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1 mai 2011 7 01 /05 /mai /2011 19:01

 

http://www.liberation.fr/monde/01012333779-pris-en-otage-insultes-et-battus-a-misrata

 

Pris en otage, insultés et battus à Misrata

 

Des sbires kadhafistes ont fait vivre l’horreur au cuisinier marocain d’un restaurant de Tripoli Street, détenu plus d’un mois avec sa famille. 

Ils sont arrivés à vingt, le 18 mars, en treillis bleutés, juste après le coucher du soleil, dans le restaurant Al-Elmtiaze dont la spécialité était le poulet grillé. Ils ont mitraillé pendant de longues minutes ce qui était l’établissement le plus prisé de Tripoli Street. Le patron, Fouad Chakkaf, la petite cinquantaine, s’était barré quelques heures auparavant, dans son gros quatre fois quatre bleu nuit, vers sa propriété aux hauts murs ocres du quartier d’Al-Jazira, près de la mer, loin des bombes et des tireurs embusqués. Ce patron avait laissé à son cuisinier marocain, Aziz, 48 ans, le soin d’emporter «les derniers sacs de farine et de riz» car les chars de Kadhafi remontaient de l’aéroport vers Tripoli Street. Aziz n’en a pas eu le temps : «Les hommes de Kadhafi nous ont pris tout de suite en otage, ont ouvert les frigos qui étaient vides, ont pris le peu de riz qui restait et se sont vengés en fracassant la salle de restaurant de 200 couverts», se souvient-il. Puis les soldats ont fait monter la famille Yahya au premier. Ils ont occupé les deux étages du dessus pendant trente-cinq jours, «nous traitant comme des animaux, moi, ma femme Haouria, et mon jeune garçon Amine qui a 12 ans.» Il y avait aussi Alam, une Marocaine d’une trentaine d’années, employée à la cuisine et enceinte depuis sept bons mois. 

«Tortue».

 Aziz, la peau grise et tendue comme elle le serait avec un châssis, raconte avoir vécu telle «une tortue» pendant trente-cinq jours : «Ils nous ont poussés au premier étage et là, on a vécu un cauchemar nuit et jour. Un obus de char a défoncé la maison d’à côté dès le premier soir, car les soldats croyaient que nos voisins étaient des rebelles. C’était simplement la famille qui tenait l’épicerie, ajoute-t-il. Ensuite, des roquettes sont tombées sur le toit de notre immeuble. Comme les soldats se servaient des deux étages au-dessus de nous pour tirer sur les rebelles, on a vécu comme des bêtes allongées, moi, ma femme et mon fils.» Le petit sourit. Sa femme dit: «Mon Dieu, nous sommes vivants, mais morts dedans.» 

Hier, dans la cour de la clinique Al-Ekma, Aziz erre au milieu du ballet des ambulances sirènes hurlantes, qui rentrent du secteur de Tripoli Street: «Ramenez-moi où vous voulez monsieur ! Mais ramenez-moi !» Il flotte dans son survêtement. Derrière lui, une tente des urgences. Dessous, un jeune soldat pro-Kadhafi blessé à la jambe, vêtu d’un tee-shirt Iron Maiden et en guise de slip, un short marqué FC Chelsea. Sur le ventre du soldat, sa solde, mille dinars (579 euros), tenus par un élastique. Le Marocain regarde le type et dit : «Les soldats de Kadhafi n’avaient pas plus de 20 ans, comme lui.» 

Aziz reprend alors le récit de son calvaire. Le premier soir, «les soldats ont commencé à nous battre en nous traitant de tous les noms… Surtout ma femme», explique-t-il en se mettant la tête dans les mains. Le deuxième jour, vers 20 heures, la dame de cuisine a été giflée et poussée violemment par trois mercenaires qui faisaient partie du groupe des vingt, dans une pièce «qui servait de salon pour prendre le thé. Il y avait aussi, parmi les soldats, un Nigérien, un Malien et un Tchadien»,raconte Aziz qui se rappelle seulement du nom du Tchadien : «C’était le plus cruel. Leur chef. Ils l’appelaient Koula. Il nous a tout fait…»

«Enterrez-la».

La cuisinière, juste avant de se faire brutaliser, a demandé au nom d’«Allah le miséricordieux» de ne pas la maltraiter étant donné son état : elle pouvait accoucher d’un moment à l’autre. De longues minutes plus tard, les trois mercenaires sont ressortis de la pièce. La femme se tenait le ventre à deux mains, en pleurs, et c’est alors que le Tchadien s’est dirigé vers elle et lui a «shooté» dans l’entre-jambe «comme si c’était un ballon».

