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3 mai 2023 3 03 /05 /mai /2023 19:55

 

 

La Fédération Syndicale Mondiale (FSM), un syndicalisme poutinien

Par Antoine Rabadan

La FSM appelle à la mobilisation internationale des peuples, Lundi Premier Mai 2023, pour la défense de leurs droits et de leurs revendications, mais aussi pour refuser de payer le prix des guerres, comme celle qui a lieu en Ukraine. Or c’est en abordant cette question que se dérègle l’appel généreux dans son esprit mais se révélant être une rhétorique confusionniste et peu reluisante, d'un point de vue internationaliste.

Le secrétariat de la FSM a publié un communiqué de mobilisation internationale pour la journée du Lundi Premier Mai 2023. Ce communiqué est particulièrement révélateur de son orientation générale inscrite dans la lignée de ce qu’elle était au temps où elle était inféodée à l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) du temps de Joseph Staline.

Je m’arrêterai sur les quelques mots que consacre ce communiqué à la guerre en Ukraine et ce qu’il en ressort de l’anti-impérialisme revendiqué par ailleurs, car il s’y révèle le noyau dur d’un positionnement de fond que tend à brouiller l’ensemble du texte et ses phrases ronflantes de rhétorique pour l’internationalisme et la solidarité de classe, internationalisme et solidarité de classe dont nous voyons vite que les ukrainiens soumis à la terrible guerre du satrape de Moscou n’ont tout simplement pas droit. Ce communiqué affirme la continuité de la fidélité de cette organisation syndicale à la Russie des temps communistes, plus exactement, des temps staliniens, dans la discontinuité d’une allégeance à une Russie ayant basculé dans la logique d’un capitalisme brutal, mafieux, néofasciste et impérialiste ayant conservé, pour ses propres fins, le modèle répressif et dictatorial antérieur.

Les quelques mots lourds de sens, malgré l’alambiquée syntaxe portant sur l’Ukraine de ce communiqué, qui attestent cette paradoxale continuité assumée par cette internationale intégrant des syndicats liés à diverses dictatures du monde et à laquelle sont affiliées certaines fédérations de la Confédération Générale du Travail (CGT), sont les suivants, « la bourgeoisie veut que la classe ouvrière paie le prix de la guerre impérialiste des États-Unis, de l’Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et de l'Union Européenne contre la Russie en Ukraine ».

Disons-le, ce communiqué est magnifique de funambulisme hyper acrobatique, en clair, d’un confusionnisme de haute intensité. Il ne trompe que les naïfs. Nous aurions pu, aussi naïvement, nous attendre à ce que le communiqué nous parle de la guerre impérialiste de la Russie contre l’Ukraine mais, pour la FSM, le seul impérialisme est celui des États-Unis, de l’OTAN et de l’Union Européenne. De fait cette syntaxe délibérément tordue évite de caractériser la Russie comme impérialiste et de désigner ce qui se passe en Ukraine comme une invasion impérialiste. Cette syntaxe évite de caractériser le rôle des impérialismes occidentaux comme le soutien militaire et politique nécessaire, sans que cela signifie s’aligner sur eux, à la défense de l’Ukraine pour éviter le pire, d’être annexée et dominée sans plus de procès par son agresseur impérialiste. Ce prix terrifiant que paye actuellement le peuple ukrainien n’émeut visiblement pas ce syndicalisme si tonitruant par ailleurs dans sa dénonciation du prix en termes de misères que fait payer le capitalisme impérialiste mondial, sauf le capitalisme impérialiste russe, aux peuples du monde, sauf le peuple ukrainien.

Cette continuité de la FSM avec son passé est, pour l’essentiel, celle d’un anti-impérialisme à géométrie variable empêtré dans ce qui a pu être appelé un campisme, érigeant hier l'état postulé anti-impérialiste de l'URSS stalinienne et maintenant un état non reconnu impérialiste, la Russie de Vladimir Poutine, à défendre dans le premier cas, à comprendre dans sa légitimité à se défendre, dans le second cas, contre le seul impérialisme ayant résisté au temps, l'impérialisme occidental. La mystification est tellement stupéfiante que, au moins pour l’occasion d’un premier mai fétichisé comme l’essence même de l’unité anti-impérialiste des peuples, ce communiqué fait profil bas sur la guerre en Ukraine, mais en suggérant de biais l’essentiel pour ses auteurs, l’exonération de la Russie de Vladimir Poutine de toute responsabilité dans les horreurs de la guerre. Tout juste reprend-il la contre-vérité flagrante selon laquelle celle-ci serait imputable, en première instance, mais nous comprenons bien qu'il n'y a pas de seconde instance, à un impérialisme occidental dont tout analyste sérieux sait pourtant qu’il a été aux abonnés absents devant l’effroyable guerre menée par la Russie en Syrie en soutien du sanglant dictateur en place pour le sauver d’une printanière révolution populaire en développement, comme il s’est désintéressé de ce que la même Russie a fait en Géorgie, sans parler de l’annexion pure et simple de la Crimée. Nous avons connu les États-Unis et l’OTAN plus actifs.

