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Clémentine Autain, « ce qui est en cause, c’est la ligne politique du Mouvement de la France Insoumise »
Pour l'Observateur, la députée du MFI de la Seine-Saint-Denis tire les leçons de l’échec aux élections européennes. Elle remet en cause la stratégie du clash et le clivage entre le peuple et l'élite.
Députée du MFI de la Seine-Saint-Denis et codirectrice de publication de la revue Regards, Clémentine Autain analyse les leçons de l’échec de la liste menée par Manon Aubry aux élections européennes du Dimanche 26 Mai 2019. Elle remet en cause la stratégie choisie par Jean-Luc Mélenchon depuis les élections présidentielles, l’accent mis sur le clivage entre le peuple et l’élite et le registre du ressentiment et du clash. Elle appelle aussi à briser les murs montés depuis deux ans pour parler à la gauche et à la société.
Rémy Dodet. Le MFI vient de connaître un sérieux revers en récoltant à peine six pour cent des voix aux élections européennes. Soit à peine plus que le Parti Socialiste, qui obtient également six pour cent des voix, et très loin des vingt pour cent de Jean-Luc Mélenchon aux élections présidentielles de 2017. Comment l’expliquez-vous ?
Clémentine Autain. C’est en effet une défaite cinglante. Le MFI ne retrouve que trente six pour cent des électeurs de 2017 pour Jean-Luc Mélenchon, alors que cinquante sept pour cent des électeurs d'Emmanuel Macron ont voté pour la liste de la République En Marche (REM) aux élections européennes et que soixante dix huit pour cent de ceux de Marine Le Pen ont voté pour la liste du Rassemblement National. Nos électeurs n’ont pas disparu dans la nature, mais ils ont été désarçonnés ou mécontents de la proposition politique qu’on leur a faite depuis les élections présidentielles. A mon sens, il faut tout autant comprendre ce qui a permis le succès aux élections présidentielles que ce qui a conduit à l’échec aux élections européennes. En 2017, Jean-Luc Mélenchon avait réussi à remplir le mot gauche, à lui donner des couleurs et une modernité, loin du calamiteux bilan de François Hollande. Dans les dernières semaines de la campagne présidentielle, on avait eu un Jean Luc Mélenchon rassembleur sur un contenu de gauche cohérent et conséquent. Il avait su faire le plein au sein de la gauche radicale et capter un électorat plus modéré, notamment déçu du Parti Socialiste. Depuis deux ans, ce capital politique s’est érodé.
Rémy Dodet. Pourquoi ?
Clémentine Autain. Ce qui est en cause, c’est la ligne politique et les options stratégiques. La séquence des perquisitions a évidemment pesé, mais ce n’est évidemment pas le seul paramètre. Depuis deux ans, le MFI a de plus en plus recouru au registre du ressentiment et du clash. L’état d’esprit polémique et clivant a sans doute pris le dessus sur la mise en avant de notre vision du monde et de nos propositions. Or notre famille politique prospère quand elle s’appuie sur le ressort de l’espérance et pas sur celui de la haine. Le mouvement a mis l’accent sur le clivage entre eux et nous, qui ne me paraît ni juste, ni efficace. Cela revient à rejeter d’un bloc les élites, cela s’est traduit par un rejet global des médias et une prise de distance à l’égard du monde intellectuel. Prenons l’exemple de la révolution française. Ce qui a fait la force de 1789, c’est l’irruption du peuple adossée à la pensée des Lumières et donc en relation avec une élite intellectuelle. En mettant l’accent sur le clivage entre eux et nous, il y avait l’idée de capter un nouvel électorat tout en maintenant celui que nous avions conquis en 2017. Je constate que nous avons perdu une bonne part de celui de 2017 et que nous n'en avons pas attiré de nouveau.
Rémy Dodet. Le MFI a pourtant mené une campagne très active sur le terrain depuis plusieurs mois pour ces élections européennes.
Clémentine Autain. Manon Aubry a mis une énergie exceptionnelle dans cette campagne. C’était un choix d’ouverture, son profil n’est pas en cause et elle a vraiment fait le job. Mais le choix de présenter les élections européennes comme un référendum contre Emmanuel Macron n’a pas été porteur, voire s’est retourné contre nous, au profit du Rassemblement National. Il me semble surtout que les électeurs se sont positionnés en fonction du profil général du MFI et pas seulement sur notre tête de liste et le contenu programmatique pour les élections européennes.
Rémy Dodet. Au MFI, des cadres expliquent au contraire que c’est l’abandon de la ligne populiste qui est à l’origine de l’échec.
Clémentine Autain. Où ont-ils vu un abandon de cette ligne ? En général, ceux-là sont attachés à l’idée qu’il y aurait un clivage, presqu’un mur infranchissable, entre ceux qui voudraient l’union de la vieille gauche et ceux qui, se réclamant du populisme, voudraient fédérer le peuple. Ainsi, le débat me paraît bien mal posé. Moi, je ne milite pas pour une union de la gauche à l’ancienne, je veux rassembler le peuple sur une base de gauche. Mon enjeu, ce n’est pas la recherche d’un accord d’appareil entre les partis de gauche qui existent, mais bien la quête d’une dynamique politique, sociale et culturelle qui permette de porter dans les têtes et dans les urnes le changement social et écologiste. Cela suppose évidemment d’avoir des partenaires et de faire vivre le pluralisme.
Rémy Dodet. Vous dites que le MFI a trop utilisé le registre de la haine. A quoi faites-vous référence ?
