés dans la nouvelle situation, d’autres ont simplement cherché un emploi dans les interstices institutionnels et la plupart ont quitté Podemos avec une grande partie de ceux qui l’avaient rejoint.

Dans cette situation, Anticapitalistas a commis une erreur au cours du premier congrès de Vistalegre. Le cadre de conflit étant centré sur le modèle organisationnel, il a concentré ses efforts presque exclusivement sur la réponse à la question démocratique interne, une question vraiment importante, mais sans poser de façon suffisamment énergique la bataille pour un projet politique permettant d’agréger autour d’Anticapitalistas les courants de radicalisation existants. C'est une leçon à retenir pour l’avenir. La condition sine qua non pour construire des groupements politiques stratégiques qui devraient avoir un horizon de société post-capitaliste, c’est d’établir la relation entre le projet politique et l'aspiration à une société écosocialiste et féministe. Ce n’est qu’ainsi qu’un bloc historique antagoniste peut être créé et unifié.

Anticapitalistas n’a pas réussi à placer cette question au centre de la construction de Podemos et cela a permis aux dirigeants de Podemos de manœuvrer et de changer de positions politiques à volonté et, par conséquent, de définir les objectifs en fonction de leurs intérêts immédiats.

Mais la question fondamentale est que si la tâche était herculéenne, Anticapitalistas avait non seulement un déficit numérique, mais un déficit aussi dans son implantation sociale et, plus important encore, dans le degré de cohésion politique qu’il avait avant d’entreprendre le projet que proposait la direction du parti. C’est pourquoi il y a eu des départs de la part d’un secteur moins audacieux, plus sectaire et gauchiste qui, peu de temps après, allait devenir inexistant. Mais il y a eu aussi des pertes dans un secteur qui réduisit ses attentes à la voie électorale et qui ne voyait plus la nécessité de l’existence de l’organisation marxiste révolutionnaire dans le cadre d’une organisation plus large.

Les dirigeants d’Anticapitalistas ont fait une bonne lecture de la situation qui a conduit à la conclusion de la fondation de Podemos, mais elle n'était pas suffisante en ce qui concerne les exigences politiques nécessaires pour faire un tel saut. Une leçon peut être tirée de cette question, particulièrement en pensant aux tâches post-Podemos qui s’ouvrent, la nécessité d’avoir une préparation idéologique et stratégique significative du parti avant de prendre des décisions de cette ampleur. Mais comme nous ne pouvons pas deviner magiquement ni prédire scientifiquement les situations dans lesquelles se présenteront de nouvelles opportunités qui permettent de réaliser des sauts qualitatifs, il est indispensable de créer, de façon consciente et planifiée, une cohérence interne supérieure à celle qui se produit de façon spontanée et routinière. Cela doit constituer une tâche centrale constante qui sera d’une grande utilité pour agir de façon homogène, avec une réflexion stratégique, une habilité tactique et une créativité organisationnelle, de sorte que les opportunités et possibilités se transforment en forces et en réalités.

Comme l’a expliqué Raúl Camargo dans une interview, les raisons de fond du départ d’Anticapitalistas de Podemos sont doubles. D’une part, l’inexistence de vie démocratique interne dans une organisation dont les organes se réunissent ou délibèrent rarement, où la proportionnalité n’est pas respectée pour l’élection des postes de direction interne ou pour les candidatures électorales décidées par le secrétaire général, autant de facteurs qui empêchent le développement d’une vie organique pluraliste. D’autre part, parce que le processus d’acceptation du cadre constitutionnel du régime de 1978 et d’adaptation flexible à l’économie de marché de l’équipe de Pablo Iglesias s’est accompagné d’un rapprochement avec le PSOE, qui a culminé dans la formation d’un gouvernement conjoint dans lequel Unidas Podemos joue un rôle subordonné et secondaire.

Les accords budgétaires d'Unidas Podemos avec le PSOE et le programme du gouvernement de coalition ont été subordonnés aux exigences du pacte de stabilité et de croissance. C’est un gouvernement qui, sous l’hégémonie et la vigilance attentive de la ministre Nadia Calviño, a une politique économique et sociale déterminée par les limites fixées à tout moment par la commission européenne, le conseil européen, l'euro groupe ou la Banque Centrale Européenne (BCE). L’âme sociale qui inspire Podemos est indéniable, mais ses propositions, et cela a été démontré dans la pandémie, ont une portée limitée. Les mesures de défense des plus démunis sont nécessaires comme palliatifs mais insuffisantes, celles ayant trait à la législation du travail ont une date d’expiration et elles misent sur un endettement encore plus grand des caisses de l'état et un allégement des profits des entreprises.

