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31 décembre 2014 3 31 /12 /décembre /2014 18:42

http://www.frontsyndical-classe.org/2014/12/jean-pierre-page-repond-a-jean-louis-moynot.html

http://tendanceclaire.npa.free.fr/breve.php?id=11150

Thierry Lepaon, la CGT et une tribune de Jean Louis Moynot

Par Jean Pierre Page, ancien membre de la commission exécutive confédérale de la CGT

Mardi 30 Décembre 2014

J’ai lu avec intérêt la tribune de Jean-Louis Moynot dans le Monde du 19 décembre 2014. Il dresse un constat sévère de l'état de la CGT, et conclut par le nécessaire départ de Thierry Lepaon. Comme Jean-Louis Moynot je suis arrivé à la même conclusion mais pour d'autres raisons. En fait pour des raisons opposées aux siennes.

Jean Louis Moynot a été un dirigeant de la CGT, il a défendu ses idées il n'a pas été suivi et en a tiré les conséquences. Ce n'était certainement pas une décision facile à prendre d’autant que son attachement à la CGT ne s’était jamais démenti. Mais courageusement il l'a prise. C'était un débat de fond qui touchait à la stratégie et aux orientations de la CGT.

Cela n'avait rien à voir avec des pratiques contraires à ce que sont les valeurs de la CGT, ce qui est l'éthique et l'histoire du mouvement ouvrier de notre pays. A l’inverse, Thierry Lepaon lui, fait un choix contraire à celui de Jean Louis Moynot. Il s'accroche à son poste au risque de diviser durablement la CGT.

Déjà celle-ci doit faire face à une perte de crédibilité pourtant acquise par plus d’un siècle de dévouement, d’abnégation et de sacrifices de générations de militants. On ne peut par conséquent que se poser des questions sur les raisons qui inspirent cet aveuglement de Thierry Lepaon, comportement totalement irrationnel ou autre chose ?

Contrairement à Jean-Louis Moynot je ne fais pas le même bilan sur les causes de la crise que traverse la CGT, crise qu’on ne saurait dissocier de celle du syndicalisme en France, en Europe et dans le monde.

Pour ma part, je pense que ces vingt dernières années ont été caractérisées par un étouffement du libre débat sur ce que doit être notre vision du syndicalisme du vingt et unième siècle face à une crise systémique du capitalisme, un aiguisement des luttes de classes et des tensions internationales sur de nombreux sujets.

Plutôt que d’élever le niveau de sa riposte, la direction de la CGT a préféré faire le choix d’un volontarisme totalement coupé des réalités. La priorité est ainsi devenue la mise en œuvre d'une orientation qui doit tout à l'accompagnement des politiques sociales libérales en France et en Europe, un refus d'organiser les convergences des luttes, une vision du syndicalisme rassemblé à sens unique qui s'est faite à son détriment et donc du rapport des forces, un abandon de notre action en faveur du renouveau du syndicalisme européen et international comme l’avait pourtant décidé le quarante cinquième congrès de la CGT.

Le syndicalisme dont la CGT se prévaut donne ainsi l’impression d’être dans une impasse, incapable d’anticiper, et de se faire entendre de la masse des travailleurs. Elle s’est même progressivement coupée de ceux, en particulier les chômeurs et les précaires, qui sont devenus les laissés pour compte. Ne sommes-nous pas passés d’un « monde de pauvres sans travail à un monde de pauvres avec un travail » ? Que faisons-nous ?

Ainsi malgré la prise de pouvoir « des usurpateurs », comme Susan George nomme les multinationales, malgré l’Europe vassale qui a élevé l’euro au rang de nouvelle religion et malgré des institutions syndicales qui ne sont que des rouages de l’Union Européenne, la CGT a persévéré dans une voie sans issue. Ce n’est pas la Confédération Européenne des Syndicats (CES) ou la CFDT qui ont changé, mais bien la CGT.

C’est sur ce fond de scène que depuis des années le refus d’entendre et de débattre est devenu dans la CGT une seconde nature, le culte du dialogue social avec le patronat et les gouvernements de droite comme de « gauche » est devenu un passage obligé. Tout cela a été aggravé par la lutte des places, celle des clans et des courtisans. Cela a conduit à un recul sans précèdent de la démocratie interne.

