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1 novembre 2013 5 01 /11 /novembre /2013 17:15

 

http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/10/31/la-haye-et-le-dossier-empoisonne_3506468_3232.html

 

La Haye et le dossier empoisonné

 

Par Christophe Châtelot

 

Jeudi 31 Octobre 2013

 

Les juges de la Cour Pénale Internationale (CPI) sont à n’en pas douter des experts dans leur domaine. Depuis la création en 2002 de cette juridiction sise à La Haye, ces magistrats venus du monde entier ont affaire aux pires criminels, ceux accusés de génocide, de crime contre l’humanité et de crime de guerre. On peut supposer que les juges de la CPI sont donc des juristes de haut vol. Personne ne leur demande d’être des as de la communication, mais certaines de leurs décisions ternissent l’idéal après lequel l’humanité court depuis plus d’un demi-siècle, la justice internationale.

 

En atteste leur décision du 11 octobre sur « l'admissibilité » de l'affaire Abdallah al Senoussi.

 

Les juges estiment en effet que la Libye, état failli sous la coupe de milices, peut garantir un procès juste et équitable à l'ancien tortionnaire en chef de la Libye au temps de Mouammar Kadhafi. On apprend donc que la justice libyenne et les services garants de la sécurité publique fonctionnent. Stupéfaction.

 

La veille, le premier ministre, Ali Zeidan, a été extrait de force de l'hôtel qui sert d'annexe au gouvernement à Tripoli par des hommes en armes agissant au nom d'on ne sait quel potentat local. Détenu plusieurs heures puis relâché. Un modèle en matière d'ordre et de sécurité.

 

Il n'aurait plus manqué que la CPI se débarrasse du dossier Senoussi par peur de commettre une erreur judiciaire. Car en termes de crimes contre l'humanité, Senoussi (soixante quatre ans) est un client sérieux. Un expert lui aussi. Au moment de son arrestation à l'aéroport de Nouakchott en mars 2012, avant son transfert, six mois plus tard, vers la Libye, le beau-frère de l'ancien guide de la révolution était déjà visé par une triple demande d'extradition de la Libye, de la France et de la CPI. Il est, pêle-mêle, soupçonné d'être responsable du massacre de mille deux cent prisonniers dans la prison d'Abou Salim en 1996. La justice française l'a condamné par contumace en 1999 pour son rôle dans l'attentat du DC 10 d'UTA qui a coûté la vie à cent soixante dix passagers. Enfin, du 15 au 20 février 2011, au début de la révolte contre le régime de Kadhafi, c'est lui qui mène une répression féroce contre le soulèvement de Benghazi.

 

Evénement qui aboutit le 27 juin 2011 à l'émission par la CPI d'un mandat d'arrêt international pour crime contre l'humanité.

 

Pourquoi, la CPI lâche-t-elle un si bon client ? On comprend sans mal que les nouvelles autorités veuillent se charger de « leur » tortionnaire. D'après les juges internationaux et les experts du dossier, les magistrats libyens ont d'ailleurs réuni suffisamment de preuves et entendu suffisamment de témoins pour bâtir un dossier qui tient la route. La CPI ajoute, dans son argumentaire, que « les juges n'ont pas à se prononcer sur le fonctionnement du système judiciaire libyen dans son ensemble. Ce serait de l'ingérence », explique-t-on à la cour, « pas plus qu'ils ne doivent juger les droits de l'homme dans le pays ». Et tant pis, comme le dénonce Ben Emmerson, avocat d'Abdallah al Senoussi, si la Libye est « un pays où le droit est réglé par les armes où l’issue du procès en Libye sera inévitablement la peine de mort ».

 

« Utilisation politique »

 

La CPI a balayé un à un les arguments de la défense et ceux des victimes parties civiles.

 

Abdallah al Senoussi n'a pas d'avocat en Libye alors même qu'il a été interrogé à plusieurs reprises par les enquêteurs libyens ? Il pourra, selon la CPI, le désigner plus tard.

 

L'indépendance des magistrats libyens est mise en doute ? Des réformes sont en cours sous la supervision de la mission de l’ONU en Libye. Les témoins, et notamment ceux que pourrait appeler Abdallah al Senoussi, ne sont pas protégés ? Les magistrats de La Haye assurent que les enquêteurs libyens ont interrogé une centaine de personnes sans difficultés majeures. Les problèmes sécuritaires qui secouent quotidiennement la Libye ? Elles n’ont aucun impact sur l'affaire Senoussi, tranche la CPI. Dans une démarche très inhabituelle pour une juge partie prenante à l'affaire, Christine van den Wyngaert s'inquiète pourtant, dans une note, des circonstances de l'enlèvement du premier ministre.

 

La décision donne l'impression que les juges cherchaient à sortir d'un dossier empoisonné. La Cour de La Haye a été saisie des crimes libyens par le conseil de sécurité de l’ONU au début de la révolte, dès février 2011, dans l'objectif déclaré de susciter des redditions au sein du régime. Avec la chute de Kadhafi, elle n'était plus d'aucune utilité. « Dans cette affaire-là, il y a eu une utilisation politique de la cour par trois poids lourds du conseil de sécurité, les américains, les français et les britanniques », confie un analyste de la CPI à notre correspondante à La Haye. « La visite du procureur de la cour en Libye fin novembre 2011 marque un tournant », poursuit-il. « A-t-il rencontré les diplomates occidentaux sur place ? Lui a-t-on signifié qu'il n'obtiendrait jamais le transfert des deux inculpés ? Rien n'est écrit, mais c'est à partir de ce moment-là qu'il a laissé tomber ». L'auteur des mandats d'arrêt contre Senoussi soutient la nouvelle Libye, et comme la cour n'intervient que si un état n'a pas la volonté ou les moyens de conduire les procès, il demande aux juges de laisser Tripoli mettre sur pied son « procès de Nuremberg ». Depuis, les juges affrontaient donc un procureur qui n'avait, lui, ni la volonté ni les moyens d'enquêter..

 

Le 11 octobre, jour de la décision de la CPI, l'Union Africaine (UA) ouvrait un sommet « anti CPI » à Addis-Abeba. L'Union Africaine reproche à la Cour de ne s'en prendre qu'à des africains et, dans le cas du Kenya, à un chef d'état en exercice, Uhuru Kenyatta, démocratiquement élu. C’est une bien mauvaise semaine, décidément, pour la CPI et la justice internationale.

 

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