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4 décembre 2016 7 04 /12 /décembre /2016 17:44

 

FIDEL CASTRO DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

 

Vous trouverez ci-dessous la deuxième et dernière partie d’un long message de Samuel Farber relatif à Fidel Castro.

 

Le message est disponible en totalité si vous consultez les liens ci-dessous du site www.alencontre.org en français ou bien du site www.inthesetimes.com en anglais.

 

Bernard Fischer

 

http://www.alencontre.org/ameriques/amelat/cuba/cuba-fidel-castro-1926-2016.html

 

http://www.inthesetimes.com/article/19672/fidel-castro-1926-2016-death-history-communist-party

 

FIDEL CASTRO DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

 

Par Samuel Farber

 

La défaite absolue que les forces de la guérilla dirigée par Fidel Castro infligèrent à l’armée de Fulgencio Batista, une guérilla étayée socialement par la proclamation, depuis la Sierra Maestra, de la loi de réforme agraire et, y compris, par une tentative de grève urbaine, au mois d'avril 1958, grève qui ne fut pas relayée par le parti socialiste populaire, ce qui conduisit à son échec, a ouvert la voie à la transformation d’une révolution politique démocratique pluriclassiste en une révolution sociale. Lors les deux premières années après la révolution, Fidel Castro a renforcé son appui populaire massif avec une redistribution radicale de la richesse qui s’est transformée plus tard en une nationalisation de l’économie qui a inclus y compris les plus petits établissements artisanaux et commerciaux.

Cette économie hautement bureaucratique a entraîné des performances très médiocres qui ont été fortement aggravées par le blocus économique criminel que les Etats-Unis ont imposé à Cuba, dès 1960.

C’est l’aide massive soviétique que Cuba a reçue qui a permis au régime de maintenir un niveau de vie qui a garanti la satisfaction des besoins les plus fondamentaux de la population, en particulier dans les domaines de l’éducation et de la santé. Le renouveau d’un anti impérialisme populaire, qui avait été mis en sommeil dans l’île depuis les années 1930, fut tout aussi important pour renforcer le soutien populaire au régime de Fidel Castro.

Le gouvernement de Fidel Castro a canalisé le soutien populaire dans le sens d’une mobilisation populaire. Ce fut la contribution la plus significative du gouvernement cubain par rapport à la tradition « communiste » internationale. Mais tout en encourageant la participation populaire, Fidel Castro empêcha un contrôle démocratique populaire effectif et garda, autant qu’il le pouvait, un commandement politique personnel.

Sous sa direction, l'état parti unique cubain a été mis en place dès les années 1960 et fut légalement sanctionné par la constitution adoptée en 1976. Le parti communiste dirigeant utilise les organisations de masse comme des courroies de transmission des orientations du parti.

Lorsque les organisations de masse ont été créées en 1960, toutes les organisations indépendantes existantes, qui auraient pu rivaliser avec les institutions officielles, ont été éliminées. Ces dernières comprenaient les sociétés de couleur qui, depuis longtemps, étaient le fondement de la vie sociale organisée des noirs à Cuba, de nombreuses organisations de femmes exerçant principalement des activités d’aide sociale et les syndicats qui furent incorporés à l’appareil d'état, après une purge complète de toutes les opinions divergentes.

Le contrôle personnel de Fidel Castro depuis le sommet fut une source majeure d’irrationalité et de gaspillage économique. Le bilan global de ses interventions personnelles dans les affaires économiques est tout à fait négatif. Celles-ci allèrent de la campagne économiquement désastreuse pour une récolte de sucre de dix millions de tonnes en 1970, la « zafra de los diez milliones de toneladas » proclamée lors du discours de Fidel Castro le 27 octobre 1969 dans le théâtre Chaplin à la Havane, qui non seulement n’a pas atteint ses objectifs mais a déstabilisé fortement le reste de l’économie, jusqu’à l’incohérence économique et la microgestion intrusive de sa « bataille des idées », lancée peu de temps avant qu’il quitte la direction et passe le pouvoir à son frère Raul Castro.

Une caractéristique majeure du règne de quarante sept ans de Fidel Castro réside dans sa manipulation du soutien populaire. Cela a été particulièrement évident lors des deux premières années de la révolution, en 1959 et en 1960, au cours desquelles il n’a jamais révélé, même à ses partisans, où il avait l’intention d’aller politiquement.

