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28 mai 2019 2 28 /05 /mai /2019 18:33

 

 

https://reve86.org/clementine-autain-au-lendemain-de-la-defaite-electorale-de-fi/

https://www.nouvelobs.com/elections-europeennes/20190527.OBS13567/clementine-autain-ce-qui-est-en-cause-c-est-la-ligne-politique-de-la-france-insoumise.html

 

 

Clémentine Autain, « ce qui est en cause, c’est la ligne politique du Mouvement de la France Insoumise »

Pour l'Observateur, la dépu­tée du MFI de la Seine-Saint-Denis tire les leçons de l’échec aux élections euro­péennes. Elle remet en cause la stra­té­gie du clash et le clivage entre le peuple et l'élite.

Députée du MFI de la Seine-Saint-Denis et codirectrice de publication de la revue Regards, Clémentine Autain analyse les leçons de l’échec de la liste menée par Manon Aubry aux élections européennes du Dimanche 26 Mai 2019. Elle remet en cause la stratégie choisie par Jean-Luc Mélenchon depuis les élections présidentielles, l’accent mis sur le clivage entre le peuple et l’élite et le registre du ressentiment et du clash. Elle appelle aussi à briser les murs montés depuis deux ans pour parler à la gauche et à la société.

Rémy Dodet. Le MFI vient de connaître un sérieux revers en récoltant à peine six pour cent des voix aux élections européennes. Soit à peine plus que le Parti Socialiste, qui obtient également six pour cent des voix, et très loin des vingt pour cent de Jean-Luc Mélenchon aux élections présidentielles de 2017. Comment l’expliquez-vous ?

Clémentine Autain. C’est en effet une défaite cinglante. Le MFI ne retrouve que trente six pour cent des élec­teurs de 2017 pour Jean-Luc Mélen­chon, alors que cinquante sept pour cent des élec­teurs d'Emmanuel Macron ont voté pour la liste de la République En Marche (REM) aux élections euro­péennes et que soixante dix huit pour cent de ceux de Marine Le Pen ont voté pour la liste du Rassemblement National. Nos élec­teurs n’ont pas disparu dans la nature, mais ils ont été désarçon­nés ou mécon­tents de la propo­si­tion poli­tique qu’on leur a faite depuis les élections prési­den­tielles. A mon sens, il faut tout autant comprendre ce qui a permis le succès aux élections prési­den­tielles que ce qui a conduit à l’échec aux élections euro­péennes. En 2017, Jean-Luc Mélen­chon avait réussi à remplir le mot gauche, à lui donner des couleurs et une moder­nité, loin du cala­mi­teux bilan de François Hollande. Dans les dernières semaines de la campagne prési­den­tielle, on avait eu un Jean Luc Mélen­chon rassem­bleur sur un contenu de gauche cohé­rent et consé­quent. Il avait su faire le plein au sein de la gauche radi­cale et capter un élec­to­rat plus modéré, notam­ment déçu du Parti Socia­liste. Depuis deux ans, ce capi­tal poli­tique s’est érodé.

Rémy Dodet. Pourquoi ?

Clémentine Autain. Ce qui est en cause, c’est la ligne poli­tique et les options stra­té­giques. La séquence des perqui­si­tions a évidem­ment pesé, mais ce n’est évidem­ment pas le seul para­mètre. Depuis deux ans, le MFI a de plus en plus recouru au registre du ressen­ti­ment et du clash. L’état d’es­prit polé­mique et clivant a sans doute pris le dessus sur la mise en avant de notre vision du monde et de nos propo­si­tions. Or notre famille poli­tique pros­père quand elle s’ap­puie sur le ressort de l’es­pé­rance et pas sur celui de la haine. Le mouve­ment a mis l’ac­cent sur le clivage entre eux et nous, qui ne me paraît ni juste, ni effi­cace. Cela revient à reje­ter d’un bloc les élites, cela s’est traduit par un rejet global des médias et une prise de distance à l’égard du monde intel­lec­tuel. Prenons l’exemple de la révo­lu­tion française. Ce qui a fait la force de 1789, c’est l’ir­rup­tion du peuple ados­sée à la pensée des Lumières et donc en rela­tion avec une élite intel­lec­tuelle. En mettant l’ac­cent sur le clivage entre eux et nous, il y avait l’idée de capter un nouvel élec­to­rat tout en main­te­nant celui que nous avions conquis en 2017. Je constate que nous avons perdu une bonne part de celui de 2017 et que nous n'en avons pas attiré de nouveau.

