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7 mai 2016 6 07 /05 /mai /2016 13:33

http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/05/05/etat-d-urgence-le-quotidien-des-derniers-assignes-a-residence_4914029_1653578.html

La colère des derniers assignés à résidence

Par Camille Bordenet

Jeudi 5 Mai 2016

Anis se souvient de son dernier pointage de la journée, le 25 février 2016. L’espoir l’animait, il apercevait le bout du tunnel, enfin. Et puis, le « coup de poignard », celui qui vous donne l’impression qu’on « cherche à vous achever ». Les fonctionnaires de police lui tendaient un nouvel arrêté d’assignation à résidence. Pour lui, la roue de l’état d’urgence ne tournerait pas. Il continuerait, pendant trois mois au moins, à pointer deux fois par jour, à limiter ses déplacements professionnels à sa commune et à acheter sa baguette avant 20 heures, sous peine d’être placé en garde à vue.

Ce chauffeur routier niçois de trente neuf ans, père de cinq enfants, fait partie des soixante huit personnes qui sont toujours assignées à résidence dans le cadre de l’état d’urgence, pour beaucoup depuis six mois. Et peut-être pour deux mois de plus, puisque ce régime d’exception doit être prolongé, à compter du 26 mai 2016, jusqu'au mois de juillet 2016, en vue de la coupe d'Europe de football et du tour de France cycliste. Le gouvernement a en effet présenté un projet de loi en ce sens, Mercredi 4 Mai 2016 en conseil des ministres, qui permettra notamment de renouveler encore des assignations.

Au plus fort de l’état d’urgence, dans les semaines qui ont suivi les attentats du mois de novembre 2015, quelque quatre cent assignations à résidence avaient été ordonnées par le ministère de l’intérieur. Elles ont été progressivement et partiellement levées, soit par le ministère lui-même, soit sur décision des juridictions administratives lorsque les individus ont contesté la mesure devant les tribunaux. Deux cent soixante quatorze assignations demeuraient encore en vigueur à la fin de la première période d’état d’urgence, le 26 février 2016.

Mesures abusives

Pour la seconde période, le ministère de l’intérieur a décidé de recentrer « aux cas les plus lourds » cette mesure de police administrative attentatoire à la liberté d’aller et venir et au droit à la vie privée, « seules » soixante et onze assignations à résidence ont été décidées, des renouvellements pour soixante neuf d’entre elles. Pour réduire la voilure, le ministère de l'intérieur a en outre tenu compte des désaveux infligés par le juge administratif. Certaines assignations ont en effet été retoquées au motif qu’elles s’appuyaient sur des notes des services de renseignement non étayées, voire erronées. « Les renouvellements ont été décidés à la fois sur la base d’éléments opérationnels et de jurisprudence », explique-t-on place Beauvau.

Parmi les derniers assignés, certains continuent pourtant de dénoncer des mesures abusives. Casier judiciaire vierge, Anis ne présente pas de profil à risques, il n’y a pas de djihadistes parmi ses fréquentations, il n’est pas actif sur les réseaux sociaux prodjihad et il n’a jamais voulu se rendre en Syrie. L’arrêté qui le vise est « une accumulation d’erreurs brodées à partir d’une information fausse », estime son avocat, Sefen Guez Guez. Il dénonce une confusion des renseignements territoriaux, qui auraient selon lui attribué à son client des propos rigoristes en réalité tenus par quelqu’un d’autre.

Loterie administrative

Avocat de plusieurs assignés, William Bourdon estime que ces renouvellements sont « loin d’être rationnels » et sont « essentiellement politiques », tout comme le seraient certains des jugements administratifs rendus. Ainsi, « des dossiers absolument identiques, sans le début d’une preuve, connaîtront d’un juge à l’autre des sorts différents parce qu’il y a un subjectivisme latent très fort ». Même impression pour Arié Alimi, qui dénonce une « loterie administrative » défavorable à ceux dont le juge a rejeté les différents recours et permettant à l’administration « de se sentir plus forte pour maintenir l’assignation ».

« Nous n'avons pas tiré à la courte paille », se défend la place Beauvau, qui explique que les renouvellements ont été décidés suivant une procédure de réexamen stricte, qui comprend « un nouvel avis de l’Unité de Coordination de la Lutte Antiterroriste (UCLA) accompagné d’une note de renseignement actualisée ». La direction des libertés publiques et des affaires juridiques, qui gère le contentieux du ministère de l’intérieur, a même annulé trente trois demandes de renouvellement des services de police pour « motivation insuffisante ».

Parmi les soixante huit assignations en vigueur, difficile de faire le portrait-robot de l’assigné. L’intérieur dénombre dix femmes, quelques mineurs, une dizaine de personnes converties et quelques individus ayant un casier de délinquant de droit commun. « Il y a beaucoup de velléitaires au départ en Syrie », souligne le ministère. La liste compte aussi des personnes déjà condamnées par le passé pour des faits de terrorisme ou qui apparaissant dans des dossiers, tels Olivier Corel, dit « l'émir blanc », mentor de djihadistes français, et son épouse, ou encore Farouk Ben Abbès, interpellé après l’attentat du Caire et mis en examen en 2010 dans le cadre d’un projet d’attaque visant le Bataclan, avant de bénéficier d’un non-lieu.

