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actualité politique nationale et internationale

MARIOUPOL SIX ANS APRES ALEP

 

 

https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/de-la-syrie-a-l-ukraine-les-similitudes-des-guerres-menees-par-la-russie_5044219.html

 

De la Syrie à l'Ukraine, les similitudes des guerres menées par la Russie

Mercredi 30 Mars 2022

Le siège de la ville de Marioupol rappelle celui d'Alep. Dans les deux pays, l'armée russe déploie une stratégie parfois comparable.

Depuis une colline près d'Idlib, un camp de réfugiés au Liban ou une manifestation à Paris, de nombreux syriens ont fait part de leur émotion et ils ont apporté leur soutien aux ukrainiens, alors que l'armée russe poursuit depuis plus d'un mois son offensive en Ukraine. Dans les images de villes bombardées et de civils touchés, ils disent voir un écho de ce qu'ils ont subi quand Vladimir Poutine est intervenu en Syrie pour aider Bachar al-Assad à vaincre les rebelles, à partir de 2015. France Info a interrogé des experts sur ces similitudes, qui permettent de mieux comprendre les méthodes russes employées en Ukraine.

Pour Dimitri Minic, chercheur à l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI), la façon dont la Russie asphyxie Marioupol, en particulier, est l'illustration "d'une brutalité classique dans l'histoire militaire russe, que l'on avait vue à Alep comme à Grozny, la capitale de la Tchétchénie, assiégée et bombardée à deux reprises dans les années 1990. Comme lui, tous les experts interrogés par France Info réservent les comparaisons avec la Syrie à ce port du sud-est de l'Ukraine, stratégique car situé dans un couloir permettant de relier la Crimée aux républiques séparatistes prorusses du Donbass.

« Marioupol, c'est Homs ou Alep en une semaine plutôt qu'en trois mois », a dit Emile Hokayem, analyste à l'International Institute for Strategic Studies (IISS) à France Info.

Depuis le début du mois de mars 2022, les bombardements incessants y ont fait au moins cinq mille morts, sans faire de distinction entre les civils et les militaires, selon une conseillère de la présidence ukrainienne. Sur l'ensemble du conflit syrien, selon l'Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH), près de huit mille sept cent civils ont été tués par les bombardements russes et deux mille cinq cent civils ont été tués par des frappes attribuables à la Russie ou au régime de Bachar al-Assad.

Comme en Syrie, l'armée russe a recours à des bombardements et à des tirs d'artillerie plutôt qu'à des opérations au sol. Elle est aussi suspectée d'utiliser des bombes à sous-munitions, interdite par le droit international, ou des armes incendiaires au phosphore blanc, prohibées contre des civils, mais pas contre des cibles militaires.

Pour Isabelle Facon, directrice adjointe de la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), le siège de Marioupol, comme celui d'Alep, relève d'un même mode opératoire, « on encercle une ville et on la bombarde jusqu'à sa capitulation, en privant ses habitants d'eau, de nourriture et d'espoir de survivre, afin d'éroder les soutiens aux forces armées et de provoquer le départ des populations civiles ». En Syrie, onze ans de guerre civile, dont plus de six ans d'intervention russe, ont forcé six millions six cent mille syriens à fuir le pays et ont fait autant de déplacés internes. En Ukraine, Marioupol a perdu environ les deux tiers de sa population, selon son maire, Vadim Boïtchenko.

Tuer des civils n'est pas le but en soi des troupes de Vladimir Poutine, estime cependant Dimitri Minic, spécialiste de la pensée stratégique russe, mais une conséquence jugée secondaire par rapport à l'objectif visé, « s’ils ont pour cible une infrastructure militaire et qu'un immeuble résidentiel se trouve dans l'axe de la frappe, ils sont susceptibles de juger la cible trop importante et d'ignorer la présence du bâtiment civil, d’autant que l'armée russe utilise peu d'armes de précision et qu'elle doit se reposer davantage sur son artillerie et moins sur son aviation qu'en Syrie, car la météo et le terrain sont moins favorables et que les défenses antiaériennes ukrainiennes sont plus coriaces que prévu ».

« Je ne pense pas que l'intention soit de tuer des centaines de milliers de civils, mais il s'agit de terroriser les populations », dit Emile Hokayem, analyste à l’IISS, à France Info, « l’armée de Vladimir Poutine est prête à infliger de grandes souffrances aux civils si cela sert ses objectifs. En Syrie, la priorité du régime de Bachar al-Assad et de son allié russe était de dépeupler les zones tenues par les rebelles et ils étaient prêts à y parvenir en massacrant les habitants ou en les forçant à partir. Cette stratégie passait notamment par la destruction des structures médicales. Près de six cent d’entre elles ont été ciblées entre 2011 et 2021, en grande partie par l'aviation russe ».