Ces opérations militaires, ne l’oublions pas, se sont développées, sans plus de réactions des états occidentaux, sur fond d’une stratégie de sharp power, de pouvoir pointu, piquant et tranchant, qui perce, pénètre et perfore l’environnement politique et informationnel des pays occidentaux ciblés.

À la différence du soft power, qui sert avant tout à attirer et à influencer, pensons au rôle joué hors de la Russie par le média Russia Today, l'agence de presse Sputnik ou encore l’usine à trolls de Saint-Pétersbourg, le sharp power russe est constitué d'actions informationnelles subversives dont l’objectif est de tromper, de désinformer, de semer la confusion ou encore de diviser.

Pour ancrer dans nos esprits la réalité alternative concernant la Russie et les rapports internationaux percutés par cette guerre, la FSM, comme certaines gauches internationales, en arrive à faire de la fourniture d’armes obtenue par l’Ukraine l’alpha et l’oméga du cours militariste des états occidentaux face auquel le pauvre état russe n’a eu d’autre recours que de prendre les devants en attaquant l’Ukraine.

La réalité alternative se nourrit des inversions élémentaires des temps et des données. Les États-Unis, dans la logique non-interventionniste passée face à la Russie, avaient bien d’autres chats à fouetter du côté de l’Indo-Pacifique que de se mobiliser pour une Ukraine qu’ils pensaient condamnée à tomber dans l’escarcelle poutinienne.

C'est très signifiant qu’une confédération syndicale mondiale s’autoproclamant défenseur de la veuve et de l’orphelin contre le monstre capitaliste ne le voit pas, mais les ukrainiens n’ont pas fait déjouer, par leur vaillante résistance initiale, les seuls plans de l'état ennemi agresseur, mais aussi ceux de l'état ami pensant pouvoir faire un beau geste à peu de frais, l’exfiltration prévue de Volodimir Zelensky, sur son investissement amical avec la veuve et l’orphelin d’Ukraine. La main forcée par les locaux, l’impérialisme américain a pourtant vite saisi l’aubaine offerte par le prétentieux chef du Kremlin déboulonné par un petit peuple de son piédestal de grand stratège politico-militaire.

L'occasion était trop belle, malgré le contretemps induit pour l’effort militaire prévu du côté de la Chine, de s’afficher en grand défenseur des valeurs de la démocratie occidentale en profitant du violentissime repoussoir asiatique, par lequel se donnait à voir la Russie, mais aussi en se gagnant une ferme hégémonie politique et militaire, jusque-là assez fragile, sur l’Union Européenne, particulièrement en s’appuyant sur les peuples et les états de l'ancienne aire soviétique qui voient dans ce que subit l’Ukraine le sort qui les attend tout prochainement, inquiétude partagée par des pays comme la Suède ou la Finlande, ou comment les États-Unis disent merci au faux cynique/hypocrite, vrai loser mais tellement meurtrier russe.

Pour en finir avec ce triste communiqué syndical perclus d’un épouvantable unilatéralisme analytique à propos d’une des guerres les plus monstrueuses depuis la fin de la seconde guerre mondiale, revenons sur ce qu’un passé, faisant retour au présent, sans s’y confondre pleinement, du côté de l'est européen, peut nous aider à mettre au clair ce que le syndicalisme et les gauches campistes brouillent, favorisant par là, avec quelle inconscience, la survenue d’authentiques crimes de masse. Interrogeons leurs argumentations fallacieuses sur, par exemple, la nécessité absolue de la paix à n’importe quel prix, y compris le prix du désarmement de peuples en lutte pour ne pas être plus massacrés qu’ils ne le sont, en corollaire, au prix d’offrir ces peuples à la domination exponentielle, néofasciste dans le cas de la Russie poutinienne, de leur agresseur, lequel agresseur ne pourrait voir dans cette offrande qu’une invitation à poursuivre leur agression.

Demander que le peuple ukrainien reçoive les armes pour se défendre là où elles se trouvent, c’est-à-dire principalement aux États-Unis, ne rappelle-t-il pas, toutes choses égales par ailleurs, ce que tout internationaliste conséquent en 1936 en Espagne et ses soutiens internationalistes étrangers également conséquents attendaient et qui ne vint hélas pas au grand bonheur de Francisco Franco et de ses alliés Adolf Hitler et Benito Mussolini, à savoir des armes des impérialismes anglais, américains ou même français certes sous gouvernement de Front Populaire mais impérialistes en tout état de cause ? Il ne serait venu à aucune personne sérieusement favorable à l’émancipation des peuples de s’opposer à des fournitures d’armes impérialistes à l’Espagne antifasciste.

