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25 mai 2013 6 25 /05 /mai /2013 15:50

 

http://www.liberation.fr/medias/2013/05/15/la-tunisie-entame-son-printemps-mediatique_903167

 

La Tunisie entame son printemps médiatique

 

Mercredi 15 Mai 2013

 

Après des mois d’atermoiements, la HAICA, équivalent du CSA, est lancée et doit réguler un paysage audiovisuel désordonné

 

Par Elodie Auffray

 

Il aura fallu un an et demi de tergiversations politiques et de pressions de la société civile pour que naisse au début du mois la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle, la HAICA tant attendue. Un équivalent tunisien du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) français, chargé d’une mission épineuse, remettre un peu d’ordre dans la pagaille du paysage médiatique post Ben Ali.

 

« L’héritage est lourd et les choses se sont encore compliquées après la révolution. Il règne une forme d’anarchie, une liberté sans garde fous », décrit Riadh Ferjani, un de ses membres.

 

Avec l’instance provisoire de la magistrature et celle en charge de l’organisation des élections, la HAICA est considérée comme indispensable à la bonne marche de la transition et à la tenue du prochain scrutin. Elle est la première à voir le jour.

 

Sa longue gestation « sème le doute et peut être un handicap. Mais ça reste un événement », considère Larbi Chouikha, professeur à l’institut de presse et ancien de l’INRIC, l’instance de réforme des médias créée juste après la révolution. C’est elle qui a conçu le décret loi numéro cent seize sur la HAICA, adopté juste avant les premières élections de fin 2011. Arrivés au gouvernement, les islamistes d’al Nahda ont mis le texte au placard, les décrets d’application n’ont jamais été publiés.

 

Alors que ce décret prévoit une concertation pour désigner les patrons des médias publics, le Premier ministre islamiste a nommé seul tous les nouveaux PDG, sans même consulter ses deux alliés de la coalition. Ce qui n’a pas manqué d’aggraver des relations déjà tendues avec les journalistes. Après une série de conflits et au soir d’une grève très suivie, le 17 octobre, le gouvernement a fini par accepter d’activer le décret cent seize, ainsi que le cent quinze sur la liberté de la presse. Il aura fallu encore six mois de tractations difficiles pour conclure l’affaire.

 

Confiance. Appelés à désigner les membres, le syndicat des journalistes, affilié à la puissante UGTT, les patrons de médias, l’association des magistrats et le président de la république ont peiné à trouver un accord sur la composition de l’instance. Selon plusieurs témoignages, le parti islamiste al Nahda a essayé de placer des proches et de faire obstruction à des candidatures jugées trop marquées à gauche. Sans succès.

 

Au final, les neuf membres de la HAICA inspirent largement confiance dans la profession. Il y a parmi eux Rachida Ennaifer, journaliste devenue professeur de droit ; Riadh Ferjani, professeur à l’institut de presse, connu pour ses travaux sur le système médiatique de la dictature ; Habib Belaid, qui a pris la tête de la radio publique après la révolution avant d’en être écarté par al Nahda ; Radhia Saïdi, sœur d’un cadre du parti islamiste mais journaliste appréciée de ses pairs et ancienne de l’INRIC ; Hichem Snoussi, lui aussi ancien de l’INRIC et d’Article Dix Neuf, ONG qui œuvre pour la liberté d’expression.

 

Seul le choix du président suscite un brin de scepticisme, Nouri Lajmi, professeur à l’institut de presse, est décrit comme discret. « On aurait préféré un profil plus militant », regrette Aymen Rezgui, du syndicat des journalistes. Car, dans le paysage médiatique, politisé à outrance, il faudra « savoir naviguer, ça ne va pas être facile », reconnaît lui-même Lajmi, qui veut d’abord « s’assurer de la collaboration de tous et faire la preuve de l’indépendance de l’instance ». Et, face à la scène politique actuelle, il faudra tenir bon pour « résister aux pressions et aux jeux d’intérêts », comme l’a souhaité le président Moncef Marzouki lors de l’inauguration. Dotée, sur le papier, de pouvoirs étendus mais pour l’instant sans moyens, la HAICA va vite devoir s’atteler à l’une de ses priorités : élaborer les règles du jeu médiatique pour la prochaine campagne électorale, qui s’annonce tendue.

 

Déontologie. La haute autorité a également pour mission de veiller au respect d’une déontologie souvent bafouée : reportages avec un seul son de cloche, relais des réseaux sociaux sans vérification des informations, appels à la violence en direct. « Nous avons du mal à savoir jusqu’où on peut aller, par exemple sur l’opération contre les jihadistes dans le mont Chaambi, qui touche à la sécurité nationale », explique Wafa Daoud, journaliste syndicaliste de la télévision publique, qui attend des repères de la nouvelle instance.

 

« Nous aurons une approche pédagogique », précise Riadh Ferjani. A la télé, ainsi qu’à la radio publique, où le PDG est accusé de nombreux abus, les journalistes souhaitent que la HAICA révise les nominations. Aucun engagement en ce sens n’a, pour l’heure, été pris.

 

Le dossier le plus délicat, jugé prioritaire par beaucoup, est celui des nouvelles télévisions. Profitant du vide juridique, une multitude de chaînes, en particulier pro islamistes (voire pro gouvernement), ont vu le jour. Aucune n’a rendu public ses financements. Toutes sont pirates, ont leurs studios en Tunisie mais diffusent par satellite, depuis l’étranger. La HAICA doit en principe faire adopter des cahiers des charges et attribuer les licences.

 

La nouvelle instance permettra-t-elle de résorber les pressions qui pèsent sur le travail des journalistes ? Régulièrement traînés en justice, mais aussi insultés, frappés, intimidés et même menacés de mort : leur syndicat a recensé près de deux cent agressions depuis un an. La quasi-totalité reste impunie. Pourtant, le décret loi numéro cent quinze prévoit de lourdes peines pour ceux qui s’en prennent aux journalistes, ainsi que la dépénalisation de plusieurs délits de presse. Faute de volonté politique, il n’est que rarement appliqué. 

 

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