Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 novembre 2014 6 22 /11 /novembre /2014 17:09

LE PROGRAMME DE PODEMOS

Vous trouverez ci-dessous la deuxième partie d’un long message de Ludovic Lamant relatif à Podemos. Le message en totalité est disponible aux adresses ci-dessous.

Bernard Fischer

https://www.ensemble-fdg.org/content/etat-espagnol-podemos-rinvente-lacclamation-spartiate-internet

http://www.mediapart.fr/journal/international/301014/podemos-ce-mouvement-qui-bouscule-lespagne

Quelles propositions concrètes ?

C’est lui, Inigo Errejon, qui tire le parti vers une forme de péronisme adapté à l’Espagne. Sa référence principale n’est autre qu’Ernesto Laclau, intellectuel argentin contesté, théoricien subtil d’un « populisme » qui n’aurait rien de péjoratif ou d’irrationnel, et qui pourrait même être mobilisé au service d’idéologies progressistes, c’est à la condition d’appliquer des politiques progressistes et radicales que l’on peut parvenir à former un « peuple ». A la mort d’Ernesto Laclau, au printemps 2014, Inigo Errejon s’est fendu de plusieurs hommages dans la presse espagnole. Ce jeune universitaire fait de l’Europe du Sud, frappée par la crise, l’arène d’une politique européenne en voie de « latino-américanisation, non pas pour copier, sinon pour traduire, reformuler, s’emparer d’une batterie de concepts et d’exemples », écrit-il. Avant d’affirmer, en référence à Podemos, « ce n’est un secret pour personne qu’une initiative politique récente dans notre pays n’aurait pas été possible, sans la contamination intellectuelle, et l’apprentissage des processus de changement en cours en Amérique latine ».

Cette mainmise d’une poignée d’universitaires sur la stratégie de Podemos ne se fait pas sans heurts. Teresa Rodriguez, enseignante du secondaire, l’une des cinq eurodéputés du mouvement, s’est moquée, en douceur, de cette stratégie des « cerveaux » de l’université Complutense de Madrid, efficace sur le papier, mais qu’il reste à concrétiser, « Podemos n’est pas une expérience universitaire », a-t-elle mis en garde lors du congrès d’octobre.

Pour le sociologue Victor Alonso Rocafort, la volonté des « meneurs » de Podemos de ne pas s’enfermer sous l’étiquette, trop étriquée à leurs yeux, de la « gauche critique » pose d’autres problèmes. « Podemos s’est montré très discret, pendant la campagne des élections européennes, sur le projet de loi qui devait durcir l’accès à l’avortement dans le pays. Même chose sur l’immigration aujourd’hui, ils évitent de monter au créneau sur ces sujets qui divisent la société espagnole. Sur le fond, Podemos est opposé à ce texte de loi anti-avortement, et défend une politique migratoire différente de ce qui se pratique aujourd’hui. Mais ils ont choisi de ne pas le dire. C’est un choix dangereux. Ce sont des sujets délicats sur lesquels il me semble important de faire de la pédagogie, si l’on prétend gouverner. C’est bien de vouloir gagner les élections, mais encore faut-il les gagner correctement ».

Au-delà de ces débats sur la stratégie électorale, qui ont beaucoup occupé les esprits des responsables de Podemos cet automne, d’autres s’inquiètent des flous et des manquements béants de leur programme. « Podemos a tout misé sur la crise de régime, sur les questions de représentation politique, sur la dénonciation de la caste des politiques », constate Florent Marcellesi, un membre du parti écologiste Equo, qui sera eurodéputé à partir de 2017. « A nos yeux, c’est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. La crise n’est pas seulement liée aux failles du système politique, c’est une crise de civilisation qui est devant nous. Il faut sortir du modèle productiviste ».

Mais que défend Podemos, au juste ? Le mouvement est jeune et l’élaboration d’un programme prend du temps. Dix mois après la naissance, les contours restent flous. A l’occasion de son congrès, Podemos a soumis aux votes des internautes inscrits sur le site quatre-vingt-dix-sept propositions qui sont remontées des « cercles », partout en Espagne. Au terme de trois jours de consultation sur internet, le collectif a adopté les cinq résolutions les plus recommandées, les voici, par ordre décroissant de soutien.

Il défend l’éducation publique, en soutien aux mouvements des « marées » contre les coupes budgétaires dans le secteur éducatif, dix-sept mille deux cent quatre-vingt-neuf voix, quarante-cinq pour cent des voix.

Il défend la lutte contre la corruption avec, notamment, un durcissement des peines pour les cas de corruption d’agents publics, et la suppression des privilèges de juridiction pour les élus, seize mille cent quatre-vingt-six voix.

Il défend l’interdiction des expulsions immobilières « sans alternative » et la reconnaissance du droit au logement social, quatorze mille huit cent quatre-vingt-neuf voix.

Il défend la santé publique, y compris pour les migrants sans papiers, qui prévoit, par exemple, la suspension des règlements qui autorisent certaines communautés autonomes à privatiser certains hôpitaux publics, douze mille cent vingt-neuf voix.