Comme Jean-Louis Moynot, j’ai connu une époque où les débats internes étaient fermes et d’un contenu élevé, aujourd’hui on se complait dans des discussions d’édredons, tout en veillant à en exclure ceux qui ne partagent pas la vision des dirigeants et qui osent le dire.

L’institutionnalisation, la bureaucratisation et même la corruption ont conduit notre syndicat à prendre de plus en plus des distances avec les lieux de travail, les militants d’entreprises, les luttes et les solidarités pour lesquels nous sommes censés exister.

Quel serait l’intérêt d’une CGT ne vivant que pour elle-même ?

Il faudrait peut être qu’un jour la direction de la CGT se demande pourquoi l’abime s’est creusé à ce point entre son sommet et sa base. En fait nous assistons à une cacophonie ou l’on ne comprend qu’une chose la CGT n’est plus la même. On a même fait écrire sur le sujet un livre par une journaliste des Echos, livre qui par ailleurs fourmille d’idées reçues et d’inexactitudes.

Dorénavant la référence est devenue pour les dirigeants confédéraux le modèle du syndicalisme européen version CES. Louis Viannet m’a dit une fois que « nous ne resterons pas le dernier carré ». Où en sommes-nous aujourd’hui ?

A cause de ce conformisme ou plutôt de cette mise en conformité, la CGT a été conduite à remettre en cause son identité, son indépendance et ce qui faisait sa singularité dans le syndicalisme en France, en Europe et dans le monde. Aujourd’hui, elle cherche à se situer en démontrant qu’elle a changé, qu’au fond elle est une organisation comme les autres dans le monde bien policé du syndicalisme d’accompagnement. Pour le prouver, elle pratique depuis plusieurs années une forme de contrition d’autant plus surprenante qu’on ne le lui a pas demandé.

Nul ne saurait nier que le syndicalisme doit changer, bouger et tenir compte du monde dans lequel nous vivons. Mais dans le cas de la CGT cela ne s’est pas fait avec continuité dans le respect de ce qu’elle est, ou de ce qu’elle était, mais au prix d’une rupture avec ce qui était sa vision, ses principes et son identité.

En fait, le problème de la CGT est un problème existentiel, elle ne sait plus dans quel camp elle est. Pourtant, comme le disait Elsa Triolet, « les barricades n’ont que deux côtés ». Il lui faut donc choisir.

Ce choix est devenu un enjeu pas seulement syndical mais aussi politique. Chacun mesurant ce à quoi conduit un changement de et dans la CGT.

Jean Louis Moynot qui n’a pas fait preuve d’indifférence à ces bouleversements auxquels nous assistons nous propose de persévérer dans cette voie. Or où en sommes-nous ?

Soyons pour une fois lucides, le syndicalisme européen est une faillite. Il est paralysé, en panne d’idées, artificiel, inexistant et comme KO debout. Ce syndicalisme de l’échec c’est ce que nous connaissons en France, mais aussi en Espagne, en Grande Bretagne et en Allemagne ou même le système de « cogestion » a été abandonné alors qu’il n’était rien d’autre qu’une version de l’association entre le capital et le travail. Dans tous ces pays, comme dans le reste de l’Union Européenne, non seulement aucun résultat n’a été obtenu pendant ces vingt-cinq dernières années, mais en plus le chômage et la pauvreté ont explosé, toutes les garanties sociales sont remises en cause, le service public est liquidé et le syndicalisme s’est partout affaibli en influence comme en force organisée.

En Grèce, la politique de l’Union Européenne a précipité des centaines de milliers de personnes dans l’incapacité de recourir aux soins, les retraites ont été considérablement diminuées et la pauvreté revêt désormais un caractère de masse. La Grèce est-elle le laboratoire expérimental imposé demain à l’ensemble des populations des pays de l’Union Européenne et notamment la France ? Déjà dans sa directive relative aux marchés publics, l’Union Européenne a introduit la possibilité d’une mise en concurrence des régimes obligatoires de protection sociale.

C’est là le seul bilan du dialogue social européen à l’égard duquel la CES procède par incantations dans l’espoir vain de voir changer les choses. Elle demeure ce qu’elle est au fond, un rouage des institutions européennes.

Cela pourrait d’ailleurs s’appliquer également à la Confédération Syndicale Internationale, dont Jean Louis Moynot a été un des avocats auprès de la direction de la CGT.