Rémy Dodet. Le MFI a pour­tant mené une campagne très active sur le terrain depuis plusieurs mois pour ces élections euro­péen­nes.

Clémentine Autain. Manon Aubry a mis une éner­gie excep­tion­nelle dans cette campagne. C’était un choix d’ou­ver­ture, son profil n’est pas en cause et elle a vrai­ment fait le job. Mais le choix de présen­ter les élections européennes comme un réfé­ren­dum contre Emmanuel Macron n’a pas été porteur, voire s’est retourné contre nous, au profit du Rassemblement National. Il me semble surtout que les élec­teurs se sont posi­tion­nés en fonc­tion du profil géné­ral du MFI et pas seule­ment sur notre tête de liste et le contenu program­ma­tique pour les élections euro­péennes.

Rémy Dodet. Au MFI, des cadres expliquent au contraire que c’est l’aban­don de la ligne popu­liste qui est à l’ori­gine de l’échec.

Clémentine Autain. Où ont-ils vu un aban­don de cette ligne ? En géné­ral, ceux-là sont atta­chés à l’idée qu’il y aurait un clivage, presqu’un mur infran­chis­sable, entre ceux qui voudraient l’union de la vieille gauche et ceux qui, se récla­mant du popu­lisme, voudraient fédé­rer le peuple. Ainsi, le débat me paraît bien mal posé. Moi, je ne milite pas pour une union de la gauche à l’an­cienne, je veux rassem­bler le peuple sur une base de gauche. Mon enjeu, ce n’est pas la recherche d’un accord d’ap­pa­reil entre les partis de gauche qui existent, mais bien la quête d’une dyna­mique poli­tique, sociale et cultu­relle qui permette de porter dans les têtes et dans les urnes le chan­ge­ment social et écolo­giste. Cela suppose évidem­ment d’avoir des parte­naires et de faire vivre le plura­lisme.

Rémy Dodet. Vous dites que le MFI a trop utilisé le registre de la haine. A quoi faites-vous réfé­rence ?

Clémentine Autain. Je pense à la récur­rence de formu­la­tions qui visaient les uns ou les autres pour cliver. Des murs ont été dres­sés là où, me semble-t-il, il aurait davan­tage fallu cher­cher à construire des passe­relles. Je pense par exemple au débat que nous avons eu sur l’im­mi­gra­tion à la rentrée dernière. Jean-Luc Mélen­chon a fait le choix de quali­fier de castors et d’en­trer en oppo­si­tion fron­tale avec les signa­taires de l’ap­pel en faveur de l’ac­cueil des migrants, lancé par Media­part, par Poli­tis et par Regards. Mais quand Andrea Kota­rac, l'ancien conseiller régio­nal qui a quitté le MFI et qui a appelé à voter pour Marine Le Pen, est allé en Crimée avec Marion Maré­chal Le Pen, ce fut quali­fié d’er­reur et accom­pa­gné de l’as­su­rance qu’il ne le refera plus. Cela a peut-être aussi trou­blé une partie de notre élec­to­rat, qui est atta­ché au combat pour l’ac­cueil des réfu­giés et aux cloi­sons étanches avec l’ex­trême-droite.

Rémy Dodet. Plusieurs cadres ont quitté le parti ces dernières semaines. Le fonc­tion­ne­ment du MFI est-il aussi en cause ?

Clémentine Autain. J’ai posé la ques­tion du plura­lisme et de la démo­cra­tie interne il y a plus d’un an. Cela avait été très fraî­che­ment accueilli à l’époque. On nous avait promis des chan­ge­ments à l’été et un meilleur fonc­tion­ne­ment de l’es­pace poli­tique. Mais rien n’a été fait en ce sens. Il n’est pas simple de faire du neuf pour s’or­ga­ni­ser et il y a évidem­ment droit à l’ex­pé­ri­men­ta­tion. Il faut néan­moins main­te­nant recon­naître que le mouve­ment gazeux n’est pas la formule qui nous a permis d’agré­ger. Nous avons plutôt l’im­pres­sion que le mouve­ment s’est rétracté.

Rémy Dodet. Que faut-il chan­ger selon vous ?