Avoir connu des djihadistes

Parmi ses quatre clients assignés qui ont vu leur mesure renouvelée, Bruno Vinay entrevoit un dénominateur commun, « tous se voient reprochés d’avoir été, par le passé, en relation avec des personnes appartenant à la mouvance djihadiste. Et peu importe l’absence de liens actuels, pour les autorités, le simple fait d’avoir connu ces personnes suffit à les considérer comme une menace ».

C’est le cas d’Antho, trente sept ans, président de l’association d’aide aux détenus musulmans Sanâbil. Parmi les nombreux motifs soulevés dans l’arrêté d’assignation appuyé sur des notes de renseignement, le ministère de l’intérieur prête à Antho des « relations proches » avec des personnes ayant « rejoint les rangs de l'Etat Islamique, dont certaines impliquées dans les attentats du Vendredi 13 Novembre 2015 », comme les frères Clain ou Sabri Essid. S’il ne dément pas avoir connu ces individus auxquels « les autorités tentent de le rattacher », il conteste fermement le lien de proximité, il assure ne plus être en contact avec eux depuis plusieurs années et « condamner » leur idéologie. « Ce n’est pas parce que vous avez eu des relations avec des gens partis en Syrie que vous cautionnez leurs idées et êtes complices de leurs actes », défend Bruno Vinay, qui invoque le casier judiciaire vierge de son client et « l'irréprochabilité » de Sanâbil.

L’association apparaît toutefois dans plusieurs dossiers judiciaires, dont l’enquête sur les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, comme lieu fréquenté par des personnes poursuivies ou mises en cause dans des affaires terroristes. La place Beauvau estime que « sous couvert de l’association qui fournit un soutien logistique aux détenus islamistes, Antho utilise sa notoriété pour recruter de futurs combattants pour le djihad ». Des éléments retenus par le conseil d'état, qui a rejeté la demande de suspension de l’intéressé.

Sévère à l’égard d’une décision qu’il juge entachée d’erreurs d’appréciation, Bruno Vinay estime que, à travers son client, les autorités tentent de « brider Sanâbil, gênante à leurs yeux parce qu’elle a une sorte de monopole dans le paysage carcéral français ».

Des assignations par procuration

Sophie, elle, n’a jamais connu aucune personne liée à la mouvance djihadiste. Et elle non plus n’a aucun antécédent judiciaire. Cela fait pourtant plus de cinq mois que cette comptable quinquagénaire est enfermée dans sa commune. Son tort est d'être l’épouse d’un homme que les autorités soupçonnent d’être parti en Syrie pour rejoindre les rangs de l'Etat Islamique. L’assignation de Sophie est venue s’ajouter à une interdiction de sortie du territoire et à un gel de ses avoirs, un cas unique.

Les autorités estiment que, « sous l’emprise totale de son mari qui la téléguide depuis la Syrie et éperdument amoureuse », Sophie a mis en vente sa maison en vue de lui adresser les fonds et financer ainsi la cause djihadiste », et qu’elle se préparait à le rejoindre. Des allégations que dément fermement son avocate, Isabelle Coutant-Peyre, qui décrit au contraire une française très bien insérée socialement et convertie à l’islam « de manière laïque », qui avait mis en vente sa maison depuis trois ans déjà et qui a entamé une procédure de divorce après avoir coupé définitivement les ponts avec son mari. Le conseil d'état a tranché en faveur du ministère de l’intérieur. Isabelle Coutant-Peyre dénonce « une véritable prise en otage » de sa cliente, « mise sous tutelle et persécutée alors que les autorités ciblent en réalité son époux ».

Des assignations familiales « par procuration » que dénonce Arié Alimi, qui compte un dossier dans lequel il estime que son client est maintenu assigné au côté de son demi-frère dans un « sur principe de précaution », parce que les autorités ne parviendraient pas à déterminer les rôles de chacun dans l’administration d’un site ayant produit des contenus faisant la promotion du djihad armé.

Anis, lui, en viendrait presque à espérer qu’une procédure judiciaire soit ouverte à son encontre, « au moins, avec une vraie enquête, ils se rendraient compte que leurs soupçons ne tiennent pas ». Car des mesures qui se veulent seulement préventives peuvent être lourdes de conséquences, son épouse s’est vue récemment suspendre son agrément d’assistante maternelle, accordé quelques mois plus tôt par le conseil général, au motif qu’elle n’avait pas mentionné la perquisition administrative ayant eu lieu au domicile familial et qui s’était avérée « nulle ».

Anis se raccroche à l’espoir que « tout cela finisse par tourner ». Il espère que son histoire finira comme celle d’un ancien assigné qui le soutient, Halim Abdelmalek, le premier à avoir vu sa mesure suspendue par le conseil d'état. Par prudence, Anis préfère toutefois ne pas parler aux enfants des vacances en Tunisie, où la famille se retrouve chaque été.

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