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Affaire Karachi: publiez les débats du Conseil Constitutionnel !
Il y a quinze ans, le Conseil Constitutionnel valide les comptes de campagnes de Balladur et Chirac. Chose qu'il n'aurait pas dû faire. Roland Dumas, président du Conseil à l'époque brandit
l'étendard de la démocratie afin d'empêcher le camouflet aux deux candidats. Il se dit aujourd'hui favorable à la publication des débats mais les sages actuels font barrage.
Pour Philippe Bilger, la levée du secret par l'Etat est indispensable.
La démocratie française a été bafouée. Honte et indignation. Mais rétrospectives. Pas de quoi fouetter un chat ! C'est si ancien, cela date du mois d'octobre 1995. De l'eau a coulé sous les ponts
et des abus dans l'Etat. On a bien autre chose à faire, à penser. On veut du frais, du neuf, de l'inédit, même dans le pire. On a tort. Il faut se replonger dans une majestueuse ignominie, dans
une solennelle magouille. Remercier Le Monde et deux journalistes de qualité, Raphaëlle Bacqué et Pascale Robert-Diard qui excelle dans la chronique judiciaire parce qu'elle n'a ni idoles ni «
repoussoirs ». Lire, toutes affaires cessantes, « Petits comptes entre « sages » » et s'interroger.
En 1995, en France, on était où, dans quoi ? Peut-il y avoir de la République quand le secret autorise tous les arrangements, valide contre le droit et vient en quelque sorte s'expliquer quinze
ans plus tard avec une sorte de cynisme souriant et aimable ? Mais je suis injuste avec Roland Dumas parce que, sans lui, nos journalistes n'auraient rien su et nous serions tous demeurés dans
une quiète ignorance. On aurait eu le loisir de supputer mais aujourd'hui impossible de faire comme si nous n'étions pas partie prenante de ce qu'une haute instance a manigancé en 1995 pour ne
pas ajouter, paraît-il, du désordre à l'illégalité.
Si on avait appliqué comme il convenait les règles, les comptes de campagne d'Edouard Balladur n'auraient pas dû être validés mais ceux de Jacques Chirac non plus, encore plus douteux
apparemment. C'est Roland Dumas qui a fait valoir qu'un double choc de cette importance ne pouvait pas décemment être causé. A la rigueur Balladur mais s'il devait entraîner Chirac dans sa chute
et ses mécomptes, c'était inconcevable !
On a donc refait les comptes et, miracle, ils tombaient - comme l'expression est mal choisie - « juste ». Le tour de passe-passe accompli, on a voté une validation qui est passée de « justesse ».
En effet, quatre voix y étaient hostiles, quatre favorables et c'est le président Dumas qui a fait pencher la balance en faveur de la régularisation. Guère étonnant quand on connaît le parcours,
l'intelligence tactique et la tolérance de cette personnalité moins indignée par les défaillances morales et politiques que par l'indignation elle-même. Au Conseil Constitutionnel siégeait
également Etienne Dailly qui n'en était plus à un compromis près.
Se défier des apparences, pourtant. Maurice Faure qu'on n'aurait pas imaginé si ferme a été l'un des rares à protester contre la démarche de Roland Dumas qui estimait inconcevable « de remettre
en cause la démocratie » et suggérait la solution accommodante qui épargnerait aussi bien Edouard Balladur que Jacques Chirac.
Honneur final aux quatre courageux qui ont refusé cette « entourloupe ». Honneur, surtout, aux trois rapporteurs dont les noms doivent être cités et qui jusqu'au bout ont manifesté leur hostilité
de principe à ces « petits comptes entre sages » et décliné les agapes finales : Martine Denis-Linton, Rémi Frentz et Laurent Touvet.
Affaire Karachi: publiez les débats du Conseil Constitutionnel !
Ce qui s'est passé n'est pas rien. On a décidé de violer la mission qu'on avait à remplir, on a fait fi de la rectitude et de la vérité. Qu'on ne vienne pas soutenir que les justiciers sont
fatigants alors qu'en l'occurrence c'est l'Etat de Droit qui s'émeut. Les justiciers voient le mal partout pour justifier une omniprésence qui les flatte. L'Etat de Droit, lui, ne voit le mal que
là où il est. « Les sages » l'ont vu et ont mis un voile sur lui. Les opportunités pèsent plus que les obligations.
Il est facile, devant cet exemple éminemment choquant, de mieux appréhender les mécanismes mis en oeuvre par les comités, instances, conseils, autorités, hautes ou petites quand, en violation de
leur mandat, ils avalisent l'inacceptable, légitiment la transgression et, en définitive, prétendent justifier les errements dont ils sont conscients par des nécessités qui n'en sont que pour
eux.
Une honte française. Le seul qui a osé le dire jusqu'à maintenant est Dominique Paillé (jdd.fr). Pour cela on lui pardonnera bien d'autres complaisances. Dans quelle autre démocratie, même avec
tant de retard, une délibération constitutionnelle aussi scandaleuse aurait été accueillie avec tant de réserve, avec une modération aussi étrange ? Notre aptitude à la colère morale s'est-elle
émoussée à ce point ? Sommes-nous devenus si accoutumés à l'éthique comme espérance ou nostalgie et à la réalité comme désillusion que plus rien n'est capable de bouger en nous ?
Je veux être équitable avec ce Conseil Constitutionnel de 1995. Il a tout de même invalidé, pour une broutille, les comptes de Jacques Cheminade qui avait recueilli 0,28% des voix. « Ne pouvant
bénéficier du remboursement partiel de l'Etat », ce candidat maltraité à la place des autres a été ruiné.
Les informations des juges Trévidic et Van Ruymbeke sur Karachi, avec un registre juridique différent, ont remis en pleine lumière les comptes d'Edouard Balladur, des flux financiers troublants
et la folie d'un terrorisme ayant massacré 11 Français en 2002. Dans ces conditions, comment ne pas approuver Roland Dumas qui est favorable à la publication du procès-verbal des débats ? Devant
la révélation de ce que « les sages » ont cautionné à leur issue, qui oserait s'y opposer (Marianne 2) ? Il suffit que le Pouvoir autorise la levée du secret. Il n'est que temps.
Le contraire conduirait à un désespoir républicain.
Lundi 29 Novembre 2010
Philippe Bilger