Alam est tombée sur le dos, décrit Aziz, puis le Tchadien du nom de Koula l’a, à nouveau, frappée au ventre. «Elle s’est mise à vomir du sang puis n’a plus bougé. Tout cela s’est passé devant mon petit et ma femme. On ne pouvait rien faire. Si on bougeait, ils nous tuaient»,témoigne Aziz qui s’est alors adressé au Nigérien, le seul qui parlait français : «Mais pourquoi vous faites ça ? On n’est que des cuisiniers ! On est marocains ! Pourquoi ?» Le Nigérien de rétorquer : «Vous êtes des rebelles !» Le Tchadien l’a engueulé en arabe, «car il m’avait répondu en français. Et j’ai pris un coup de crosse dans la figure puis ils m’ont battu comme un chien pendant cinq minutes.» La cuisinière est morte devant les yeux du gosse. Le Tchadien dit alors en arabe aux deux gars : «Trouvez une pelle sur un char et enterrez-la.» Les deux mercenaires traînent la femme par les pieds dans l’escalier en béton. Aziz se souvient du bruit de la tête contre les marches. Ils la balancent ensuite dans un pick-up, comme un sac.

«On faisait nos besoins dans une petite pièce. C’était dur, vous ne pouvez pas savoir comme c’était dur», dit la femme d’Aziz, Haouria, son joli visage enserré dans un foulard. Après quatorze jours, «on n’avait plus rien à manger», raconte Aziz : «Je suis sorti, au seizième jour, alors qu’il faisait encore nuit. J’ai rampé parmi les décombres, alors que les hommes de Kadhafi ripostaient à l’étage. J’ai été jusqu’à l’épicerie du voisin. C’est horrible de ramper et d’entendre le vent de la balle qui te frôle…» Glissés dans son dos : un sac de riz d’un kilo et un paquet de spaghettis. Mais pas moyen de cuire ni les pâtes ni le riz. «Les mercenaires avaient pris le réchaud et le gaz.» Alors, il ne reste plus qu’à faire baigner le riz pour le ramollir «et pareil pour les spaghettis que je coupais en petits morceaux. On a pu tenir dix jours, jusqu’au vingt-cinquième jour…» Puis il y a eu la relève, «une autre équipe de vingt soldats.» Aziz se plie en deux de douleur sur sa chaise : «Ils ont aussi violé…» Il n’en dira pas plus.

Abri.

Jeudi, à l’aube, des tirs de mitrailleuses lourdes découpent le balcon du dernier étage. Le jour va pointer en ce 21 avril. Aziz et sa femme entendent distinctement entre les tirs en rafales des «Allah akbar».«J’ai su alors que c’étaient les rebelles qui entraient dans l’immeuble», raconteAziz qui crie : «Je suis marocain, cuisinier et j’ai une femme et un enfant avec moi.» Les rebelles, dans l’escalier, leur font signe de descendre et les couvrent en arrosant la rue : «On a dû courir 200 mètres pour se mettre à l’abri. J’ai cru qu’on allait mourir…» Les rebelles montent aux étages : personne. «Les soldats étaient partis la veille, mais comme on avait pris l’habitude de vivre allongés on n’osait même plus bouger les derniers jours…»

Hier, Aziz a enfin retrouvé son patron dans sa belle maison. Il soupire :«Ça fait cinq ans qu’il a mon passeport. Depuis que je travaille ici…» Le type, en voyant son cuisinier, reste bouche bée puis bégaye : «Je suis passé au restaurant, mais je ne t’ai pas trouvé…» Aziz le regarde droit dans les yeux et l’autre lui répète son mensonge. Puis plonge la main dans un sac caché dans sa grosse bagnole et lui rend son passeport et quatre cent dinars, son salaire de la peur. «C’est un bon patron, mais il ment», lance Aziz. Sa femme sourit : «Vous connaissez Strasbourg ? C’est beau Strasbourg, n’est-ce pas ?» Aziz la regarde et pleure. Puis se reprend : «On a tenu le coup en pensant chaque jour à notre vie d’avant, quand j’étais cuisinier à Strasbourg. Ça s’appelait au Nord Marocain, au 12 rue de Sélestat.»

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