Clémentine Autain. Il y a une décon­nexion entre ce qui se passe dans la société et les résul­tats de cette élec­tion. Il faut en prendre la mesure. Les Gilets Jaunes n’ont pas dit leur dernier mot, une vague de jeunes mani­festent pour le climat, les professeurs s’op­posent à la loi de Jean Michel Blanquer et les hôpi­taux en burn-out se mettent en grève. Mais il n’y a pas la traduc­tion poli­tique de ce que nous ressentons socia­le­ment. Ce qui monte dans la société, c’est la critique de l’aus­té­rité et des normes capi­ta­listes et l’exi­gence abso­lue de tran­si­tion écolo­giste. Pour le formu­ler dans une vision alter­na­tive, il faut s’ou­vrir et travailler encore, pour donner toute sa force au slogan « fin du monde, fin du mois, même combat ». Nous n'avons pas en nous-même, dans le champ poli­tique, toutes les clés. C’est pourquoi le pire serait de conti­nuer comme avant. C’est pourquoi il faut ouvrir les portes et les fenêtres sur la société, les syndi­cats, les asso­cia­tions et le monde de la culture. Il faut se parler, s’écou­ter et avan­cer.

Rémy Dodet. La liste de Yannick Jadot est arri­vée en tête avec treize pour cent des voix. Le MFI doit-il travailler avec Europe Ecologie Les Verts (EELV) ?

Clémentine Autain. La percée des Verts en Europe est un cri d’alerte et une pous­sée en faveur de la préoc­cu­pa­tion envi­ron­ne­men­tale. Je le comprends. Mais avec EELV, nous avons un vrai débat de fond. Peut-on mener la tran­si­tion éner­gé­tique dans un monde où règne la loi du profit ? Notre convic­tion est que ce n’est pas possible et qu’il n’y a pas de solu­tion à l’ur­gence clima­tique si nous n'affrontons pas le pouvoir du capi­tal. Les écolo­gistes hésitent à s’al­lier aux libé­raux au parle­ment euro­péen et, très tôt dans la campagne, Yannick Jadot a dit que la recom­po­si­tion de la gauche n’était pas son problème. Il n’est pas toujours simple de situer EELV poli­tique­ment.

Rémy Dodet. Vous êtes aussi au coude à coude avec le Parti Socia­liste. Le MFI doit-il travailler avec le Parti Socialiste ?

Clémentine Autain. Il y a des fronts communs possibles, comme par exemple le combat contre la priva­ti­sa­tion de l’aé­ro­port de Paris. Mais la mise à jour du Parti Socia­liste me paraît encore très sommaire. Le Parti Socialiste ne peut pas se dédoua­ner en deux temps trois mouve­ments du bilan récent de François Hollande et de Manuel Valls. Et par ailleurs, nous ne pouvons pas dire qu’il se soit remis sur pied même s’il a fran­chi la barrière symbo­lique des cinq pour cent. Mon obses­sion aujourd’­hui, c’est comment nous reconstruisons un pôle de rupture fort, moderne, attrac­tif et dyna­mique. Je crois à la radi­ca­lité néces­saire pour affron­ter les crises multiples que nous traver­sons.

Rémy Dodet. Au regard des résul­tats et des deux dernières années, Jean-Luc Mélen­chon est-il quali­fié pour tenir ce dialogue avec les partis et la société ?

Clémentine Autain. Jean-Luc Mélen­chon a fait la propo­si­tion d'une fédé­ra­tion popu­laire, c’est à lui d’en défi­nir le sens et de propo­ser des moda­li­tés de mise en oeuvre. Ce qui est sûr, c’est que la démarche doit être collec­tive. Jean-Luc Mélen­chon a rassem­blé vingt pour cent des voix au premier tour des élections prési­den­tielles, il a donc des respon­sa­bi­li­tés dans ce travail de refon­da­tion.

Rémy Dodet. Est-il encore le candi­dat natu­rel de votre famille poli­tique pour 2022 ?

Clémentine Autain. Ce n’est pas le sujet. La discus­sion que nous devons avoir, c’est quelle stra­té­gie et comment on se met en mouve­ment pour recons­truire une pers­pec­tive de trans­for­ma­tion sociale et écolo­giste. Il faut apprendre de cette défaite. La société est bouillante et il y a tant d’éner­gies dispo­nibles pour empê­cher ce scena­rio morbide où il faudrait choi­sir entre le pouvoir en place, avec l’ac­cé­lé­ra­tion des recettes qui ont échoué, et le brun, le repli, le climato-scep­ti­cisme et la xéno­pho­bie. Nous avons la respon­sa­bi­lité d’ou­vrir une voie de progrès humain. Je pense que nous avons de grandes possi­bi­li­tés de rallu­mer tous les soleils, comme disait Jean Jaurès.

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