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Par FISCHER
http://www.liberation.fr/societe/01012304422-a-la-cite-de-l-immigration-les-sans-papiers-ne-lachent-pas-le-morceau
25/11/2010 à 15h38
A la Cité de l’immigration, les sans-papiers «ne lâchent pas le morceau»
Témoignages
Fabien Soyez
Ils sont cinq cents. Cinq cents travailleurs sans-papiers en grève depuis un an. Et cela fait déjà quarante-huit jours qu’ils occupent le hall du Cité nationale de l’immigration, dans le XIIe
arrondissement à Paris, réclamant leur régularisation. Le lieu, qui a accueilli une exposition coloniale en 1931, est symbolique. «Ils viennent tous des anciennes colonies, à part quelques
Chinois qui sont arrivés récemment. C’est devenu une sorte de village», lance Koko Keita, l'un des délégués des sans-papiers.
Avec 60 autres délégués, il surveille les allées et venues, pour éviter que des intrus viennent «faire des bêtises». Soupirs. «Ça fait déjà treize mois de lutte. Ça traîne. L’Etat ne fait pas
grand-chose, alors qu’on est censés être dans un pays d’asile.» Parti du Mali en 1999, Koko paie des cotisations sociales et des impôts, «comme tout le monde», mais se sent «laissé sur le
bas-côté». «Il y en a ici qui vivent en France depuis vingt ou vingt-cinq ans! Ils ne peuvent pas rentrer d’où ils viennent, ils n’ont rien là-bas. Leur pays, maintenant, c’est la France.»
Avant de rejoindre le mouvement des grévistes sans-papiers, Koko travaillait pour une entreprise de ventilation. «Ça faisait onze ans que je bossais là-bas, au noir. Et un jour, mon patron a
demandé à tout le monde de montrer leurs papiers. Quand il a vu que j’avais des faux papiers, il m’a viré.»
A droite, Toufiq, bénévole, aide Koita à constituer son dossier.
Assis à une table, Koita Madigoundo sort minutieusement des photocopies d’un épais classeur vert. En face de lui, Toufiq, 66 ans, l’aide à constituer son dossier, en vue d’une demande de
régularisation. «On leur demande un passeport valide, la preuve qu’ils ont travaillé pendant un an avant leur cessation d’activité, et leur moyen d’entrée en France, explique le bénévole. S’ils
sont entrés clandestinement, ils doivent signer une déclaration sur l’honneur qui précise la date d’entrée sur le territoire…»
Par chance, nombreux sont les sans-papiers à avoir au moins un passeport. «Je ne préfère pas penser à ceux qui n’ont pas le moindre papier…» Koita, 28 ans, étale ses documents sur la table.
«Comme beaucoup d’autres, j’ai quitté le Mali pour gagner ma vie. Je suis ici pour travailler. Si je demande des papiers, c’est pour travailler», insiste-t-il.
«Soit on gagne, soit on meurt»
A la Cité de l’immigration, le calme est impressionnant. Pourtant, l’impatience et la colère planent. Depuis le 7 octobre, date de l’occupation du musée (lire ici), quelque deux cent dossiers ont
été déposés, sur les deux mille envoyés depuis le mois de juillet. «Les préfectures sont submergées par nos dossiers, explique Antoine Roméo, secrétaire fédéral CGT. Elles ont un peu du mal à
suivre le rythme.» Sur six mille huit cent quatre grévistes, «il n’y a eu que cinq cent régularisations, depuis juin. Les grévistes sont à bout, mais ils tiennent debout. De toute façon, soit on
gagne, soit on meurt. Ils n’ont plus le choix».
Dans le hall, Bala, 31 ans, raconte: «Je suis arrivé il y a douze ans, caché dans un bateau. Tout ça pour vivre dans l’ombre. Là où je travaillais, c’est l’humiliation totale. On profite de
quelqu’un qui n’a pas de moyens, on le fait travailler jusqu’à pas d’heure. On n’est même pas sûrs d’être payés à la fin. C’est de l’esclavage, c’est inacceptable!» Froncement de sourcils. Air
résolu. «Je ne partirai pas d’ici avant d’avoir mon récépissé.» Car chacun attend, fébrilement, de recevoir son récépissé avec autorisation de travail, qui lui permettra de travailler légalement
en France pendant l’examen de sa demande de carte de séjour.
«Pas de liberté pour nous»
Assis sur un matelas, Fofana Noumo, sénégalais, a enchaîné les petits boulots. A 39 ans, il a «fait des demandes depuis 1997, toutes refusées.» «On est ici depuis des lustres et rien n’a bougé.
On est fatigués. Mais on ne lâchera pas le morceau» A côté de lui, Ibrahima, 50 ans, le regard dur: «On vient des anciennes colonies, on devrait être régularisés depuis longtemps! Quand je suis
arrivé du Mali, j’avais entendu dire que la France était un pays de droit, mais il n’y a pas de droits, pas de liberté pour nous.»
En début d'après-midi, une centaine de sans-papiers se déploie, en file indienne. C’est l’heure de la distribution de repas chauds, par des bénévoles de l’association Chorba. Se détachant de la
file, Modibo, 23 ans, s’emporte: «On en a marre de voir des journalistes passer tous les jours, sans que ça change. Si ça ne bouge pas, ça va exploser!»
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