Il défend un audit citoyen de la dette, neuf cent quatre-vingt une voix, pour identifier les dettes « illégitimes » et « restructurer » la dette globale de l’Espagne, en fonction des résultats, c’est-à-dire en supprimant la part de dette « illégitimement » contractée.

En vrac, d’autres résolutions proposaient le blocage du projet de traité de libre-échange avec les États-Unis, l’aide aux migrants, le renforcement des droits des animaux, le recours régulier aux référendums. Mais elles n’ont pas obtenu de scores suffisants pour être retenues.

Vers une « sociale démocratisation » de Podemos ?

Lors des dernières semaines, Pablo Iglesias s’est aussi prononcé pour le « droit à décider » des catalans, c’est-à-dire pour la tenue d’un référendum sur l’indépendance, ce que refusent Parti Populaire et PSOE, même s’il reconnaît, à titre personnel, ne pas souhaiter l’indépendance de la Catalogne. Idem pour les Canaries, Podemos soutient, tout comme les autorités locales et les écologistes, la tenue d’un référendum sur les prospections pétrolières au large de l’archipel, ce que refuse le gouvernement de Mariano Rajoy, favorable au démarrage du projet.

Au-delà de ces prises de position, des débats de fond agitent le mouvement. En particulier sur les orientations économiques. Relance, alternatives à l’austérité, mandat de la Banque Centrale Européenne, euro et régulation financière.

Impossible de mettre en avant des positions officielles et précises sur ce type de sujets. Tout au plus Pablo Iglesias a-t-il multiplié les sorties, ces dernières semaines, pour vanter le programme social-démocrate des années 1980, se référant explicitement au Felipe González, président du gouvernement de décembre 1982 à mai 1996, de 1982. Extrait de son dernier ouvrage, sorti fin août, « disputar la democracia », « parler de réforme fiscale, d’un audit de la dette, de contrôle collectif des secteurs énergétiques, de la défense et de l’amélioration des services publics, de la récupération des attributions de la souveraineté et du tissu industriel, des politiques d’emploi par l’investissement, de favoriser la consommation, de s’assurer que les entités financières publiques protègent les PME et la famille, et bien d’autres choses, c’est ce que n’importe quelle formation sociale-démocrate d’Europe occidentale aurait dit il y a trente ou quarante ans ».

Pablo Iglesias, caricaturé par certains médias comme un dangereux gauchiste adorateur d’Hugo Chávez, cherche à donner des gages à l’électorat traditionnel du PSOE, pour mieux siphonner les voix du vieux parti social-démocrate. Il dit même désormais vouloir « occuper la centralité de l’échiquier politique ». Début octobre 2014, l’universitaire a surpris tout le monde, en annonçant lors d’un entretien télévisé avoir demandé à deux économistes, Vicenç Navarro et Juan Torres, de travailler à un programme de « sauvetage citoyen » qui serait appliqué lors des cent premiers jours suivant l’arrivée de Podemos au pouvoir.

L’initiative en a braqué plus d’un, au sein du mouvement. Sur la forme d’abord, elle revient à court-circuiter le travail d’un des « cercles » les plus respectés des Podemos, celui consacré à l’économie et l’énergie, en imposant deux « experts » venus de l’extérieur. Sur le fond, l’affaire est encore plus délicate, Vicenc Navarro est un économiste prestigieux né en 1937, ancien conseiller de Salvador Allende au Chili, mais aussi de Bill Clinton dans les années 1990. Certains ont du mal à comprendre comment ce vieil économiste étiqueté « néo keynésien », soucieux du retour de la sacro-sainte « croissance », aurait les réponses à la hauteur de la crise protéiforme des années 2010.

Faut-il voir dans ce passage en force, par-delà les assemblées, un avant-goût de la gestion de Podemos par son futur secrétaire général ? Sans doute, mais il reste très difficile d’anticiper le reste, d’ici novembre 2015. Un an est une éternité à l’échelle de la crise espagnole, scandée, presque chaque mois, par des nouveaux scandales de corruption. Des élections municipales sont prévues en mai 2015, pour lesquelles Podemos a décidé de faire l’impasse, pour ne pas se brûler les ailes, couplées, dans certains cas, avec des scrutins régionaux, auxquels Podemos devrait, cette fois, participer, en amont des élections législatives fin 2015. Pablo Iglesias, lui-même, se montre très prudent pour la suite, « le PSOE peut remonter dans les sondages, avec le nouveau leadership de Pedro Sanchez.

Les médias privés, qui ne cessent de parler de nous, et d’inviter nos porte-parole, peuvent nous blacklister si leurs propriétaires le décident. Et nous-mêmes pouvons commettre des erreurs que, pour l’instant, nous n’avons pas commises dans un contexte nouveau et très complexe. Quant au Parti Populaire, il fait montre d’une grande capacité de résistance électorale, malgré les scandales de corruption et le désastre de sa gestion ». Le scénario espagnol est plus ouvert que jamais.

Partager cet article
Repost0

commentaires