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10 juin 2016 5 10 /06 /juin /2016 18:08

http://www.liberation.fr/debats/2016/06/08/pour-une-greve-generale-par-procuration_1458202

Pour une grève générale par procuration

Par Sophie Wahnich, Directrice de recherches en histoire et science politique au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)

Mercredi 8 Juin 2016

Cinquante quatre pour cent des français sont contre la loi travail. Une caisse de solidarité aux grévistes a été instaurée, les français pourraient y contribuer.

Le nerf de la guerre, c’est l’argent, celui de la contre-offensive aussi. Mais ce n’est pas exactement le même argent. C’est celui de la solidarité et des échanges de secours réciproques.

En Grèce, face au désastre provoqué par la crise de la dette, des individus, conscients de la situation politique oppressive, ont inventé,sous le nom de solidarité, un espace civil et politique horizontal qui permet d’organiser une survie quotidienne, un vaste réseau d’échanges non monétarisés a été mis en place pour la nourriture, les vêtements, mais aussi l’éducation et la santé. Dans un film de Laure Vermeersch, intitulé Alcyons, cet air plus doux qui réchauffe les oisillons au cœur de l’hiver, des femmes expliquent que les injonctions et les prescriptions de la troïka ont provoqué un désastre national, une grande commotion historique, comparable à une guerre. « Nous vivons une guerre économique. Ils veulent nous détruire. C’est ce qui me rend dingue. Il y a eu moins de morts pendant la guerre que de suicides en Grèce aujourd’hui ». C’est ce qu’affirme Georgia qui orchestre la solidarité dans la localité de Phylé, solidarité qui vient mettre ici un frein au désastre de la guerre économique menée par l’Europe à ses peuples au nom de la dette.

La loi El Khomri, ce n’est un secret pour personne, répond à des injonctions européennes et à une menace d’amende. Elle est considérée par cinquante quatre pour cent des français comme mauvaise car permettant un assujettissement plus important du travail au capital dans un pays qui s’est doté de protections spécifiques au cours de l’histoire longue de son mouvement ouvrier.

Mouvements multiples, pétitions, manifestations, Nuits debout et désormais grèves des raffineries et des transports, tout ce qui peut interrompre les flux est une contre-offensive à cet assujettissement programmé. Or, la grève, cela coûte cher.

Un pot commun de solidarité a été lancé dans la tradition des caisses de grève afin de soutenir les salariés qui ont cessé le travail. En une semaine, cent quarante neuf mille six cent quatorze euros ont été collectés auxquels il faut rajouter seize mille trois cent cinquante euros reçus en chèques par la Poste. Cette initiative connaît un succès réel mais le compte n’y est pas encore car seuls trois mille cinq cent quatre vingt dix personnes ont contribué à cette caisse.

Si cinquante quatre pour cent des français ne peuvent se mettre en grève, ils peuvent en revanche donner par solidarité, ce qu’ils ne font pas encore. Faire don de journées de travail travaillées pour des jours de grève stratégique est pourtant une manière de fabriquer une sorte de grève générale par procuration face à l’adversité et face à ce risque d’assujettissement.

En 1792, pour contrer la coalition contre-révolutionnaire, des révolutionnaires français et patriotes étrangers avaient collecté des dons patriotiques. Ainsi, un garçon perruquier ou une blanchisseuse faisaient offrande de leurs maigres économies afin de participer à l’effort de guerre à défaut de partir faire la guerre. Le désir de soutenir la révolution se manifestait sous cette puissance de donner son argent à défaut de son sang. Ces offrandes sont des actes personnels et volontaires, ni des impôts ni des exactions. Un patriote étranger disait ainsi que « je veux contribuer autant que la médiocrité de ma fortune me le permet à l’établissement éternel de la liberté du genre humain. Si je vous offre mes faibles moyens et si des individus de tous les pays travaillent ardemment à la réussite de votre entreprise, c’est que les autres peuples aussi aiment la liberté ». Le don vient soutenir ce désir de fraternité et affirmer que cette guerre pour la liberté n’est pas une guerre de rivalité entre puissances, mais de destruction « des monstres qui infestent l’humanité ». Le don des patriotes étrangers affirme le faire communauté des peuples qui aiment ou qui veulent la liberté et l’égalité.

Il nous faut bien sûr d’abord aujourd’hui faire communauté solidaire avec au moins cinquante quatre pour cent des français, mais aussi communauté solidaire des peuples européens opprimés par leurs propres institutions, solidarité avec les grecs, les espagnols, les portugais et tant d’autres, afin d’affirmer une autre Europe à venir, dotée d’un attirail de droits qui protègent et non de droits qui oppriment. Le mouvement des Nuits Debout proposait de réfléchir à « une souveraineté populaire au-delà de la nation, une Nuit Debout Europe », alors, encore un effort pour ce pot commun.

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