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1 octobre 2010 5 01 /10 /octobre /2010 17:54

 

MEDIAPART

Des grèves reconductibles ou pas ? Les hésitations de la base

Par Mathieu Magnaudeix

Article publié le vendredi 1 octobre 2010

Durcir ? Un peu partout en France, des assemblées générales improvisées réfléchissent ces jours-ci à la suite du mouvement contre la réforme des retraites. Bien sûr, il y a les journées « officielles » déjà calées par l’intersyndicale : les manifestations de ce samedi partout en France, la journée de grève du 12 octobre, deux actions qui font suite aux mobilisations réussies du 7 et du 23 septembre. (Retrouvez la carte des cortèges du 2 octobre ici.)

Pourtant, sur le terrain, des militants voudraient aller plus vite, et plus fort : à quoi bon multiplier les journées «saute-mouton» , disent-ils, alors que le projet de loi a déjà été voté à l’Assemblée nationale et arrive devant les sénateurs le 5 octobre ? Puisque le gouvernement ne plie pas, pourquoi ne pas lancer des grèves reconductibles ? Parmi eux, beaucoup de militants des syndicats contestataires : Solidaires, la FSU, FO (qui appelle à la grève générale), des pans entiers de la CGT. Les réformistes (CFDT, CGC...) restent la plupart du temps hors du mouvement.

Çà et là, de tels appels se multiplient. Lundi, quatre syndicats (CGT, Unsa, CFTC, Sud) représentant une majorité de cheminots ont évoqué cette hypothèse après le 12 octobre. Le site www.7septembre2010.fr , partisan de la «grève générale» , tente de les recenser. On y lit que la CGT des Bouches-du-Rhône appelle à reconduire la grève dès lundi prochain, tout comme des hôpitaux à Paris, en Isère... Les syndicats de Météo France demandent aux organisations syndicales une «radicalisation» ...

Ces mouvements épars peuvent-ils déboucher sur un conflit majeur, du type CPE ou décembre 1995 ? Dans les Assemblées Générales où Mediapart s’est rendu ces jours derniers, les participants sentent que la réforme est impopulaire. Mais ils savent aussi que le gouvernement ne cédera pas sur l’essentiel, Nicolas Sarkozy ayant fait de cette réforme une affaire personnelle. Et les assemblées générales ne font pas franchement le plein.

Comment transformer l’essai ? Est-ce seulement possible, vu le morcellement du salariat et la situation très difficile d’une grande partie des Français ? Après les jeunes en 2006 lors des manifestations anti CPE et les régimes spéciaux en 1995, quels secteurs pourraient, cette fois, servir de locomotive ? Faute de réponse, les militants débattent, en attendant une hypothétique étincelle. Lundi et mardi, Mediapart s’est rendu à trois AG, à Paris et à Marseille, pour humer l’atmosphère de la base. Reportage.

Paris. Bourse du travail, lundi 27 à 9 heures 45.

Sur les murs de la bourse du Travail de Paris

«Bon, ben, on va commencer.» Trois quarts d’heure après l’heure dite, l’Assemblée Générale des personnels de la Ville de Paris débute. Dans l’auditorium de la Bourse du travail de la rue Charlot (troisième arrondissement), on compte une soixantaine de personnes : soixante sur les quarante mille employés municipaux. Ceux qui sont là sont tous syndiqués. Quelques-uns sont en grève, comme les salariées des crèches municipales. «On aimerait vous dire que c’est un succès, on ne vous le dira pas» , dit Benjamin Poiret (FSU).

