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6 mars 2021 6 06 /03 /mars /2021 15:45

 

 

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/06/le-president-doit-se-ressaisir-et-prendre-soin-du-peuple-a-dakar-l-arrestation-de-l-opposant-ousmane-sonko-declenche-des-emeutes_6072163_3212.html

 

Au Sénégal, l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko déclenche des émeutes

Le placement en garde à vue du député, accusé de viols et de menaces de morts, a provoqué un mouvement de colère qui a déjà fait quatre morts dans le pays.

« Nous avons peur, l’heure est grave », admet d’une voix inquiète El Hadj, habitant du Plateau, quartier d’affaires en plein cœur de Dakar. Vendredi 5 Mars 2021, l’homme, âgé, prend bien garde de ne pas s’avancer trop dans la rue. Il se penche prudemment pour regarder les manifestants courir dans les ruelles, fuyant les grenades de gaz lacrymogène lancées par les forces de police. « Manifester, oui. Mais je suis contre les saccages », continue-t-il.

Pneus brûlés, magasins pillés, dont plusieurs enseignes françaises, médias attaqués et autoroutes bloquées, depuis l’arrestation d’Ousmane Sonko, principal opposant politique au président Macky Sall, Mercredi 3 Mars 2021, manifestations et émeutes se sont multipliées à Dakar et dans plusieurs villes du pays. Au total, quatre personnes sont mortes, a indiqué le ministère de l’intérieur, Vendredi 5 Mars 2021, disant que les saccages, les pillages et les dégradations de bâtiments publics et de biens privés, étaient des actes de nature terroriste. Des arrestations et des blessés sont aussi à déplorer, sans qu’un bilan officiel n’ait été communiqué.

Au Plateau, normalement très animé, les boutiques ont toutes baissé leur rideau. Les rues se sont vidées, tandis que des détonations retentissent dans la capitale et que des colonnes de fumée noire s’élèvent au-dessus des immeubles. « Cela fait mal au cœur, je ne reconnais pas ma ville », lâche Sam Diop, un instituteur de quarante cinq ans. Il dit qu'il n'est pas un partisan d’Ousmane Sonko mais qu'il faut le libérer, même de façon provisoire, car cela va mal tourner. « Il y a de la frustration et même de la haine. Les sénégalais en ont ras-le-bol de cette situation », prévient le dakarois, expliquant ne pas avoir vu de manifestations d’une telle ampleur depuis 2011. En 2011, l’ancien président Abdoulaye Wade avait tenté de changer la constitution pour pouvoir se présenter à un troisième mandat. La pression de la rue l’en avait empêché.

Les troubles qui secouent depuis trois jours la capitale sénégalaise sont en effet les plus graves depuis des années dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, considéré comme un îlot de stabilité. C’est là le résultat d’une affaire qui agite le Sénégal depuis un mois et qui a fini par cristalliser les frustrations politiques, économiques et sociales de la population.

A l’origine, Ousmane Sonko, le leader du parti des patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), est visé depuis le début du mois de février 2021 par une plainte pour viols et menaces de mort contre une jeune employée d’un salon de beauté. Arrivé troisième à l’élection présidentielle de 2019, l’homme est particulièrement populaire parmi la jeunesse urbaine et la diaspora en Europe. Lorsqu’il est convoqué par un juge d’instruction, Mercredi 3 Mars 2021, ses partisans voient rouge et commencent à se mobiliser. Alors qu’il est en chemin pour le tribunal, la mobilisation grandit. Il est arrêté pour trouble à l’ordre public et participation à une manifestation non autorisée.

Depuis le début, Ousmane Sonko dénonce un complot destiné à l’écarter de la course aux élections présidentielles de 2024, dans un contexte où deux opposants importants, Karim Wade et Khalifa Sall, ont déjà été écartés du jeu politique en raison d’ennuis judiciaires. Abdoulaye Tall, l’un des avocats d'Ousmane Sonko, dénonce une tentative de liquidation politique. Du côté du pouvoir, on se défend de toute manipulation. Il s’agit d’un « contentieux judiciaire qui implique deux citoyens sénégalais, une jeune femme de vingt ans et un député dirigeant un parti politique », a fait savoir le ministre de l’intérieur, Antoine Félix Diome.

Vendredi 5 Mars 2021, une coalition de partis politiques d’opposition et de mouvements de la société civile avait prévu de marcher jusque devant l'assemblée nationale pour défendre la démocratie. Ils ont été repoussés et dispersés par les forces de police. « Nous voulons notre liberté et nous n’avons pas peur. Ousmane Sonko est l’espoir de la jeunesse », crie à pleins poumons Tony Boissy, un jeune manifestant, « nous en avons marre, le président Macky Sall doit se ressaisir et prendre soin du peuple ».

« L’arrestation d’Ousmane Sonko a déclenché l’expression d’un mécontentement plus large dans un contexte économique difficile où beaucoup de jeunes du secteur informel ne peuvent plus travailler à cause de la pandémie de coronavirus. C’est aussi révélateur de la défiance envers l’institution judiciaire et envers le président Macky Sall, qui ne s’est toujours pas prononcé sur son éventuelle candidature à un troisième mandat », analyse Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International au Sénégal. Dans un communiqué, l’Organisation Non Gouvernementale (ONG) de défense des droits humains a appelé les autorités « à cesser immédiatement les arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes et à respecter la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression ».

Vendredi 5 Mars 2021, le chef du bureau de l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, Mohamed Ibn Chambas, a de son côté lancé un appel au calme et à la retenue, exhortant les autorités à prendre les mesures nécessaires pour apaiser la situation et pour assurer le droit constitutionnel de manifester pacifiquement.

Lors d’une déclaration télévisée, le ministre de l’intérieur a promis de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour ramener l’ordre et il a accusé Ousmane Sonko d’avoir lancé des appels à la violence et à l’insurrection. Toutes les personnes qui commettent des actes criminels seront traduites en justice, a-t-il poursuivi, évoquant également un possible allègement du couvre-feu sanitaire, qui pèse tant sur les sénégalais. Ousmane Sonko a été maintenu en garde à vue et il sera de nouveau entendu par le juge d’instruction, Lundi 8 Mars 2021.

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