La censure systématique que son gouvernement a établie depuis 1960 est intrinsèque à la politique manipulatrice de son régime. Cela a continué sous Raúl Castro. Les médias de masse, en conformité avec les orientations du département idéologique du Parti Communiste Cubain (PCC), ne publient que les nouvelles qui répondent aux besoins politiques du gouvernement. La censure est particulièrement frappante à la radio et à la télévision, sous l’égide de l’Institut Cubain de Radio et Télévision (ICRT), institution méprisée par de nombreux artistes et intellectuels pour ses pratiques de censure et l’arbitraire de l’information.

L’absence systématique de transparence dans les opérations du gouvernement cubain s’est poursuivie sous le règne de Raúl Castro.

Un exemple clair réside dans la destitution brutale, en 2009, de deux dirigeants politiques de premier plan, le ministre des affaires étrangères Felipe Pérez Roque et le vice-président Carlos Lage sans qu’une explication complète de cette décision soit fournie par le gouvernement. Depuis lors, une vidéo détaillant la version gouvernementale de cet événement a été produite. Toutefois, elle a été montrée seulement à des auditoires sélectionnés de dirigeants et de cadres du PCC.

La censure et le manque de transparence se sont parfois transformés en véritables mensonges, comme dans le cas des rejets répétés de Fidel Castro de reconnaître la maltraitance physique dans les prisons cubaines, malgré son existence bien documentée par plusieurs organisations indépendantes de défense des droits humains.

Fidel Castro a créé un système politique qui n’hésite pas à utiliser la répression, et pas seulement contre les ennemis de classe, pour consolider son pouvoir. C’est un système qui a recours aux méthodes policières et administratives pour régler les conflits politiques. Ce système a utilisé le système judiciaire de manière arbitraire pour étouffer la dissidence et l’opposition politique. Parmi les lois qu’il a invoquées pour atteindre cet objectif, on peut citer celles qui punissent la propagande ennemie, le mépris de l’autorité, la rébellion, les actes contre la sécurité de l'état, l’impression clandestine de documents, la distribution de fausses nouvelles, la dangerosité sociale précriminelle, les associations illicites, la résistance et la diffamation. En 2006, Fidel Castro a admis qu’à une époque il y avait eu quinze mille prisonniers politiques à Cuba, bien qu’en 1967 il ait cité le chiffre de vingt mille prisonniers politiques.

Pour beaucoup de latino-américains et d’autres peuples du tiers-monde, ce n’est pas l’instauration du « communisme » à Cuba qui a suscité leur sympathie pour le dirigeant cubain. Il s’agissait plutôt de son véritable défi face à l’empire états-unien et de sa persévérance obstinée dans cet effort, non seulement en affirmant l’indépendance cubaine, mais en soutenant et aussi en appuyant, à l’extérieur, des mouvements contre les classes dirigeantes locales et l’empire américain.

Pour cela, le gouvernement de Fidel Castro a payé un prix fort sous la forme du parrainage de Washington aux invasions militaires, aux multiples tentatives d’assassinat le visant ainsi qu’à des campagnes de terreur. A cela s’ajoute un embargo durable et élargi contre l’île. Se tenir debout face au Goliath des Etats Unis ne constituait pas seulement une épreuve pour résister avec succès à une puissance largement supérieure, mais il s’agissait aussi de faire face à l’arrogance et au racisme du puissant voisin du nord. Comme l’a souligné l’historien Louis Pérez, Washington a souvent vu les cubains comme des enfants à qui il fallait apprendre à se comporter.

Pourtant, il existe de nombreuses idées erronées dans la gauche sur la politique étrangère cubaine. S’il est vrai que Fidel Castro a maintenu son opposition à l’empire américain jusqu’à son dernier souffle, sa politique étrangère, surtout après la fin des années 1960, a été davantage poussée par la défense des intérêts de l'état cubain tel qu’il les définissait à partir de l’alliance avec l'union soviétique et non pas en relation avec la poursuite d’une révolution anticapitaliste en tant que telle.

Parce que l'union soviétique considérait l’Amérique Latine comme faisant partie de la sphère d’influence des Etats-Unis, elle a exercé une forte pression politique et économique sur Cuba pour minimiser son soutien ouvert aux mouvements de guérilla en Amérique Latine. Vers la fin des années 1960, l'union soviétique a fait aboutir cet effort. C’est pourquoi, dans les années 1970, Cuba s’est tourné vers l’Afrique avec une vigueur qu’il faut rattacher au fait que ses initiatives politiques sur ce continent étaient stratégiquement plus compatibles avec les intérêts soviétiques, malgré leurs nombreux désaccords tactiques. Cette alliance stratégique avec l'union soviétique contribue à expliquer pourquoi la politique africaine de Cuba avait des implications tout à fait différentes pour ce qui relève de la situation en Angola ou contre l’apartheid sud-africain. Ici cette politique se situait à gauche alors que, pour la corne de l’Afrique, ce n’était pas le cas. Dans cette partie du continent, le gouvernement de Fidel Castro a soutenu une dictature sanglante de gauche en Ethiopie et indirectement aidé ce gouvernement dans ses efforts pour réprimer l’indépendance érythréenne.