Le 7, il y a eu 17% de grévistes à la Ville, 15,4% le 23. Plusieurs syndicats, CGT, FSU, FO et Unsa, rejoints par Solidaires, ont décidé de durcir le mouvement. A la tribune, leurs représentants exigent le «retrait» du texte, mot tabou pour les grandes confédérations. La salle, constituée pour l’essentiel d’élus syndicaux qui prennent le micro les uns après les autres, est d’accord. Mais comment ? «Pourquoi ne pas faire une journée de grève toutes les semaines pour monter en puissance ?» , propose un cégétiste. «On ne fera reculer ce gouvernement que si on bloque le pays et l’économie , dit un autre. Les gars sont prêts à y aller, mais pas tout seul : il faut que les confédérations lancent des mots d’ordre de grève reconductible.» La salle applaudit.

«On est tous en train de s’appauvrir au niveau des cartouches, met en garde un militant Force Ouvrière. La base est claire, elle veut une grève illimitée, les centrales ne doivent pas être frileuses !» «A force de faire des grèves ponctuelles, on va démoraliser tout le monde» , dit un cadre CGT, partisan de l’«affrontement» . «Les gens en ont ras-le-bol de ce gouvernement, de ses attaques racistes et de l’affaire Bettencourt-Woerth», dit une représentante CGT des non-titulaires. En même temps, on ne lance pas un mouvement en claquant des doigts. Moi je pense aux précaires qui n’ont pas une thune ou n’osent pas se mettre en grève. En 2006, c’était les jeunes qui avaient lancé le mouvement anti-CPE.»

Une autre, plus âgée, plus virulente aussi : «Ce serait bien de bloquer les piscines, les crèches et de fermer les mairies, mais ça ne suffira pas. Des millions de personnes sont à 50 euros près à la fin du mois. Est-on en capacité de demander aux cheminots de nous rejoindre ?» Personne ne sait vraiment quoi lui répondre.

Le débat vire sur les 37,5 de cotisation, supprimés dans le privé en 1993 et dans le public en 2003. A midi, la salle est un peu plus remplie : quatre vingt personnes environ. A l’unanimité moins une abstention, l’Assemblée Générale décide de se réunir le 5, jour de l’examen au Sénat. Elle continue d’exiger le retrait du texte, et acte la possibilité d’une grève reconductible à partir du 12 octobre.

Marseille. Ecole Korsec, lundi 27 à 17 h 30.

L’AG de l’école Maurice-Korsec

Ils sont une soixantaine, pour la plupart enseignants, réunis dans le gymnase de cet établissement du centre-ville. Les professeurs de l’école de la Busserine dans les quartiers nord de Marseille, partis en grève reconductible après la manifestation du 23 septembre, se sont pris une «douche froide» en constatant ce week-end que les autres secteurs ne suivaient pas. «On s’est sentis isolés , regrette Sébastien Fournier, enseignant Snuipp, leader du mouvement. La raffinerie Total a repris le boulot le samedi ; le blocage des ports, tout ce qui se présageait à la poste et dans le rail n’a pas eu lieu.»

Une enseignante d’un gros lycée des quartiers nord reproche aux médias d’avoir fait «un black-out sur les actions de ce week-end». Un autre parle de «légendes urbaines : on ne sait plus trop quelle est la réalité de la mobilisation» . «C’est l’histoire de la poule et de l’oeuf , dit un professeur d’un lycée de centre-ville. Les collègues sont persuadés que faire des actions d’un jour ne suffit pas, mais ils restent attentistes.» «Tout le monde est prêt à faire des jours de grève, mais on garde nos forces, on ne veut pas s’épuiser», témoigne une enseignante de primaire.

A Marseille pourtant, une bonne moitié des cantines étaient fermées lundi du fait d’un mouvement intersyndical des agents territoriaux, reconductible jusqu’au 5 octobre. Crèches, agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, cantines : dans ces «professions à quatre vingt dix pour cent féminines» , «c’est la pénibilité qui a fait partir le
mouvement» , selon Pascale Beaulieux, syndiquée CGT. «A partir d’un certain âge les enfants commencent à peser, surtout quand on augmente le nombre d’enfants par adulte, dit-elle. Je ne suis pas sûre que le gouvernement se rende compte de la réalité du travail.»

