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19 septembre 2016 1 19 /09 /septembre /2016 20:01

http://www.liberation.fr/planete/2016/09/18/ada-colau-occuper-la-place_1501778

Occuper la place

Par François Musseau, correspondant permanent de Libération à Madrid

Dimanche 18 Septembre 2016

Activiste sociale, la nouvelle maire de Barcelone incarne le renouveau de la politique espagnole dans le sillage de Podemos.

Elle a quelque chose d’une intruse. Certes, elle s’est mise ce jour-là sur son trente et un, un ensemble noir couronné d’une écharpe crème et rehaussé de chaussures à talons. Certes aussi, elle a soigné sa chevelure frisée châtain clair. En somme, elle s’est efforcée de paraître ce qu’elle est, maire de Barcelone. Et ce n’est pas rien de gérer un budget de deux milliards sept cent millions d’euros par an et de diriger neuf mille fonctionnaires.

Pour le reste, n’allez pas lui demander de porter bijoux, colliers, bagues ou un quelconque accessoire décoratif. Ada Colau est brute de décoffrage, sans fards ni artifices. Et dans la casa de ciudad de Barcelone, cette altière mairie à la façade néo classique, entre les escaliers et les balustrades d’une majesté d’un autre âge, oui, elle dépare. Son regard franc, un tantinet espiègle, semble même s’excuser d’occuper un tel lieu de prestige, comme une plébéienne échouée on ne sait trop comment dans un sanctum sanctorum aristocratique.

Un peu plus d’un an, déjà, que l’intruse Ada Colau est la locataire en chef du municipal édifice de cette ville à vocation marchande et bourgeoise, elle qui n’avait pu finir ses études de philosophie et qui n’a jamais vraiment supporté « l'esprit phénicien », comprendre le sens des affaires et le goût immodéré pour le négoce qui colle à l’image de Barcelone. A quarante deux ans, cette mère d’un petit Luca, cinq ans, et dont le compagnon, Adria Alemany, est un économiste de gauche, reconnaît elle-même que, parfois, « cela lui donne un peu le vertige ». Il faut dire qu’à la seule évocation de ses illustres prédécesseurs, tous issus de la bonne société, le contraste est marqué.

Pour comprendre l’irruption de cette trublionne de classe moyenne, il faut avoir présent à l’esprit l’irrésistible ascension des indignés depuis 2011.

Notamment sous la bannière de Podemos, troisième force parlementaire nationale, ceux-ci ont bousculé la donne politique. Ada Colau, sympathisante sans être membre de Podemos, constitue un des fruits de ce singulier phénomène où, notable exception en Europe, l’irrévérence et la critique du statu quo passent par la gauche radicale, non par la droite extrême. Un pied dehors, un pied dedans, cette ancienne militante alter mondialisation, qui a battu le pavé de Gênes ou de Seattle au cours de sa vingtaine, donne donc cette sensation. « Bien sûr, j’ai sur le dos cette énorme responsabilité de maire. Mais, dans le même temps, je ne veux pas perdre le pouls de la rue, c’est ce qui me donne force et énergie ».

La rue, avec son pas volontaire de cheftaine scout et son naturel de passante citoyenne, Ada Colau s’y meut comme un poisson dans l’eau. Il faut la voir rayonner lorsqu’on l’arrête pour un selfie, un autographe ou un compliment, c’est-à-dire à tout moment dès lors qu’elle met les pieds dehors. Au moment de nous recevoir, dans le couloir cossu menant à son bureau, on l’informe qu’un groupe scolaire venu du marginal quartier de Nou Barris se trouve à l’étage. Ni une ni deux, Ada Colau monte les escaliers en trombe, se plante devant les pré adolescents, s’assoit sans manières sur une table et leur lance tout de go, ponctué par son sourire qui brille, « voilà, je suis la maire. Je m’appelle Ada Colau. Vous pouvez me demander tout ce que vous voulez ».

Ils ne s’en privent pas. Elle n’esquive rien. La rue, son oxygène et sa référence, avant d’atterrir dans les salons municipaux, de présider un salon technologique ou d’inaugurer un colloque sur le tourisme, c’était son écosystème.

Issue du populaire quartier barcelonais du Guinardo, de parents aujourd’hui séparés, père publicitaire et mère agent commercial, et d’une large fratrie de six enfants, Ada Colau a tracé son chemin sans facilité ni passe-droit, assumant les rudesses du parcours. Elle a tout d’abord fait mille boulots, hôtesse d’accueil, enquêteuse par téléphone, enseignante dans le primaire ou animatrice de centre aéré n’hésitant pas à se déguiser en papa Noël ou en oncle Donald pour amuser la galerie, du très courant dans cette Espagne de la précarité et des salaires payés au lance-pierre. Et, bien sûr, comme toute sa génération, elle vit et vivote en colocation, consciente que le logement est le grand drame d’une population ultra-endettée.

C’est dans les années 1990 et 2000, d’ailleurs, que la rue devient comme chez elle. A force d’arpenter les trottoirs et les places de l’alter mondialisation et de participer à la révolte contre « le diktat du sauvage capitalisme financier ». A force de s’indigner contre la guerre du golfe, puis celle d’Irak. A force, surtout, de manifester en faveur, précisément, d'un logement digne. « J’ai tout de suite senti », se souvient-elle, « qu’on touchait là le cœur du malaise. Sur ce chemin, j’ai été jusqu’au bout et c’est sûrement pour cela que je suis ici aujourd’hui ». Des milliers d’espagnols sont alors jetés à la rue, incapables de rembourser leurs traites. En 2006, à Barcelone, Ada Colau et une poignée de militants créent une plateforme pour les défendre, la Plataforma de Afectados por la Hipoteca (PAH). De l’aube claire aux soirées interminables, elle fait barrage de son corps face aux huissiers, chien fou entêté pour les uns, héroïquement opiniâtre pour la plupart. Cela donne des résultats. D’où une incroyable popularité pour cette « activiste sociale », elle se définissait ainsi et gagnait sa croûte comme salariée de l’observatoire du logement, qui lui permettra, au mois de juin 2015, d’emporter de justesse la forteresse municipale de Barcelone, capitale économique du pays.

Elle émarge officiellement à huit mille cent soixante six euros net mensuels mais, comme tous les maires de la mouvance Podemos, elle a plafonné ses émoluments à deux mille quatre cent euros, le différentiel étant reversé à des Organisations Non Gouvernementales (ONG). Elle a retiré le buste de l’ancien roi Juan Carlos dans la salle des délibérations. Par contre, elle a accroché dix portraits de femmes, dont celui de Federica Montseny, une anarchiste espagnole exilée à Toulouse. Elle défend son bilan bec et ongles, cent cinquante millions d’euros versés dans quinze quartiers « difficiles », cantines scolaires pour familles nécessiteuses, « réduction drastique des expulsions immobilières », moratoire de deux ans sur les nouveaux hôtels afin d’éviter que Barcelone « se noie sous le tsunami touristique », quitte à provoquer la fureur des milieux d’affaires, et baisse des frais de fonctionnement d’une mairie historiquement dispendieuse. La tâche est loin d’être aisée pour cette maire qui, il y a peu, qualifiait les banquiers de « criminels » et évoquait une« police municipale tristement célèbre pour ses cas de torture ».Surprise, ce matin-là, l’élue indignée se redresse dans son fauteuil, suspend son perpétuel sourire et lâche que « vous savez, je suis une activiste sociale de vocation, mais j’ai été élue à ce poste. Et je ne veux pas qu’on se souvienne de moi comme d’une militante, mais comme d’une bonne maire ».

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