Nous pourrions aussi penser à quel farfelu internationaliste, par ailleurs révolutionnaire anticapitaliste, serait venu l’idée de s’opposer à l’entrée en guerre des États-Unis contre Adolf Hitler, en pratiquant, sur le mode ni Daladier ni Hitler, le défaitisme révolutionnaire de la première guerre mondiale. Léon Trotsky, pour nous en tenir à lui, confronté à la marche fasciste, phénomène nouveau, vers la nouvelle guerre mondiale, s’éloigna de ce défaitisme révolutionnaire, en conservant la perspective révolutionnaire adaptée aux circonstances induites par l’émergence des fascismes et des conséquences toujours plus mortifères qui s’annonçaient pour les peuples, si les fascistes gagnaient la guerre.

C’est d’ailleurs, ironie de l’histoire à méditer par nos pacifistes si spéciaux, le premier ministre anglais Neville Chamberlain, un conservateur bon teint, qui, dans les années 1930, symbolisa l’idée, si fortement avancée aujourd’hui par le syndicalisme de la FSM et la gauche campiste qui lui est proche, d’éviter la guerre à tout prix, c’est-à-dire au prix de l’abandon à Adolf Hitler de l’Autriche par l'Anschluss du mois de mars 1938, de la Tchécoslovaquie par les accords de Munich six mois après et de la Pologne en accord avec l'URSS. La guerre mondiale menaçait et, malgré ces capitulations, elle ne tarda pas à arriver dans les meilleures conditions pour Adolf Hitler.

Alors bien sûr, Vladimir Poutine n’est pas Adolf Hitler, mais il est, et cela devrait être un grave problème, un totalitaire néofasciste mafieux qui voudrait recomposer et cherche à recomposer, à sa mesure et à coups de massacres de peuples, l’ordre international alors que, dans la foulée ukrainienne, il ne fait que se vassaliser à celle qui serait vraiment en mesure de procéder à cette recomposition, la Chine évidemment, attentive à tirer les leçons des échecs militaires russes, avec sa visée sur Taïwan. Taïwan pourrait bien être, suite à l’ouverture de la boîte de Pandore des guerres d’annexion par Vladimir Poutine, l’épicentre des tensions les plus dangereuses pour la paix avec, pour le coup, les possibles retrouvailles avec le bellicisme, relativement mis sous l’éteignoir jusque-là et franchement défait en Afghanistan, des États-Unis, peu enclins à trop s’impliquer dans un soutien durable à l’Ukraine, car coûteux et faisant diversion au regard de cet enjeu, premier et essentiel pour eux, de l’Indo-Pacifique.

Pour conclure sur nos moutons noirs de la FSM, nous épinglerons leur volonté affichée dans leur texte d’exiger la fin de la guerre en Ukraine, avec en corollaire infâme, là aussi implicite, la cessation de toute aide militaire à celle-ci, véritable feinte rhétorique évitant de nous dire le comment de la chose, mais dont nous comprenons que cela ne passe pas par le soutien à la résistance du peuple de ce pays, peuple qui ne mérite pas de recevoir en tant que tel la moindre mention explicite d’un tel appui dans ce texte. En effet, ce peuple, preuve par neuf de ce qu’est ce pacifisme de la FSM, se bat pour la défaite de la Russie poutinienne et son expulsion de son territoire.

Alors la paix, selon la logique de ce genre pitoyable d’internationalistes, serait, en l’état, dans le meilleur des cas, d'obtenir qu’un cessez le feu ouvre sur la reconnaissance par les ukrainiens de l’annexion des zones occupées à l'est, Crimée comprise, par la Russie, autrement dit sur le passage de ces territoires, et des populations qui vont avec, sous domination néofasciste russe. Tant pis pour ceux qui s’en sont échappés en sauve-qui-peut angoissé dans l’espoir d’y revenir un jour, le tout dans l’oubli par les pacifistes à courte vue que cette paix serait pour la Russie une victoire ouvrant sur d’autres guerres, dont ce qui s’est passé en Géorgie donne une idée, comme d’ailleurs la misérable prospective du ministre de la défense russe indiquant cyniquement que la prochaine cible pourrait être la Moldavie, qui compte déjà sa région de la Transnistrie occupée depuis des années par les pro-russes avec l’incontournable appui actif de la Russie.

Le présent, n’en doutons pas, bégaierait beaucoup de choses du passé si nous continuons à laisser faire sans réagir les escrocs de l’internationalisme, comme ceux de la FSM, en Autriche, en Tchécoslovaquie, en Pologne, en Lettonie, en Estonie, en Lituanie, en Suède et en Finlande, curieuse mécanique de la paix et de l’internationalisme.

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