Dans la brève expérience du soi-disant gouvernement de progrès, Unidas Podemos a fait une masse de concessions, renonçant même à des questions du programme convenu avec le PSOE, et a silencieusement consenti à d’importants reculs politiques et décisions économiques. L’un des prochains tests sera leur attitude face à la crise flagrante de l’institution monarchique, qui ne sera pas vaincue uniquement par des déclarations au sein du parlement.

Il est peu utile de regrouper le peuple, de faire appel aux intérêts du peuple, d’avoir une présence électorale ou de faire partie d’un gouvernement, si ce n’est autour d’un projet qui mette fin à leur aliénation. Ce qui, à plus forte raison, nous oblige à nous souvenir de catégories telles que celles de classe sociale et d'exploitation et à concevoir la majorité sociale non pas comme une somme arithmétique de personnes individuelles mais comme un agrégat algébrique de la classe des travailleurs avec tous les secteurs sociaux qui ont un compte à régler avec le système et capables de configurer un nouveau bloc hégémonique. En d’autres termes, concevoir le peuple comme un véritable sujet politique antagoniste et candidat au pouvoir dans tous les sens. Ceci est tout à fait différent de circonscrire les avancées à la simple occupation par une nouvelle élite de jeunes politiciens professionnalisés de quelques rares portefeuilles ministériels marginaux.

Podemos est devenu un appareil électoral plébiscitaire qui, bien qu’il traduise la représentation d’une partie de la gauche, quoique de manière décroissante, est un obstacle au développement de l’auto-organisation populaire, d'une part, parce que, dans sa direction, la lutte politique a été réduite à une lutte purement institutionnelle et, d’autre part, parce qu’elle entretient une relation instrumentalisée avec les organisations sociales. Ceci est complémentaire et fonctionnel à l’orientation gouvernementaliste de Pablo Iglesias, caractérisée par le gouvernement à tout prix. Et cela pour s’insérer dans la structure de gestion progressiste de l’appareil d'état, en limitant l’agenda de travail à des critères possibilistes et en renonçant à l’objectif de transformation du système politique, économique et social, assumant constamment la logique du moindre mal, comme nous pouvons le voir en ce moment dans la gestion de la crise sociale du coronavirus.

En résumé, la radiographie actuelle de Podemos est celle d’un parti hiérarchique dont les organes directeurs n’ont pas de vie, identifiés au groupe parlementaire et aux membres du gouvernement, un parti qui a presque complètement perdu sa base militante, celle qui se rassembla lors de sa naissance, et qui a réduit son action politique à une présence institutionnelle manquant d’idées et de propositions transformatrices et dont le principal objet de réflexion est de se situer dans la structure de l'état et dans le sillage de ses propres transformations. Un parti qui, dans le classement fait par Antonio Gramsci dans ses notes brèves sur la politique de Nicolas Machiavel, se consacre à la petite politique et aux questions partielles et quotidiennes qui se posent au sein d’une structure déjà établie par les luttes de prééminence entre les différentes factions d’une même classe politique. Un parti qui a abandonné la grande politique, celle qui traite réellement des questions de l'état et des transformations sociales et qui a commis l’erreur, contre laquelle Antonio Gramsci avait déjà prévenu, qui fait que chaque élément de la petite politique devient une question de grande politique.

Ce ne sont pas de bonnes nouvelles. La situation politique actuelle ne favorise pas les positions de gauche, elle présente de grandes difficultés et de défis en l’absence de la médiation d’un parti de masse. Mais cette constatation ne peut ignorer les aspects positifs indiqués plus haut, qui est qu’Anticapitalistas a réalisé une telle expérience, qui permet à l’organisation marxiste révolutionnaire de pouvoir continuer à jouer, comme le suggère Brais Fernández, un rôle actif dans la crise du régime de 1978. Pour ce faire, il devra promouvoir de nouvelles alliances politiques et sociales contre les politiques d’austérité, continuer à œuvrer pour la création de nouveaux groupements contre le néo libéralisme à influence de masse, comme c’est le cas d’Adelante Andalucía, promouvoir l’organisation de luttes syndicales, sociales, environnementales, féministes et de jeunesse et en défense du service public, et être un référent idéologique et culturel dans les débats existants pour définir un nouveau projet éco féministe et social.

 

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