Jean-Louis Moynot parle de « transformation du capitalisme ». Mais de quelle transformation s’agit-il ? Le MEDEF, comme le patronat européen, ne donnent-ils pas à eux seuls l’image de ce que peut être la rapacité du capital, son caractère foncièrement réactionnaire, totalement dépassée par les exigences de développement social et culturel de notre temps ? Le capitalisme n’est-il pas partout dans le monde synonyme de régression et de guerres, n’est-il pas devenu un système anachronique ? Au fond, « la transformation du capitalisme », c’est avant tout et plus que jamais toujours du capitalisme. Pourquoi dire et faire comme si ce n’était pas le cas ?

La question se pose donc en ces termes, sommes-nous, oui ou non, pour un aménagement du système en quelque sorte un capitalisme à visage humain ou pour reconnaître la contradiction fondamentale de l’opposition entre le capital et le travail et donc lutter pour une rupture et un autre choix de société ?

A cette question légitime nous préférons jusqu’à présent ne pas répondre et entretenir une ambiguïté.

Par conséquent, il ne faut pas chercher bien loin les raisons de cet immobilisme du syndicalisme et de la CGT qui provoque son déclin comme force sociale, et l’affadissement de son projet d’émancipation humaine.

Voilà pourquoi la CGT est confrontée non pas à des problèmes de dysfonctionnements mais bien à la place qui doit être la sienne et donc à la stratégie qu’elle se doit de suivre.

Malgré ces évidences, Thierry Lepaon et son équipe dont l’échec est patent nous parlent de changer mais dans une sorte de continuité, en quelque sorte comme le disait Giuseppe di Lampedusa, « il faut que tout change pour que tout reste identique ». Quant à Jean-Louis Moynot, il nous propose de nous recentrer sur le modèle syndical européen comme la CES qui s’était indignée du vote massif des travailleurs français en faveur d’un rejet du projet de constitution européenne et ce à l’appel entre autre de la CGT.

Pour ma part je pense que nous devons faire le choix de principes, ceux du syndicalisme de classe, indépendant et démocratique. Ce ne sont pas des formules de rhétorique, voilà pourquoi il faut leur donner du sens dans ce qui est notre pratique syndicale quotidienne et à tous les niveaux sans en exclure aucun. L’unité et la cohésion de la CGT s’en trouveraient renforcées d’autant que, s’il est une chose qui ne saurait se négocier, ce sont bien les principes.

Ces principes ont toujours donné lieu dans la CGT, et dans le mouvement syndical français et international, à des débats allant parfois jusqu’à la division et la scission. Ils furent depuis la naissance de la CGT animés d’une part par les tenants d’une vision réformiste et de collaboration de classe avec la bourgeoisie et d’autre part par les partisans d’une conception de luttes des classes et de rupture avec le capitalisme. Pour autant, ce sont ses débats, ses victoires et ses défaites qui ont forgé la CGT tout au long de son histoire, une histoire fondée sur les valeurs inséparables qui sont celles du mouvement ouvrier français et international. Pendant près d’un siècle, elles ont valu un grand prestige international à la CGT.

Au fond, cette crise de la CGT peut contribuer à clarifier bien des choses. Si elle lui fait courir des risques évidents, elle lui offre également l’opportunité de se dépasser en prenant les décisions qui s’imposent et que réclament un grand nombre de ses adhérents afin d’en sortir par le haut. C’est ce que propose l’appel « défendons la CGT », d’ores et déjà soutenu par près de sept cent militants et militantes et des dizaines d’organisations, nombre qui ne cesse de progresser. C’est la raison pour laquelle je le soutiens.

Il faut des actes forts, inciter partout à la libre parole, se réapproprier la CGT et décider par nous-mêmes comme avec les travailleurs de quelle CGT nous avons besoin.

C’est pourquoi Thierry Lepaon doit démissionner, il est devenu un obstacle à l’unité et la cohésion de la CGT, mais c’est également le cas du bureau confédéral et de la commission exécutive confédérale. Ils ont perdu toute légitimité. Enfin, il faut que le Comité Confédéral National (CCN), comme il en a le pouvoir, décide d’un congrès extraordinaire dans les meilleurs délais. Le CCN doit mettre en place un collectif transitoire jusqu’au congrès extraordinaire avant la fin de 2015 afin d’animer le travail confédéral et impulser la bataille revendicative, les luttes et la préparation du cinquante et unième congrès de la CGT.

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