Le facteur le plus important expliquant la politique cubaine dans ce domaine était que le nouveau gouvernement éthiopien avait pris le parti des soviétiques dans la guerre froide. C’est pour les mêmes raisons que Fidel Castro, à la grande surprise et déception du peuple cubain, a soutenu l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie en 1968, bien qu’il soit clair que l’aversion politique de Fidel Castro pour les politiques libérales d'Alexandre Dubcek, premier secrétaire du parti communiste tchécoslovaque entre le mois de janvier 1968 et le mois d'avril 1969, a joué un rôle important dans sa décision de soutenir l’action soviétique. Fidel Castro a également appuyé, du moins implicitement, l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979, bien qu’il l’ait fait avec beaucoup de réticence et de façon discrète parce que Cuba venait de prendre la direction du Mouvement des Non Alignés dont une grande majorité des membres s’opposait fortement à l’intervention soviétique.

En règle générale, le Cuba de Fidel Castro, même au début des années 1960, s’est abstenu de soutenir les mouvements révolutionnaires contre les gouvernements qui avaient de bonnes relations avec la Havane et qui rejetaient la politique des Etats-Unis contre l’île, cela indépendamment de leur couleur idéologique. Les cas les plus emblématiques d’une approche de la politique étrangère cubaine placée sous l’emprise des raisons d'état sont les relations très amicales que Cuba entretenait avec le Mexique du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) et avec l’Espagne de Francisco Franco. Il est également intéressant de noter que dans plusieurs pays d’Amérique Latine, tels que le Guatemala, le Salvador et le Venezuela, le gouvernement de Fidel Castro a favorisé certains mouvements de guérilla et d’opposition et s’est opposé à d’autres selon le degré auquel ils étaient disposés à soutenir la politique cubaine.

L’instauration d’un régime de type soviétique à Cuba ne peut s’expliquer par des simples généralisations politiques à partir de considérations sur le sous-développement, les dictatures et l’impérialisme qui touchent toute l’Amérique Latine. Le facteur le plus important qui explique le caractère unique du développement de Cuba est la direction politique de Fidel Castro qui a imposé une différence majeure aussi bien dans le type de triomphe contre le régime de Fulgencio Batista que dans la détermination de la voie suivie par la révolution cubaine après son arrivée au pouvoir.

A son tour, le rôle de Fidel Castro a été rendu possible par la composition socio-économique et politique particulière de Cuba à la fin des années 1950. Cela comprenait l’existence de classes sociales importantes au plan économique, mais ayant une expression politique faible, capitalistes, moyennes et ouvrières, une armée professionnelle à bien des égards de type mercenaire dont la direction avait des liens fragiles avec les classes les plus puissantes au plan économique et un système très dégradé de partis politiques traditionnels.

L’héritage de Fidel Castro, cependant, est devenu incertain depuis l’effondrement de l'union soviétique. Sous Raúl Castro, le gouvernement, en particulier après le sixième congrès du PCC en 2011, a promis des changements importants dans l’économie cubaine.

Ces derniers pointent dans la direction générale du modèle sino-vietnamien qui combine une ouverture au marché capitaliste combiné à l’autoritarisme politique.

Le rétablissement des relations diplomatiques avec les Etats-Unis, annoncé au mois de décembre 2014, que Fidel Castro a approuvé à contrecœur quelque temps plus tard, serait susceptible de faciliter cette stratégie économique, en particulier si le congrès américain modifie ou abroge la loi de Jesse Helms et de Dan Burton, approuvée en 1996, avec le consentement du président Bill Clinton. Une loi qui fait du blocus économique américain de l’île une obligation ne pouvant être révoquée que par le congrès des Etats Unis. Or, avec la future présidence de Donald Trump et un congrès républicain, la concrétisation de cette stratégie est moins probable.

Pendant ce temps, la corruption et les inégalités grandissent et corrodent la société cubaine, ce qui alimente un sentiment général de pessimisme et un désir de beaucoup, en particulier parmi les jeunes, de quitter le pays à la première occasion.

A la lumière d’une future transition capitaliste d'état et du rôle que peuvent jouer les capitaux étrangers et les pouvoirs politiques comme les Etats-Unis, le Brésil, l’Espagne, le Canada, la Russie et la Chine, les perspectives de la souveraineté nationale cubaine, élément décisif de l’héritage de Fidel Castro, sont très incertaines.

 

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