En Ukraine, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a recensé soixante-quatre attaques contre des structures médicales en un mois d'invasion, selon son dernier rapport. « Nous n'avons jamais vu ailleurs dans le monde autant d'attaques contre le système de santé », dénonçait son chef des urgences, Michael Ryan, Mercredi 16 Mars 2022. A Marioupol, l'armée russe a notamment frappé une maternité, Mercredi 9 Mars 2022, et un théâtre qui servait d'abri, Mercredi 16 Mars 2022. Le siège et les frappes contre des infrastructures ont placé les habitants restants dans une situation critique. Les rares témoignages évoquent des rues jonchées de corps, des fosses communes et des survivants privés d'électricité, de nourriture et d'eau, contraints de faire fondre la neige pour boire et pour se laver.

« La catastrophe humanitaire n'est pas qu'une conséquence de la stratégie russe, c'est un de ses éléments », dit Emile Hokayem à France Info.

D'autres organisations nuancent cependant la comparaison. « Des bâtiments comme des écoles et des hôpitaux sont bien touchés, mais nous ne pouvons pas établir pour le moment que c'est délibéré, à la différence de ce que nous avons documenté en Syrie », expliquait Joanne Mariner, une responsable d’Amnesty International, dans la Croix, Mardi 22 Mars 2022.

L'Ukraine et la communauté internationale ont rapidement réclamé l'ouverture de couloirs humanitaires, rappelant un autre enseignement de la guerre en Syrie. En Syrie, les civils empruntant ces corridors ont parfois été la cible de tirs. Certaines des routes ouvertes l'ont été en direction de territoires contrôlés par le régime et son allié russe, démoralisant les populations. « C'était un chantage constant pour placer les civils dans des situations impossibles, où leur salut ne dépendait plus que des décisions des russes », explique Emile Hokayem.

Ce scénario se reproduit en Ukraine. L'Ukraine a dénoncé à de nombreuses reprises la présence de mines sur les routes d'évacuation ou le non-respect du cessez-le-feu, en particulier à Marioupol. Lundi 7 Mars 2022, Moscou a même proposé l'ouverture de corridors vers la Russie ou la Biélorussie, suscitant l'indignation de l'Ukraine et de la France. « Des dizaines de milliers d’ukrainiens ont réussi à fuir Marioupol, par leurs propres moyens, à pied ou en voiture, dans des conditions extrêmement dangereuses pour leur vie », dit Lucile Marbeau, une porte-parole du Comité International de la Croix Rouge (CICR), interrogée par Libération, « pour le moment, à Marioupol, la sécurité des couloirs n'a jamais été garantie ».

« Nous sommes malheureusement toujours dans la même logique russe », a regretté Jean-Yves Le Drian, ministre français des affaires étrangères, dans le Parisien du Mercredi 16 Mars 2022, le chef de la diplomatie française dénonçant des bombardements indiscriminés des soi-disant corridors humanitaires conçus pour accuser ensuite l'adversaire de ne pas les respecter et des pourparlers sans autre objectif que de faire semblant de négocier. En Syrie comme en Ukraine, Moscou a affiché une ouverture à des négociations qui, selon Emile Hokayem, ont surtout pour but de paralyser ses adversaires, dissuadés de durcir les sanctions ou l'aide militaire pour ne pas laisser passer cette opportunité.

« A chaque fois que des russes et des ukrainiens discutent, nous nous disons qu’il y a peut-être une perspective d'accord et qu’il faut faire attention à ne pas mener une escalade », dit Emile Hokayem à France Info.

Cette stratégie permet aussi à l'armée russe de gagner du temps et de reconstituer ses forces. Moscou rencontre en effet en Ukraine des difficultés inattendues, qui illustrent certaines différences avec la Syrie. « Dans un premier temps, je pense qu'ils voulaient mener une guerre rapide, en frappant des infrastructures militaires stratégiques pour saper la volonté du gouvernement ukrainien », dit Isabelle Facon, qui constate le rapide échec de cette stratégie. Un siège d'un mois à Marioupol n'était pas forcément le plan initial.

L'attitude de la communauté internationale change aussi la donne. En Ukraine, l'armée russe s'attaque à un état souverain, dirigé par un président élu démocratiquement, voisin de l'Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et de l'Union Européenne. Ces organisations ont immédiatement réagi et elles ont partagé des armes et des renseignements militaires avec les ukrainiens. « En Syrie, la présence de groupes terroristes qui combattaient Bachar al-Assad a permis à la Russie d'intervenir avec une forme d'assentiment des puissances occidentales, moins regardantes sur ses méthodes », dit Dimitri Minic.

« La fameuse ligne rouge de Barack Obama sur l'utilisation de l'arme chimique a été franchie sans conséquence par le régime de Bachar al-Assad », dit Isabelle Facon.

« La Russie a-appris en Syrie que l'on peut utiliser des armes chimiques en toute impunité », dit Emile Hokayem à France Info.

Paradoxalement, ce précédent syrien peut aider à comprendre l'erreur de calcul de Vladimir Poutine en Ukraine. « Il est possible qu'il ait été galvanisé par ce qui a été perçu comme un succès opérationnel en Syrie et par l'image de puissance militaire que cette intervention a renvoyée et qu'il se soit aveuglé sur ses chances de réussite en Ukraine », dit Isabelle Falcon.

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