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12 avril 2021 1 12 /04 /avril /2021 15:31

 

 

https://www.elwatan.com/pages-hebdo/france-actu/la-grande-mosquee-de-paris-au-coeur-de-la-resistance-au-nazisme-quand-nationalistes-laics-et-hommes-de-religion-saccordent-a-proteger-des-juifs-06-04-2021

 

La Grande Mosquée de Paris (GMP), au cœur de la résistance au nazisme

Quand nationalistes laïcs et hommes de religion s’accordent à protéger des juifs

Mardi 6 Avril 2021

Dans ces colonnes, nous revenons sur le rôle joué par les Francs Tireurs et Partisans (FTP) algériens dénommés groupes kabyles dans le sauvetage de juifs sépharades, particulièrement des enfants traqués par l’occupant nazi, en lien avec la GMP et son recteur Si Kaddour Ben Ghabrit.

Dans « une résistance oubliée, la Grande Mosquée de Paris », un film réalisé pour l’émission des Racines de la troisième chaîne de la télévision française en 1991, l’écrivain et réalisateur Derri Berkani restitue l’épisode associant la GMP au sauvetage de juifs, notamment des enfants, auquel le Watan a consacré plusieurs articles dans ses éditions du 2 février 2005, du 11 avril 2005 et du 16 mai 2005.

« A l’origine, je voulais faire un film sur la résistance des FTP algériens, qu’on appelait groupes kabyles, la commande venait de l’Office de la Radio Télévision Française (ORTF), en 1974, mais le film ne s’est pas fait ». L’opportunité en est donnée à Derri Berkani en 1991 par la troisième chaîne de la télévision française.

Les FTP algériens étaient désignés sous le vocable de groupes kabyles par facilité de langage en usage chez les FTP qui utilisaient les groupes de langues, pour permettre une sécurité de transmission des consignes. L’immigration algérienne de Paris, à l’époque, était le fait d’hommes jeunes, seuls et d’origine rurale, essentiellement de Kabylie. Ils étaient aux deux tiers analphabètes et ils vivaient dans la misère mais, par le travail, ils avaient intégré un autre univers, celui du monde ouvrier et du prolétariat. Ils avaient acquis une conscience prolétarienne dans les usines où ils travaillaient. Ils étaient tous syndiqués et ils participaient à toutes les luttes ouvrières et à toutes les grèves.

Dans une interview accordée au Nouvel Observateur en 2011, l’historien Benjamin Stora rappelle que, en 1939, près de cent mille algériens vivent en France dans des conditions misérables. La lutte syndicale et politique devient leur principal moyen d’expression. Certains s’engagent notamment au sein de l’Etoile Nord Africaine (ENA), qui milite pour l’indépendance de l’Algérie, tandis que d’autres rejoignent la résistance à l’occupation allemande. Une fois la guerre venue, ces travailleurs immigrés algériens se sont engagés dans les FTP, nous précisait Derri Berkani, lui-même fils de FTP.

Mohamed Lakhdar, qui avait rejoint les jeunesses communistes à vingt ans, était l’un d’entre eux. Il s’était engagé dans l’action clandestine en 1940 et il était un des fondateurs, en 1942, des FTP. Il était originaire de Tiaret. Il a été fusillé dans la nuit du 31 janvier 1943. Derri Berkani relevait pour le Watan que la démarche de la GMP et de son recteur Si Kaddour Ben Ghabrit obéissait à des principes religieux, mais les FTP algériens, qui ont amené des juifs pour les mettre à l’abri, étaient des laïcs et des ouvriers. Leurs motivations n’étaient pas religieuses, elles ont concordé avec celles des dirigeants de la GMP.

Les FTP agissaient par conscience prolétarienne, « c’était une action de nationalistes algériens ». Derri Berkani rappelait que Messali Hadj, dans al Hayet, avait appelé à la résistance au nazisme. Ferhat Abbas et Ali Boumendjel s’étaient prononcés contre l’abrogation des décrets d’Adolphe Crémieux, les décrets de naturalisation des juifs algériens, « on ne comprend pas cet engagement des ouvriers algériens, si on ne situe pas le contexte. Ils étaient seuls. La solidarité entre eux était une nécessité vitale. A cette époque, la tuberculose faisait des ravages. Tout ce qu’ils gagnaient, ils l’envoyaient à la famille. Malgré cela, ils ont participé activement à l’action de la libération de la France ».

Conçu d’abord pour les prisonniers de guerre nord-africains évadés des camps allemands, le réseau des FTP s’ouvre aux résistants de différents groupes, aux agents alliés et, lorsque les lois antisémites sont promulguées, presque exclusivement aux enfants juifs.

Ce mouvement s’amplifie au lendemain de l’opération Vent Printanier de la rafle du Vélodrome d’Hiver du 16 juillet et du 17 juillet 1942. Une note adressée à la police parisienne chargée des arrestations, « n’oubliez pas les enfants ». Dès lors, la GMP devient un lieu de passage et de transit pour tenter de mettre à l’abri le plus d’enfants possible.

Les juifs étaient amenés à la GMP avec l’accord et le soutien de son recteur, Si Kaddour Ben Ghabrit, le temps d’organiser leur passage vers la zone libre ou le Maghreb. Aussi, la GMP n’était pas un lieu de séjour, c’était un lieu de passage.