Vers 19 heures, un consensus se dessine pour relancer la grève le 5 octobre, jour d’examen de la réforme des retraites par le Sénat. Avec «une action, car les collègues en ont marre des manifestations plan-plan» , dit Sébastien Fournier. Les permanences UMP sont évoquées, voire un sénateur mais chut... «Tout ça est informel, car ça bloque en haut des syndicats» , soupire une enseignante qui repart pourtant «motivée».

Paris. Gare de l’Est, mardi 28 à 18 heures.

L’Assemblée Générale de la Gare de l’Est.

Rendez-vous avait été donné gare de l’Est, sur la voie 2, au bout du quai. Eux ? Le «noyau dur» , dit un participant. Quatre vingt personnes, cheminots, enseignants du Val-d’Oise et des Hauts-de-Seine, postiers, quelques salariés du privé, réunis pour «construire un mouvement» autonome, hors des partis de gauche ou des centrales syndicales à qui «on ne peut pas faire confiance» . Beaucoup sont syndiqués (FSU, Sud, CGT), issus de mouvements de chômeurs et de précaires, étudiants, membres de groupuscules d’extrême gauche... Mickael, jeune militant barbu de Sud-Rail, fait partie des animateurs : «Le 23, il y avait cinquante pour cent de grévistes à gare de l’Est. Mais en Assemblée Générale, il n’y a personne, soixante dix à tout casser. On sent que ça part un peu partout, mais les gens restent isolés.»

L’objectif de la soirée est donc de fédérer les initiatives, pour créer un mouvement large «affectant le secteur productif», dixit un professeur. «Les journées d’action sont sans lendemain, décrète le cheminot. Thibault, Chérèque et compagnie nous ont envoyés dans le mur depuis des années, en 2003, en 2007, en 2009. Cette fois encore, ils veulent enterrer le mouvement.» Venus en délégation, de jeunes professeurs du lycée Joliot-Curie de Nanterre racontent qu’ils tentent de lancer une reconductible, «mais ce n’est pas évident». Jean-Mathias, universitaire à Créteil et militant du Snes-FSU, dresse un état des lieux moins sombre : «Par rapport à 2003, on est mieux barré, le gouvernement n’a pas encore gagné l’opinion. Par contre, il y a de l’attentisme, c’est ça qui pose problème.» Franchement pas chaud sur la mobilisation de week-end du 2 octobre, il réclame des «revendications claires» comme le retrait pur et simple. «Tant qu’on est dans le flou, on va se payer les traîne-culs le samedi qui, le lundi, ne voudront pas partir en reconductible.»

Sur les quais, tout près, des TGV et leurs équivalents allemands, les ICE, ne cessent d’arriver et de partir. L’Assemblée Générale se tient juste devant la salle de repos des employés du groupe Challancin, chargés du nettoyage des rames. Beaucoup de femmes, une grande majorité de personnes d’origine étrangère, qui fument une cigarette et boivent un café entre deux trains. Ils passent et repassent devant les militants réunis, qui les regardent à peine.

19 heures 40, l’heure des propositions d’actions. Pas facile : ça foisonne. Un salarié de l’agro-alimentaire propose des «blocages d’un quart d’heure» , pour associer le privé. On propose, pêle mêle, de manifester devant le Sénat tous les jours la semaine prochaine, de lancer des cortèges spontanés dans les quartiers nord de Paris, de bloquer les TGV... Finalement, on s’accorde sur plusieurs rendez-vous : rendez-vous jeudi à midi place de la Bourse, puis nouvelle Assemblée Générale le soir même à 19 heures à la Coordination des intermittents et des précaires, où une réunion pour élaborer un tract était déjà calée. Puis le 2, ceux qui voudront partiront de gare de l’Est pour rejoindre la manif à République. Il y aura une banderole commune, et peut-être un meeting à la fin, s’il reste assez de gens place de la Nation.

Et après ? On verra bien. Chacun note l’adresse internet où s’inscrire pour recevoir les alertes.





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