Clémentine Autain. Je pense à la récurrence de formulations qui visaient les uns ou les autres pour cliver. Des murs ont été dressés là où, me semble-t-il, il aurait davantage fallu chercher à construire des passerelles. Je pense par exemple au débat que nous avons eu sur l’immigration à la rentrée dernière. Jean-Luc Mélenchon a fait le choix de qualifier de castors et d’entrer en opposition frontale avec les signataires de l’appel en faveur de l’accueil des migrants, lancé par Mediapart, par Politis et par Regards. Mais quand Andrea Kotarac, l'ancien conseiller régional qui a quitté le MFI et qui a appelé à voter pour Marine Le Pen, est allé en Crimée avec Marion Maréchal Le Pen, ce fut qualifié d’erreur et accompagné de l’assurance qu’il ne le refera plus. Cela a peut-être aussi troublé une partie de notre électorat, qui est attaché au combat pour l’accueil des réfugiés et aux cloisons étanches avec l’extrême-droite.
Rémy Dodet. Plusieurs cadres ont quitté le parti ces dernières semaines. Le fonctionnement du MFI est-il aussi en cause ?
Clémentine Autain. J’ai posé la question du pluralisme et de la démocratie interne il y a plus d’un an. Cela avait été très fraîchement accueilli à l’époque. On nous avait promis des changements à l’été et un meilleur fonctionnement de l’espace politique. Mais rien n’a été fait en ce sens. Il n’est pas simple de faire du neuf pour s’organiser et il y a évidemment droit à l’expérimentation. Il faut néanmoins maintenant reconnaître que le mouvement gazeux n’est pas la formule qui nous a permis d’agréger. Nous avons plutôt l’impression que le mouvement s’est rétracté.
Rémy Dodet. Que faut-il changer selon vous ?
Clémentine Autain. Il y a une déconnexion entre ce qui se passe dans la société et les résultats de cette élection. Il faut en prendre la mesure. Les Gilets Jaunes n’ont pas dit leur dernier mot, une vague de jeunes manifestent pour le climat, les professeurs s’opposent à la loi de Jean Michel Blanquer et les hôpitaux en burn-out se mettent en grève. Mais il n’y a pas la traduction politique de ce que nous ressentons socialement. Ce qui monte dans la société, c’est la critique de l’austérité et des normes capitalistes et l’exigence absolue de transition écologiste. Pour le formuler dans une vision alternative, il faut s’ouvrir et travailler encore, pour donner toute sa force au slogan « fin du monde, fin du mois, même combat ». Nous n'avons pas en nous-même, dans le champ politique, toutes les clés. C’est pourquoi le pire serait de continuer comme avant. C’est pourquoi il faut ouvrir les portes et les fenêtres sur la société, les syndicats, les associations et le monde de la culture. Il faut se parler, s’écouter et avancer.
Rémy Dodet. La liste de Yannick Jadot est arrivée en tête avec treize pour cent des voix. Le MFI doit-il travailler avec Europe Ecologie Les Verts (EELV) ?
Clémentine Autain. La percée des Verts en Europe est un cri d’alerte et une poussée en faveur de la préoccupation environnementale. Je le comprends. Mais avec EELV, nous avons un vrai débat de fond. Peut-on mener la transition énergétique dans un monde où règne la loi du profit ? Notre conviction est que ce n’est pas possible et qu’il n’y a pas de solution à l’urgence climatique si nous n'affrontons pas le pouvoir du capital. Les écologistes hésitent à s’allier aux libéraux au parlement européen et, très tôt dans la campagne, Yannick Jadot a dit que la recomposition de la gauche n’était pas son problème. Il n’est pas toujours simple de situer EELV politiquement.
Rémy Dodet. Vous êtes aussi au coude à coude avec le Parti Socialiste. Le MFI doit-il travailler avec le Parti Socialiste ?
Clémentine Autain. Il y a des fronts communs possibles, comme par exemple le combat contre la privatisation de l’aéroport de Paris. Mais la mise à jour du Parti Socialiste me paraît encore très sommaire. Le Parti Socialiste ne peut pas se dédouaner en deux temps trois mouvements du bilan récent de François Hollande et de Manuel Valls. Et par ailleurs, nous ne pouvons pas dire qu’il se soit remis sur pied même s’il a franchi la barrière symbolique des cinq pour cent. Mon obsession aujourd’hui, c’est comment nous reconstruisons un pôle de rupture fort, moderne, attractif et dynamique. Je crois à la radicalité nécessaire pour affronter les crises multiples que nous traversons.
Rémy Dodet. Au regard des résultats et des deux dernières années, Jean-Luc Mélenchon est-il qualifié pour tenir ce dialogue avec les partis et la société ?
Clémentine Autain. Jean-Luc Mélenchon a fait la proposition d'une fédération populaire, c’est à lui d’en définir le sens et de proposer des modalités de mise en oeuvre. Ce qui est sûr, c’est que la démarche doit être collective. Jean-Luc Mélenchon a rassemblé vingt pour cent des voix au premier tour des élections présidentielles, il a donc des responsabilités dans ce travail de refondation.
Rémy Dodet. Est-il encore le candidat naturel de votre famille politique pour 2022 ?
Clémentine Autain. Ce n’est pas le sujet. La discussion que nous devons avoir, c’est quelle stratégie et comment on se met en mouvement pour reconstruire une perspective de transformation sociale et écologiste. Il faut apprendre de cette défaite. La société est bouillante et il y a tant d’énergies disponibles pour empêcher ce scenario morbide où il faudrait choisir entre le pouvoir en place, avec l’accélération des recettes qui ont échoué, et le brun, le repli, le climato-scepticisme et la xénophobie. Nous avons la responsabilité d’ouvrir une voie de progrès humain. Je pense que nous avons de grandes possibilités de rallumer tous les soleils, comme disait Jean Jaurès.