Les juifs algériens qui parlaient arabe étaient plus faciles à dissimuler. Si Kaddour Ben Ghabrit, recteur de la GMP met en place un système efficace d’alerte qui permettait de soustraire rapidement les enfants à la menace d’une descente de police. Personne ne fut arrêté dans l’enceinte de la GMP. Le lien se faisait par le docteur Albert Assouline.

Le docteur Albert Assouline avait comptabilisé mille six cent cartes alimentaires, une par personne, qu’il avait fournies à la GMP pour les juifs qui y avaient trouvé refuge. Au total, les souches des tickets alimentaires donnés à la GMP ont fait apparaître mille sept cent trente deux passages, essentiellement des parachutistes anglais et des enfants juifs. « En 1974, j’ai retrouvé à la GMP un livre où il y avait un nombre incalculable d’enfants, c’étaient des enfants juifs qu’on faisait passer pour des enfants algériens », nous disait Derri Berkani, sachant que l’immigration algérienne était alors dans une très forte proportion le fait d’hommes seuls.

Dans un tract en kabyle, ni daté ni signé, intitulé « comme tous nos enfants », ces FTP écrivent que « les juifs de Paris ont été arrêtés, les vieillards, les femmes et les enfants, en exil comme nous, ouvriers comme nous, ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants. Si quelqu’un d’entre vous rencontre un de ces enfants, il doit lui donner asile et protection, le temps que le malheur passe ». Derri Berkani a retrouvé ce tract chez un comptable à Draâ al Mizan.

Ce dernier l’avait récupéré parmi des papiers administratifs du propriétaire d’un bistrot, rue du Château des Rentiers, dans le treizième arrondissement de Paris, dont il s’était occupé des comptes. L’action des FTP n’était pas sans risques, des collaborateurs faisaient disparaître ceux qui tombaient entre leurs mains, « quand un résistant était pris, on lui brûlait les mains et le visage avec de l’acide pour qu’il ne soit pas reconnu, avant de l’enterrer au cimetière franco-musulman de Bobigny ».

Aux islamophobes et à ceux qui voient dans l’islam une religion d’intolérance et de violence et qui voient dans chaque musulman un potentiel intégriste, voire terroriste, de méditer ces exemples de musulmans qui, au péril de leurs vies et en en payant le prix, ont montré que l’islam a en partage des valeurs d’humanisme, d’entraide et de solidarité envers d’autres humains, quelle que soit leur religion ou leur origine ethnique. Que la société française au sein de laquelle se développent racisme et rejet de l’immigré reconnaisse que des immigrés et des ouvriers, de condition humble, comme les FTP algériens ont tendu la main à des familles et à des enfants persécutés par fraternité humaine. Que les musulmans eux-mêmes s’emparent de cette part de leur histoire et de leur mémoire et qu’ils s’en imprègnent.

« D’autres musulmans, comme Bel Hadj al Maafi, imam de Lyon, et Cherif Mecheri, sous-préfet et bras droit de Jean Moulin, né à Constantine, et d’autres encore, ont eux aussi participé à la protection de juifs pendant la guerre », explique le chercheur Kamel Mouellef, co-auteur de la bande dessinée des Résistants Oubliés, aux éditions Glénat. L’imam de Lyon, Bel Hadj al Maâfi, a fourni de faux certificats musulmans à des enfants juifs de Saint Fons et de Vénissieux pendant la seconde guerre mondiale, ce qui a été confirmé par le grand rabbin de Lyon, leur permettant ainsi d’échapper à une mort certaine.

Cherif Mecheri, né le 27 décembre 1902 à Constantine, a été sous-préfet à Châteaudun et bras droit de Jean Moulin, préfet d’Eure-et-Loir. Il désobéit au gouvernement collaborationniste de Vichy en refusant d’établir une liste de juifs résidant dans son département.

Du côté des institutions juives, cet épisode historique semble déranger. Dans un article paru sur le site du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF) en 2013, Jean Corcos, président délégué de la commission du CRIF pour les relations avec les musulmans, écrit que « ce sont des légendes, hélas trop belles pour être vraies, voire même carrément délirantes ». Une note interne du ministère des affaires étrangères du gouvernement de Vichy datant du 24 septembre 1940 et authentifiée par la direction des archives du ministère signale que la GMP est soupçonnée par les autorités d’occupation de délivrer frauduleusement à des personnes de race juive des certificats attestant que les intéressés sont de confession musulmane. Cela ne semble pas une preuve convaincante aux yeux du responsable du CRIF, lequel remet notamment en question le nombre de mille six cent juifs secourus et sauvés par la GMP, avancé par Albert Assouline dans le documentaire de Derri Berkani, ou encore l’histoire du chanteur juif algérien Salim Halali. La biographie du chanteur, Simon de son vrai prénom, rapporte qu’il est sauvé des camps de concentration en 1940 grâce à l’intervention de Si Kaddour Ben Ghabrit, qui lui délivre une attestation de conversion à l’islam au nom de son père et qui, pour corroborer cela, fait graver le nom de son père sur une tombe abandonnée du cimetière musulman de Bobigny. Jean Corcos estimait toutefois que « sans doute, et à l’intérieur même de la GMP, des anonymes ont aidé à faire passer pour musulmans des juifs de leurs relations, dans la limite de leurs moyens et sans que le recteur n’ait cherché à l’empêcher ».

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